Les premiers projets de remblaiement de la zone humide de Sanbanze datent des années 1950 lorsque la transformation du littoral de Chiba en vaste zone industrielle et industrialo-portuaire est planifiée. Les plans pour Sanbanze devant héberger le port industriel d’Ichikawa sont abandonnés avec le ralentissement économique des années 1970.
L’aménagement est remis au goût du jour par Numata Takeshi沼田武, gouverneur PLD du département de Chiba de 1981 à 2001. Il propose en 1993 un plan de remblaiement de 740 hectares, sur les deux tiers de la zone humide, pour construire une ville nouvelle sur le type RFT. Le dégonflement de la Bulle met fin à ces plans, mais du projet survit la construction de la deuxième voie express côtière (dai ni wangan dôro 第二湾岸道路). Cette infrastructure double une route qui existe déjà à l’intérieur des terres et qui parcourt la baie en arc de cercle. Elle doit traverser le bras de mer où s’étend le higata de Sanbanze (fig. 93 ci-avant).
Ce chantier détruirait une des dernières zones humides de la baie de Tôkyô. Les associations de protection de la nature de Chiba réussissent à porter Domoto Akiko 堂本暁子au poste de gouverneure en 2001. Cette candidate indépendante avait en effet fait campagne sur la promesse de stopper l’aménagement de Sanbanze.
L’affaire n’est cependant pas réglée : les promoteurs et leur soutien à l’assemblée du Chiba-ken ne désarment pas pour autant, et poussent à la construction a minima de la deuxième voie express, proposant une modification du tracé et une infrastructure sur pilotis permettant de préserver la zone en l’état (fig. 93 ci-avant).
Au-delà du conflit en lui même, la composition des acteurs révèle un retournement d’alliance qui tranche des conflits de la HCE. Traditionnellement, la construction de terre-pleins opposait les coopératives de pêcheurs aux autorités départementales associées aux groupes de pression du secteur de la construction. Aujourd’hui la plupart des pêcheurs et des récolteurs de la mer ont disparu de la baie de Tôkyô. Au sein des coopératives de pêcheurs restantes, les vieux pêcheurs sont surreprésentés et les effectifs restent plutôt faibles : vingt-cinq à trente personnes à Ichikawa et entre 200 et 300 personnes pour Funabashi (Nakayama, 2005).
Les conditions de la Haute-Croissance ont structurellement changé. En revanche, les subventions aux coopératives de pêcheurs sont toujours d’actualité. Ainsi dans le cadre de la construction des projets sur Sanbanze, il est question de dédommager ces coopératives pour la destruction de la zone de pêche et/ou du port. En conséquence, les pêcheurs, en fin d’activité, sont actuellement favorables au plan d’aménagement de la deuxième voie express de la baie et à son passage sur les pêcheries de Sanbanze. Une position théoriquement iconoclaste mais socialement et démographiquement compréhensible : le bénéfice des indemnisations permettrait aux pêcheurs de s’assurer de meilleures retraites.
De leur côté, les associations de défense de Sanbanze témoignent du passage d’une contestation liée à la pollution vers des revendications liées à la sauvegarde de l’environnement et de la nature en général. Aujourd’hui, les riverains et les utilisateurs du littoral ont quasiment disparu. C’est l’association de protection de la nature de Chiba (Chiba shizen hogo rengô千葉県自然保護連合) qui lutte contre la disparition des derniers higata de la baie… et contre les coopératives de pêcheurs.
Ce sont des citadins-citoyens (shimin市民) plus que les riverains directs (jûmin住民) qui s’occupent de la préservation de la nature et de l’environnement. La plupart habitent Chiba, mais pas forcement à proximité du front de mer : il n’y a pas de lien local ou fonctionnel avec le littoral ou la mer.
L’objet de la lutte pour la préservation du higata dépasse par ailleurs le cadre régional : les zones humides japonaises sont utilisées par les oiseaux migrateurs comme étape entre l’Australie et la Sibérie et des associations australiennes de défense de l’environnement participent à la lutte pour la préservation de Sanbanze. L’objectif de ces associations est de faire classer cet espace en site Rasmar 176 , ce qui aurait pour conséquence de geler tout projet de construction sur la zone.
Une option que les élus du PLD à l’assemblée de Chiba tentent de combattre au nom du développement économique qu’apporterait la nouvelle route, reliant le sud du département au centre de Tôkyô.
Pour sauver le projet de seconde autoroute côtière, les élus conservateurs comptent sur le soutien d’Ishihara Shintarô à Tôkyô et du maire de la ville de YokohamaNakada Hiroshi中田宏. Cette deuxième voie express côtière est en effet inscrite dans l’organisation des infrastructures de transport à l’échelle du Tôkyô-ken du plan Tôkyô Megalopolis de Ishihara (cf. fig.45 p. 87). À Tôkyô, les tronçons de la deuxième voie express côtière sont en cours de construction entre le terre-plein de Wakasu et ceux de l’arrondissement d’Ôta, en direction de Kawasaki.
Ce conflit est significatif du rôle attribué aux terre-pleins de la baie : celui de support d’infrastructures dans un contexte où le besoin de nouveaux espaces à aménager ne se fait plus sentir, à tel point qu’on s’interroge sur l’utilisation des derniers terre-pleins construits avec les déchets urbains.
La Convention sur les zones humides est signée à Ramsar, en Iran, en 1971. Elle a pour objectif la conservation des zones humides dans le monde. Le Japon adhère à la convention en 1980 avec l’enregistrement en site Ramsar de Kushiro-shitsugen, une zone humide située à Hokkaidô.