La construction de terre-pleins en avancées sur la mer dans les ports des villes japonaises tient donc plus du qualitatif que du quantitatif. Les avancées sur la mer ont l’avantage d’associer rareté et possibilité de reproduction. Rareté d’espaces mobilisables pour l’industrie ou la ville, possibilité de les reproduire lorsque le besoin se fait sentir ou bien les reconvertir quand la demande évolue.
C’est à nos yeux ce qui fait peut-être la spécificité relative des terre-pleins urbains du Japon. Toutes les mégapoles côtières ont produit des avancées sur la mer, pour l’industrie, l’urbanisation et les aménagements en waterfront (Hudson, 1996). Mais à Tôkyô, les terre-pleins ont permis en plus la construction de projets d’aménagement ou de paysages impossibles sur les espaces conventionnels. Cette impossibilité ne tient pas au manque de place, mais à la géographie sociale des villes et en particulier au rapport à la terre. La structure de la propriété foncière (Bourdieret Pelletier,2000, dir), la concentration des hautes valeurs foncières et la difficulté d’expropriation rendent ardue et longue toute tentative de grands projets sur les terrains classiques. En ce sens, les terre-pleins sont des territoires possibles de l’urbanisme au Japon
C’est donc sans surprise que les aménageurs de Tôkyô, de Yokohama ou de Chiba ont décidé d’en faire les terrains d’essai de la ville japonaise idéale du XXIe siècle. On retrouve d’ailleurs ce rôle de zone d’expérimentation dès Meiji, avec la création des quartiers pour Occidentaux sur terre-pleins 189 , puis au XXe siècle avec les grands combinats sur l’eau. Dans le cadre des mégaprojets de ville, les terre-pleins côtiers continuent d’être le lieu de prédilection de l’innovation en matière industrielle ou urbaine.
En revanche, ils sont de plus en plus éloignés physiquement du centre ville. Cela réduit d’autant les avantages comparatifs issus de la proximité au Toshin. Or celui-ci, dans ses expansions ou ses contractions, reste l’élément organisateur et le centre de gravité de la mégapole de Tôkyô.
La reconversion d’une partie des terre-pleins du port de Tôkyô a réellement influé sur la recomposition sociodémographique du centre de la capitale. Ce phénomène va-t-il se poursuivre jusqu’à transformer entièrement la zone du port ? On aurait alors un urbanisme nouveau, et plutôt inédit dans les centres-villes japonais, dont il sera intéressant d’observer les nouvelles pratiques et les nouvelles sociabilités qu’il pourra produire.
Tsukiji à Tôkyô, Kannai à Yokohama et Kawaguchi川口 à Ôsaka.