2. Double globalisation

Cette requalification de l’image de la ville est un des moyens de l’ancrer dans l’internationalisation, en produisant une lisibilité forte et facilement reconnaissable. C’est également la création d’un paysage en phase avec l’esthétique globalisée des waterfront des pays industrialisés, que permet le point de vue sur le centre de Tôkyô depuis les terrasses des shopping malls de Daiba.

Le modèle est si bien repris que l’on retrouve même une réplique de la Statue de la Liberté sur la zone Daiba (photo 37). Avec en arrière plan les tours du CBD de Tôkyô, qu’on aperçoit séparées d’une étendue d’eau dotée d’un pont géant, dont l’architecture en arcade tient du Golden Gate ou du pont de Brooklyn. La chose est cocasse et attire l’ironie des étudiants occidentaux de la cité universitaire internationale implantée sur Aomi.

Photo 37: Réplique de la statue de la Liberté sur la zone Daiba. En second plan le Rainbow Bridge et en arrière plan la tour de Tôkyô
Photo 37: Réplique de la statue de la Liberté sur la zone Daiba. En second plan le Rainbow Bridge et en arrière plan la tour de Tôkyô

© Scoccimarro 2007.

Doit-on y voir la manie de la contrefaçon si souvent attribuée aux Japonais ? L’implantation de cette « Statue de la Liberté bis » ne provient pourtant pas de la municipalité de New-York, mais de celle de Paris. La statue française est déménagée en 1998 dans le cadre de l’année de la France au Japon. Jusqu’en 1999, elle trône sur un piédestal construit à cet effet dans la zone Daiba du Rinkaifukutoshin, ce qui permet un paysage saisissant, loin des représentations traditionnelles de la ville japonaise, entre pétales de cerisiers et enfer des « mégalopoles surpeuplées ».

L’installation a un tel succès auprès du public, qu’après avoir rendu l’original à la capitale française, une copie conforme est installée en 2000, à la même place. La statue devient alors un élément de l’ensemble de ce parc d’attraction urbain qu’est Daiba.

Est-ce un signe de la globalisation qui gagne Tôkyô ou, au contraire, Tôkyô qui s’empare de la globalisation ? Le mouvement est double. En plus d’offrir une image calibrée à l’exportation, le RFT est aussi un lieu de globalisation des pratiques urbaines. Plus que l’identification, c’est aussi l’imaginaire d’autres villes qui est proposé ici, en interne, aux visiteurs Japonais. Cela se vérifie dans le paysage et se retrouve à l’intérieur des shopping malls. Ces derniers accueillent les espaces marchands de la mondialisation que sont les foodcourts 171 ou des espaces commerciaux à thème exotique comme le « Little Hong Kong » du Tokyo Decks (photo 38). D’autres enseignes vendant des produits alimentaires en importation directe, dans leurs emballages d’origine 172 . Cette offre marchande permet ainsi un accès localisé au monde global. Cela est d’autant plus facile sur les terre-pleins, espaces sans historicité, où l’on peut adapter facilement le contenu et contenant, avec une toponymie elle aussi globalisée d’anglicismes et de gallicismes.

Photo 38 : Entrée du
Photo 38 : Entrée du Decks Tôkyô Beach.

© Scoccimarro 2001.

L’ouverture du front de mer par des aménagements en waterfront de ce type permet également de réconcilier aménageurs et « aménagés ». La mise en place de l’opération RFT n’a pas fait consensus, mais en revanche personne ne conteste la rénovation esthétique de la zone 13 du port. C’est une gestion plus apaisée du littoral avec lequel les utilisateurs d’aujourd’hui n’ont plus une relation organique, mais consumériste du front de mer.

Cela se vérifie dans la forme que prennent les résistances à certains autres aménagements du littoral dans la baie de Tôkyô aujourd’hui.

Notes
171.

Restaurants qui permettent de commander en un même lieu des cuisines du « monde entier »

172.

Pâtes italiennes, sacs géants de tacos chips, fromages français et chocolats suisses.