1.2. Dans le contexte sénégalais

La légendaire « Téranga » sénégalaise (l’hospitalité en langue locale wolof) n'est pas peut-être surfaite. C’est à n’en pas douter, le résultat d'un brassage séculaire de populations et de cultures au cours de l’histoire. La tradition sénégalaise se fait comme devoir de réserver un accueil chaleureux à l’étranger pour que ce dernier se sente vraiment chez lui. On ne le voit pas comme celui dont il faut se méfier ou s'éloigner. Il n’est pas perçu comme « étrange » ni comme une « étrangeté ou étran-jeté ». Il n’est pas jeté. Au contraire, on cherche à mieux le connaître et à lui faire découvrir les différentes facettes du pays, la richesse de la culture, les valeurs ou tout ce qui fait le charme du Sénégal.

Pays de culture plurielle et de tolérance, « havre de paix » sur un continent en proie à des conflits, le Sénégal se présente comme un exemple de démocratie en Afrique. Il est engagé depuis son indépendance et en particulier depuis l'alternance politique intervenue en février 2000, dans une formidable dynamique de changement et de progrès politique.

Estimée à12 millions d'habitants 11 , sa population est relativement jeune, près de 58% des citoyens ont moins de 20 ans. Cette population est inégalement répartie sur le territoire national. Si la densité moyenne nationale est de 61 habitants au km2, elle est de 2 710 habitants au km2 à Dakar et de 6 habitants au km2 à Tambacounda. La population est à 50% « urbaine » ou semi-urbaine avec une forte ruralisation de l’espace urbain. Les paysans et les éleveurs, de par l’exode rural massif depuis les premières sécheresses des années 70, ont envahi les villes et principalement la ville de Dakar, créant ainsi des bidonvilles et imposant en quelque sorte leur culture rurale à la ville d’accueil. Il est fréquent de croiser dans certaines rues de la capitale des animaux en divagation (moutons, chèvres, poules, canards et même des vaches).

L’insalubrité urbaine s’explique en partie de par des habitudes rurales consistant à vivre avec les déchets domestiques et à faire ses besoins naturels derrière les concessions. Les ruraux ont également investi le commerce dans une dynamique informelle, inorganisée et ne respectant aucun principe administratif de l’activité commerciale. Ils occupent les trottoirs où ils exposent leurs marchandises en jouant au chat et à la souris avec la police à longueur de journée, en incommodant aussi les acheteurs, les paisibles passants et surtout les touristes.

Le pays compte une vingtaine d'ethnies dont les plus représentatives sont les Wolofs (43,7%), les Haalpulaar qui regroupent les Toucouleurs et les Peuhls (23,2%), les Sérères (18%), les Mandingues, les Bassaris (3,5%), les Diolas et les autres ethnies du sud du pays (4,7 %). La population est composée à 90% de musulmans, et 10% de chrétiens et d'animistes.

Le français est la langue officielle, elle cohabite dans la vie courante avec plusieurs langues nationales dont le diola, le malinké, le pulaar, le sérère, le soninké et le wolof. La promotion de ces langues dans l'enseignement est devenue une priorité nationale. Le wolof est la langue la plus partagée et la plus parlée, loin devant le français et, même au sein des administrations où la langue de travail est normalement le français. D’ailleurs, un étranger qui veut être intégré dans le tissu social doit se mettre au wolof au plus vite. Seulement, le wolof est bien édulcoré et se compose de moitié de mots étrangers, français principalement, pour exprimer la modernité. Ce qui fait qu’un étranger parlant le français peut facilement arriver à comprendre et à entrer en communication en wolof avec peu de bagages linguistiques locaux.

Dakar, capitale du Sénégal et ville cosmopolite, compte avec sa banlieue un peu plus de quatre millions d'habitants. Elle représente 0,28% du territoire national mais concentre 44% de la population totale. Elle fut fondée en 1857 par les Français sur l'emplacement d'un village de pêcheurs. Son importance commerciale se développa à partir de 1885 grâce à la mise en service de la liaison ferroviaire avec la ville de Saint-Louis sur le fleuve Sénégal. Elle est actuellement le centre politique, administratif, économique et culturel du Sénégal. La ville est construite sur une rade en eau profonde qui lui permet d'affirmer, dès les années 1860, sa vocation portuaire. Et en plus de son aéroport international et de sa position géographique, Dakar est un carrefour stratégique et une porte d’entrée pour l’Afrique occidentale.

Au plan politique, on peut noter que, après plus d'un siècle de colonisation française, le Sénégal a eu son indépendance le 4 avril 1960. Et, en février 2000, le pays a connu l'alternance politique. C’est ainsi qu’après 40 ans de règne sans interruption, le parti socialiste (PS) a été succédé au pouvoir par le parti démocratique sénégalais (PDS). L’actuel Président de la République Abdoulaye Wade, après un quart de siècle d'opposition et de présentation à plusieurs élections présidentielles sans succès, a été finalement élu et après un deuxième tour en 2000 et réélu en 2007 au premier tour.

Dans l’œuvre de construction d’un Sénégal moderne, le processus de démocratisation des institutions (débuté en 1960) constitue une donne majeure avec une adaptation des institutions de la Ve République française. La séparation des pouvoirs est amorcée dans la Constitution avec un pouvoir législatif, un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire est doté d’un Conseil constitutionnel, d’un Conseil d'Etat, d’une Cour de Cassation et de tribunaux d’instance 12 .

Le régime politique est de type présidentiel édulcoré avec un Président de la République (élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois) qui nomme le premier ministre. Depuis l’instauration du pluralisme politique intégral en 1981, on compte plus de 50 partis politiques régulièrement constitués et reconnus par le Ministère de l’Intérieur. La liberté de la presse est reconnue et garantie : les journaux et radios privés font la concurrence aux médias d’Etat sous la supervision d’un Haut conseil de l’audiovisuel. L’Observatoire national des Elections (ONEL) est un organe consensuel entre les différents acteurs de la vie politique, c’est à dire les partis politiques et les Organisations de la Société civile pour la transparence des élections. Il a été remplacé depuis 2000 par la CENA (Commission électorale nationale autonome). Les jeunes participent à l’élection des élus politiques, l’âge électoral est abaissé à 18 ans. Un Médiateur de la République joue un rôle de médiation entre les citoyens et la puissance publique sur toutes les questions liées aux droits des individus et des communautés. Le vote n’a pas un caractère obligatoire. Cependant, le Gouvernement a usé d’une stratégie pour amener les sénégalais à s’inscrire massivement sur les listes électorales, en imposant de nouvelles cartes nationales d’identité numérisées qu’on peut obtenir gratuitement, à la condition de demander en même temps la carte d’électeur numérisée. Le résultat est que pour la première fois au Sénégal, le nombre d’inscrits et le nombre de votants sont passés presque du simple au double.

Au plan économique, l'agriculture occupe la grande majorité de la population (70% des actifs). Cependant, la pêche, le tourisme, l'arachide, et les phosphates, constituent les principales ressources d'exportation du pays 13 . Les industries concentrées dans la région de Dakar sont liées à la transformation de l'arachide (huile), des phosphates (engrais) et des ressources halieutiques (conserves). Elles sont également liées à la manufacture de textile (coton), à la fabrication de produits pharmaceutiques, ainsi qu'au montage et à la réparation de matériels agricoles et de transport.La France est de loin le premier partenaire commercial du Sénégal.

Au plan sanitaire, le rapport national sur les résultats définitifs du recensement général de la population et de l’habitat mentionne que dans l’ensemble du pays, sur mille habitants, 20 présentent un handicap, 21 pour les hommes contre 19 pour les femmes 14 . Dans ce même rapport (ci-dessous référencé), on peut lire que la prévalence de la lèpre et des maladies mentales est très faible. Ce qui est un peu décalé par rapport à la réalité de la situation des personnes en situation de handicap, surtout dans la ville de Dakar. Néanmoins, le rapport national trouve une explication à la faible prévalence de la lèpre et des maladies mentales dans les résultats définitifs, car certains lépreux et malades mentaux sont plutôt comptabilisés dans la population comptée à part (ménages collectifs) et flottante (population sans domicile).

Le rapport révèle aussi que la prévalence des déficiences motrices et visuelles augmente avec l’âge : ainsi après 55 ans, entre 24 et 44 personnes sur mille ont une déficience soit motrice, soit visuelle. Les autres types de déficiences représentent un pourcentage de près de 9 pour mille. Le document du colloque international sur l’éducation intégratrice donne les chiffres suivants pour le Sénégal : 37 % de déficiences motrices ; 33 % visuelles ; 12 % auditives ; 12 % mentales ; 3 % pigmentaires (albinos) ; 3 % lépreux mutilés guéris 15 .

Les chiffres donnés par les deux rapports sont un peu décalés, mais ils montrent quand même l’importance en nombre et en diversité des situations de handicap au Sénégal. En tout état de cause, la ville de Dakar est très bien fréquentée par des personnes en situation de handicap et d’errance, elle est appelée par ces dernières « le paradis de la mendicité ».

Environ, 90 000 personnes y font la manche au quotidien, dont 60 % de talibés (Elèves des Ecoles coraniques envoyés par leurs marabouts à travers la ville pour l’aumône). Les statistiques de la Direction de l’Action Sociale (DAS) révèlent que 70% des mendiants viennent des pays limitrophes, notamment du Mali et de la Guinée-Conakry  et que 40 % des lépreux sont originaires du Mali 16 .

Les points stratégiques de mendicité sont évidemment les lieux de culte (mosquées, églises), les grandes rues passantes et commerciales ainsi que les marchés et les portes des restaurants, des bars et des banques. Les personnes en situation de handicap et d’errance dans la ville de Dakar s’adonnent massivement à la mendicité car cette activité est rendue possible et lucrative du fait des croyances populaires et religieuses qui s’y rattachent. En effet, l’Islam et le Christianisme recommandent une forme d’entraide consistant à soutenir le pauvre, une action bien récompensée par Dieu à celui ou celle qui donne la charité ou l’aumône à un nécessiteux.

Une autre croyance de type animiste mais aussi populaire que la croyance religieuse monothéiste décrite ci-dessus consiste à donner aux mendiants pour se débarrasser d’un mauvais sort ou pour réussir un projet personnel important de la vie (examens, emploi, etc.). Le Charlatan (ou le marabout) prédit des choses bonnes ou mauvaises pour la personne qui le consulte, alors il lui recommande de faire une offrande à un mendiant. Ce qui permettra d’exhausser le vœu de l’intéressé. Si c’est pour conjurer le mauvais sort, la personne qui donne n’hésite pas à enrouler sa main avec le cadeau autour de sa tête avant de remettre la chose à donner à celui qui reçoit. Ce dernier prie pour le donateur. Le phénomène de la mendicité frappe durement le visiteur étranger dès qu'il met le pied au Sénégal. Les mendiants sont innombrables, ils sont des deux sexes et de tous âges. Des vieux lépreux aux pauvres enfants, la communauté est sans cesse sollicitée par ses pauvres.

Les personnes en situation de handicap et d’errance sont notamment des adultes hommes et femmes atteints de lèpre, des aveugles et des martyrs de la poliomyélite. Ne bénéficiant d’aucune ressource, ni d’aucune allocation ou aide de la part de l’Etat ou des Collectivités, ces personnes sont forcées de mendier dans la rue pour avoir un revenu et soutenir une famille.

Le travail étant une denrée rare même pour les « valides », les personnes en situation de handicap et d’errance ont très rarement l'occasion de trouver un travail. Quelques associations œuvrent dans ce sens en leur proposant des travaux de confection dans des ateliers de réintégration. Mais c'est rarissime.

La solidarité de la communauté doit donc permettre aux plus courageux d’entre elles d'avoir un petit revenu de subsistance. Dans les lieux de manche, les passants sont ainsi sollicités. Tantôt ils donnent une pièce de monnaie (5, 10 ou 25F CFA), tantôt ils donnent en nature (bougies, cola, riz, tissu, etc.) et la plupart du temps sur la recommandation d’un marabout.

Le plus inquiétant vient du fait qu'il n'est pas rare, notamment pour les aveugles, de les voir accompagnés d'un enfant qui leur sert de guide. Les enfants ne fréquentent pas l’école et ils font toute leur jeunesse dans la rue en compagnie de leurs parents. On voit aisément le cercle vicieux de la misère et de la reproduction sociale dans certaines familles. Il est à noter qu'ici encore, la mendicité des personnes en situation de handicap et d’errance est très différente suivant les communautés ethniques. Chez les wolofs, la mendicité ne pose aucun problème, par contre il est difficile de voir mendier une personne originaire de la Casamance (des ethnies : diola, balante, manjak ou mankagne) et ce, à la fois pour des raisons de fierté, de religion et de tradition.

On décompte environ une centaine d'associations de personnes en situation de handicap au Sénégal. La multiplication des associations des personnes en situation de handicap s'expliquerait par le fait que, d'une part, il y a plusieurs catégories de handicaps (visuel, sensoriel, lépreux, etc.) et que les associations ont été créées sur la base des catégories et des problèmes catégoriels. Ainsi, par exemple, les lépreux s’organisent pour créer leur association ou leurs associations, puisqu’il peut exister plusieurs associations de lépreux selon les départements, les villes ou simplement les affinités. D'autre part, la multiplication des associations pourrait également s’expliquer par le fait des leaders qui cherchent à être à la tête d’une organisation.

C’est ce que dit Yatma Fall, président de l'Association nationale des handicapés moteurs du Sénégal (Anhms). Il affirme que : « il y a une atomisation du mouvement des personnes en situation de handicap qui s'explique par un manque de démocratie au sein des associations. Certaines personnes voulant faire des associations un tremplin pour leur accomplissement personnel préfèrent quitter et créer leur propre groupement, si elles ne parviennent pas à diriger celles existantes  17 ». Pour lui, les dernières associations sont nées de frustrations et de scissions.

Des actions nombreuses pour la promotion et l'insertion des personnes en situation de handicap et d’errance sont menées par l'Etat, les associations de personnes en situation de handicap, les Organisations non gouvernementales (ONG) et les institutions internationales. Et cela demande une coordination que l’Etat doit assurer, comme l'a souhaité la Fédération nationale des associations des personnes en situation de handicap, le 3 décembre 2001, à l'occasion de la célébration de la Journée internationale des personnes en situation de handicap : « une structure qui s'occupe exclusivement des personnes en situation de handicap et qui sera rattachée à la primature, à cause de la transversalité des problèmes de cette catégorie sociale ». Cette structure aurait pour tâche principale de constituer un cadre de regroupement des différentes actions menées pour une meilleure harmonisation.

En rencontrant le président de la République, la Fédération des associations des personnes en situation de handicap lui a soumis un mémorandum en 32 points dans lequel figure en bonne place la participation, voire la présence de représentants des associations de personnes en situation de handicap dans les sphères de prise de décisions. Un pas important a été franchi au sortir de cette audience avec la nomination d'une personne en situation de handicap en qualité de conseiller spécial du président de la République (Laba Cissé Diop, président de la Fédération sénégalaise des associations des personnes en situation de handicap). Et la convocation d'un conseil interministériel sur la prise en charge et l'intégration des personnes en situation de handicap.

Selon le Président de l’Anhms, les dix-neuf directives retenues lors de ce conseil tenu le 30 octobre 2001, n'ont pas encore connu un début d'application par manque de coordination au sein même du gouvernement, certains ministères n'ayant pas reçu les directives. D'où, selon lui, la nécessité « de créer une autorité pour centraliser ces directives et les traduire en actes concrets, car ce conseil devait constituer un tournant important pour les personnes en situation de handicap 18 ».

Notes
11.

D’après Le Monde. 2007. Bilan du monde 2007. L’atlas de 174 pays. La situation économique internationale, Paris, Le Monde Hors série, n°M01545

12.

Adefi. 2000.Polytoxicomanies. Action individualisée. Approche communautaire, Lyon, Chronique sociale.

13.

Ce sont des indicateurs généralement avancés mais qui gagneraient à être relativisés par la situation créée par des années de sécheresse (depuis les années 70) avec leur corollaire : l’exode massif des ruraux vers les principales villes dont Dakar et Touba.

14.

Direction de la Prévision et de la Statistique. Juin 1993. Rapport national, Dakar.

15.

Institut africain de réadaptation (IAR). 1999. Rapport, Dakar.

16.

Ces chiffres de la Direction de l’action sociale (DAS) sont collectés par les services et les travailleurs sociaux du Ministère de l’Action sociale.

17.

Journal Le quotidien. 10 décembre 2000. Dakar.

18.

Journal Le quotidien. 10 décembre 2000. Dakar.