La reconstruction du savoir enseigné par le chercheur

Pour « reconstruire » le savoir effectivement enseigné comme chercheur, nous reprenons le choix de Tiberghien (2007 a) qui, à la suite de Bange (1992) dans son interprétation de Grice, distingue la signification conventionnelle de la signification en situation.

La « signification en situation » est celle « qui est impliquée quand on peut dire de quelqu’un qu’en faisant ceci et cela il a voulu dire ceci et cela » (p. 14). Cette signification est celle qu’on attribue à un acteur donné en situation.

La « signification conventionnelle » ou « signification indépendante du temps » est « impliquée quand on dit qu’une phrase ou un mot ou une tournure signifient ceci et cela » (p. 141).

Ces deux significations sont construites à partir d’une même situation observée.

Ainsi la signification en situation est celle re-construite avec le point de vue d’un acteur (ou un groupe d’acteurs) de la situation contrairement à la signification conventionnelle qui est associée à une référence autre que la situation elle-même.

Une signification conventionnelle pourrait être par exemple celle que construirait un inspecteur qui va dans la classe pour une ou deux séances. Il jugera du savoir enseigné en lui attribuant la signification donnée par la discipline savante ou par le programme officiel.

Par exemple dans une des classes que nous avons filmée, quand l’enseignant parle de la « masse qui est accrochée à un fil », un représentant de la noosphère pourrait lui rétorquer, et en toute logique, qu’il faut parler « d’objet de masse m » qui est le savoir conventionnel que la communauté scientifique adopte pour nommer et/ou caractériser un système. Mais dans cette classe et dans cette situation, les élèves comprennent par cette expression, « l’objet de masse m » ou « le système de masse m ». Donc, dans cette situation, « la masse m », qui est une signification sociale, évoque pour la classe « objet, solide ou système de masse m », signification conventionnelle adoptée par la communauté des physiciens.

Des travaux qui portent sur l’apprentissage de quelques élèves tout au long d’un enseignement (Dykstra 1992, Budde et Niedderer 2005, Tiberghien 1997) étudient l’évolution de la signification en situation du savoir construit par les élèves. Les résultats obtenus conduisent ces chercheurs à proposer la notion de « connaissances intermédiaires » pour caractériser les connaissances acquises. C’est parce qu’ils ont pu constater qu’à la fin de la séquence, les élèves n’ont pas acquis le savoir enseigné mais un savoir intermédiaire entre leurs connaissances initiales et le savoir enseigné. Ainsi, il s’agit d’évaluer l’écart entre le savoir enseigné et les connaissances acquises par une majorité d’élèves ou de groupes d’élèves (savoir intermédiaire) qui est caractéristique d’une classe.

Par ailleurs, la signification conventionnelle correspond à la signification « officielle » du point de vue de l’institution (Chevallard, 1991), c’est aussi celle de l’enseignant en tant que représentant officiel du savoir scolaire en classe. Notre analyse repose sur cette orientation, car c’est la classe, considérée comme institution, que nous suivons et non un acteur de la classe.

Pour construire le savoir enseigné, le chercheur analyse ses données (recueillies dans une classe) à partir :

L’intérêt de la reconstruction du savoir enseigné est multiple ; nous en donnons quelques raisons.

(1) Le savoir enseigné permet de montrer que le savoir « conventionnel » dépend en dernière analyse de la classe et n’est pas équivalent d’une classe à l’autre, même si les professeurs sont supposés enseigner le même contenu.

(2) Il peut constituer une référence dans l’analyse du point de vue des élèves ou du professeur, c’est-à-dire la construction de la signification en situation. En effet, comme nous venons de le signaler dans le cas de la physique, de nombreuses études portant sur l’évaluation des acquis des élèves ou sur les conceptions avant et après enseignement confortent l’hypothèse que l’acquisition par les élèves de l’ensemble du savoir enseigné n’est généralement pas réalisée.

(3) Il permet également d’évaluer un autre écart, celui avec le savoir à enseigner. Ainsi une classe peut se caractériser par un savoir acquis par une majorité d’élèves à la fin de l’enseignement, très proche du savoir enseigné et en même temps un savoir enseigné très loin du savoir à enseigner.