b. Une forêt en baie de Tôkyô

Le 8 juillet 2007 a débuté la campagne pour récolter des fonds et transformer le « Brise-lame Central Intérieur » (Chûôbohateiuchi 中央防波堤内) (fig. 107 et photo 41) en Tôkyô no mori. Il s’agit réellement de faire une véritable forêt de ce terre-plein. Il est même destiné à devenir « l’entrée verte de Tôkyô » symbolisant la mise en valeur de la verdure dans la capitale.

Photo 41 : Les derniers terre-pleins du Brise Lame Interne (arrière plan à droite) vue depuis le Telecom Center. Au premier plan entrepôts et quais pour conteneurs au sud du Rinkaifukutoshin.
Photo 41 : Les derniers terre-pleins du Brise Lame Interne (arrière plan à droite) vue depuis le Telecom Center. Au premier plan entrepôts et quais pour conteneurs au sud du Rinkaifukutoshin.

© Scoccimarro 2007

Figure 107 : L’aménagement des derniers terre-pleins décharges du port de Tôkyô.
Figure 107 : L’aménagement des derniers terre-pleins décharges du port de Tôkyô.

Le projet midori no Tôkyô jû nen purojekuto (緑の東京10年プロジェクト, projet sur dix ans pour un Tôkyô vert) prévoit en effet la construction d’une forêt artificielle sur les cents hectares de l’intérieur du terre-plein. Elle viendra s’ajouter aux nombreux parcs que compte le port de Tôkyô soit 786 hectares construits depuis 1975. Avec le projet Tôkyô no mori, appelé aussi umi no mori 海の森 (la forêt en mer) (fig. 108), c’est une surface verte équivalente à celle du palais impérial et de plus de cinq fois la surface du parc Hibiya. Il y aura au centre sur une surface vallonnée, des bois et une forêt (Kaze no mori, 風の森la forêt des vents). Sur la pointe sud-est sera construit umi iriguchi海入り口, la porte de la mer, qui doit être le point de rencontre des promenades du terre-plein.

L’opération se veut l’initiatrice d’un mouvement destiné à doubler la surface d’arbres en zone urbaine du Tôkyô-to de 480 000 actuellement à un million. Il s’agit aussi d’augmenter de 150 hectares, la surface de parcs publics du département de Tôkyô en 2011 pour atteindre plus de 300 hectares de nouveaux parcs en 2015. L’objectif est d’accroître le taux d’espaces verts par habitant et de limiter certains effets du réchauffement climatique sur la capitale, en particulier l’îlot de chaleur qui se forme sur le centre-ville chaque été.

Figure 108 : Vue d’artiste du projet d’aménagement du parc « umi no mori » (Forêt de la mer).
Figure 108 : Vue d’artiste du projet d’aménagement du parc « umi no mori » (Forêt de la mer).

Source : TMG.

Il s’agit aussi d’innover en matière de financement : faire participer les citoyens du Tôkyô-to dans le financement du plantage d’un arbre, développer le bouche à oreille pour participer à l’opération, en faisant la promotion des micro-participations et utiliser les relais citoyens des NPO 186 pour organiser les donations à titre individuel. Les récoltes de fonds devraient commencer à l’automne 2007.

Figure 109 : Plan du futur réseau d’espaces verts et de rivières dans le TMG.
Figure 109 : Plan du futur réseau d’espaces verts et de rivières dans le TMG.

Source : TMG

Cette « forêt de Tôkyô » entrera dans le dispositif de réorganisation de la verdure à Tôkyô marque une certaine rupture avec la green belt des plans d’avant et d’immédiate après guerre. C’est une forme plus en réseaux qui est choisie, avec des coulées vertes, les green network, dont le Tôkyô no mori est un des axes (fig. 109). A nos yeux, c’est surtout, sur ces nouveaux terre-pleins, un prétexte à l’utilisation d’espaces dont le département ne sait que faire et qu’il tente d’aménager au moindre coût.

Avec ce projet, on reste dans les deux caractères analysés dans la construction des terre-pleins : soupapes de sécurité foncière et terrains d’essais pour ensuite transférer les politiques d’aménagement au reste de la ville, une fois qu’elles ont été testées à moindre risques.

On retrouve l’idée contradictoire de faire renaître la nature sur des bases non seulement artificielles, mais elles-mêmes à l’origine de la destruction d’espaces naturels, par la gestion des ordures ménagères et plus largement par la société productiviste.

Ce problème des terre-pleins décharges n’est pas général sur l’ensemble des côtes japonaises, en dépit du plan phénix : à Yokohama comme dans le Chiba-ken, les décharges sont à l’intérieur des terres. En revanche, Kawasaki se retrouve actuellement dans une impasse. Il est interdit par le gouvernement central de remblayer plus loin que le périmètre portuaire, il n’est pas possible non plus de remblayer les eaux du port appartenant au secteur privé, à moins de les acheter. La ville envisage ainsi l’acquisition de terrains et de surfaces d’eau privées pour remblayer, ce qui est toujours moins cher que d’acheter de tels terrains en ville.

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La question de la « fin des terre-pleins » était déjà posée aux débuts des années 1970 (Corde, 1975). Est-elle toujours d’actualité alors que rien, techniquement, ne stoppe la construction de nouveaux remblais ? Techniquement, tout est possible. Remblayer cinq mètres, quinze mètres ou trente mètres de fond ne pose pas de problèmes techniques aux entreprises spécialisées dans ce domaine (Tokunaga, entretiens 1998) et les moyens financiers ne manquent pas.

Déjà en 1964, Tange Kenzo projetait de déplacer Tôkyô sur une île artificielle. Dans les années de la Bulle, il ne s’agissait ni plus ni moins pour certains architectes que de construire une pyramide géante d’un kilomètre de hauteur au centre de la baie, régulièrement objet des fantasmes des ingénieurs. On en viendrait presque à oublier qu’il s’agit aussi de projets de villes, c’est-à-dire avec des fonctions humaines dépendantes de l’environnement social.

Les terre-pleins dus au comblement par les ordures ménagères ne correspondent pas à des projets de création de nouvelles terres, mais sont le résultat du traitement des déchets urbains. Un système qui aboutit à l’heure actuelle à une surproduction d’espace. La repopulation du centre sera-t-elle un phénomène inscrit dans la durée ? Dans ce cas, la ville sur terre-plein peut progresser, mais il reste encore de vastes espaces à reconvertir dans l’arrondissement de Kôtô. Dans le cas contraire, les terre-pleins du port seraient en effet condamnés à ne rester qu’une surface d’ajustement de la mégapole. Mais le centre, pôle organisateur du foncier dans la capitale est de plus en plus éloigné, limitant les avantages comparatifs des derniers terre-pleins construits face aux terrains conventionnels.

Notes
186.

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