1.4.2. Les cosmogonies et les destins

La situation de handicap, comme désordre bio-physiologique, affecte l’individu dans son corps et dans sa quête de sens. Quand on prend le cas des personnes en situation de handicap du fait de la lèpre, on observe que la lèpre est surnommée au Sénégal « feebar bu mag bi» (la grande maladie en wolof). Cette dernière joue un rôle de révélateur social. Car dans ses origines, son mode de transmission, ses effets sur l’individu et son traitement font l’objet de multiples croyances. Elle est la plus grave des maladies par la gravité de son caractère incurable et stigmatisant, elle inspire une peur qui implique des conséquences sociales variables selon les régions du pays.

Loin d’une différentiation régionale ou ethnique, la plupart des groupes se rejoignent quant à leurs conceptions sur les causes et le sens donné à la maladie. La rupture d’un interdit est, croit-on, à l’origine de la lèpre. Ces interdits sont d’ordre sexuels (rapports en période menstruelle, etc.), alimentaire (silure, viande de chèvre tachetée) ou une transgression des règles de l’alliance (mariages inter-castes ou inter-clans). En ce qui concerne le mode de transmission héréditaire, il y a un rapprochement avec la sorcellerie. Dans le patrilignage wolof, le modèle de transmission est celui du sang par la mère (les règles) et par le père (le lignage) : « dëm ndeey ngaana baay » c’est-à-dire  que la sorcellerie est héritée du côté maternel et que la lèpre l’est du côté paternel 34 .

La maladie cachée comporte toujours un arrière fond de représentations collectives et individuelles. Ce sont des symboles et des mythes qui appartiennent à la culture, à l’histoire. Ils font partie, en quelque sorte de l’être humain qui les vit. Ces mythes cosmogoniques nous plongent dans l’organisation mentale des acteurs, dans l’idée qu’ils se font de Dieu, idée ayant un soubassement musulman ou chrétien (monothéisme). Mais, un monothéisme à l’africaine, c’est à dire teinté de valeurs spirituelles traditionnelles qu’on peut, la plupart du temps, opposer aux valeurs islamiques et chrétiennes. En tout état de cause, ces valeurs et ces pratiques permettent de saisir de l’intérieur la signification de Dieu, du destin, de la sorcellerie et du mauvais sort.

‘Dans la croyance populaire, on trouve deux traits typiques : celui de « Yalla » (Dieu en wolof) et celui de « Seytané » « Satan ». Yalla  est reconnu comme le créateur, l’Etre supérieur qui n’a pas d’égal et qui a créé tout ce qui existe sur la terre et dans les cieux : les êtres, les végétations et toutes choses. Mais il a créé un Etre mauvais, (Seytané), qui ne cherche qu’à détourner les hommes du « Baakhe » (le bien en wolof) pour les entraîner dans le « Bone » (le mal). Seytané  n’est pas un dieu, mais il est situé juste un peu en dessous de Yalla  car il est supérieur aux humains.’

Il semble ici nécessaire de reprendre la distinction apportée par P. Bourdieu (1980,113) entre « croyance », c’est-à-dire l’adhésion indiscutée, préréflexive et native, et « foi », c’est-à-dire l’adhésion décisoirement accordée avec l’adoption d’un corps de dogmes et de doctrines instituées. Les personnes en situation de handicap et d’errance vivent ces croyances. Elles voient dans chaque phénomène de leur vie la manifestation de la volonté divine si ce n’est la main invisible et méchante de  « l’autre ». Yalla (Dieu) est invoqué et mêlé à toutes les incantations et rites. Il est omniscient, tout-puissant. On l’invoque dès lors pour sa bonté. Il décide de notre vie ici sur terre et après la mort au ciel. Personne ne peut se dérober à son destin.

Il est très difficile de situer cet arrière-fond cosmogonique dans l’Islam, le Christianisme, l’animisme ou le paganisme. C’est une sorte de mélange de tous ces éléments, sans en être intégralement l’un ou l’autre. On est en présence d’un syncrétisme religieux, spirituel et culturel. C’est à dire une symbiose d’éléments différents rendant difficile la question de savoir : qu’est-ce qui est apport de l’Islam ou du Christianisme et qu’est-ce qui est spécifique aux croyances traditionnelles africaines ? De toutes les façons, le Sénégal est ouvert aux apports fécondants de l’extérieur et ceci depuis plusieurs siècles.

Les notions de pollution 35 prennent sens dans les rites de séparation. Ces rites lient les cheminements internes, les limites et les marges des structures totales de la pensée les uns aux autres.

La pensée sémitique est bâtie sur une opposition : la vie / la mort, la bénédiction / la malédiction. L’homme se situe face à ce choix : vivre l’Alliance avec Dieu ou mourir. Dans la cosmologie du Premier Testament, les notions de puissance et de danger sont prégnantes. Quand Dieu donne sa bénédiction, il ouvre la source de tous les biens, de la fertilité de la terre, du peuple et de son bétail. Quand il la retire, la puissance de sa malédiction se déchaîne et il y a stérilité, pestilence et confusion. De la sainteté naît l’ordre, de l’abomination surgit le désordre.

L’impureté signifie une atteinte par le « péché », ce qui veut dire que la vertu vivifiante du Dieu d’Israël est touchée. C’est pourquoi des rites assimilés au sacrifice pour le péché font partie de la réintégration à la communauté de la personne en situation de handicap. Au rite d’expiation de son impureté, qui se fait à partir du sacrifice pour le péché (appelé aussi sacrifice de réparation), s’adjoint l‘holocauste accompagné d’oblation :

« Celui qui se purifie nettoiera ses vêtements, il se rasera tous les poils,

il se lavera à l’eau et sera pur. » (Lév. 14,8) 

Parmi les usages primitifs repris dans le rite de purification, on retrouve l’ablution ainsi que la différenciation entre les côtés droit et gauche de l’homme. Le sang (symbole de la vie livrée, de la mort qui redonne la vie) et l’huile (utilisée comme médicament pour soigner, mais aussi pour donner de la force) sont versés sur le lobe droit de l’oreille (l’écoute), le pouce de la main droite (l’agir) et le pouce du pied droit (la marche). Les sept aspersions se font avec l’huile déposée dans le creux de la main gauche. Le reste de l’huile est mise sur la tête de celui qui se purifie. Les qualités de l’homme, qui était « mort », sont ainsi revivifiées.

L’homme n’est plus assimilé à son stigmate. En le sauvant, Jésus prend sur lui l’impureté et se fait « péché » pour sauver l’humanité, tel le bouc émissaire. (René Girard, 1998). Jésus synthétise ainsi sa mission, lors de sa réponse à Jean-Baptiste :

« Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Luc, 7,22). On y voit clairement combien l’image du lépreux est associée à l’impureté. Car il ne s’agit pas principalement de guérison, mais de purification.

Dans la tradition chrétienne, la maladie et la malédiction ne sont plus assimilées. Lèpre et impureté sont définitivement séparées. Le lépreux devient un autre Christ, d’où la tradition du « baiser au lépreux » de Saint François, repris par Péguy et bien d’autres. De là découlent les conduites d’assistance aux pauvres, aux malades et aux affligés. Dans cette lignée, un homme a particulièrement marqué l’histoire contemporaine, c’est Raoul Follereau dont l’association est particulièrement active au Sénégal.

Dans la tradition islamique, qui prend sa source dans la tradition judéo-chrétienne, la lèpre relève d’une élection, voire de la sainteté. Car elle est un fait de Dieu ; tel le signe fourni par la main de Moïse couverte de neige lépreuse. Ainsi, la personne malade, qui a déjà souffert en ce monde, sera délivrée dans l’au-delà. Le Coran reprend la guérison du lépreux par Jésus (sourates III 48 et V 110). Selon Filali et Meziou 36 , le prophète des musulmans a parlé de cette maladie  de deux façons. Pour réconforter le malade, il aurait pris la main du lépreux pour la mettre dans le plat afin de manger. Cet acte de compassion est assorti d’une croyance, à savoir que le vrai musulman ne peut être contaminé. En même temps, il invite les gens à éviter la contagion :

‘« Fuyez le lépreux, comme vous fuyez le lion ! »
« Ne regardez pas de trop près le lépreux et, si vous lui parlez,
observez une distance égale à la portée d’une lance 37 »’

Le comportement du prophète reflète les réalités de son époque où l’on croyait que la maladie se transmettait par voies aériennes supérieures. L’homme atteint par la lèpre et mutilé était néanmoins reconnu comme homme à part entière et il pouvait participer aux activités communes. Il n’y avait pas d’attitude ségrégationniste vis à vis des malades. Et l’on pensait que Dieu donnait une récompense spirituelle à ceux qui étaient atteints par la lèpre. Un mérite spécial était attaché à leur vie.

La prise en compte des personnes en situation de handicap du fait de la lèpre est associée à un recul-séparation obligatoire. Les « relargages » des malades dans les rues des villes sont dus au manque de moyens pour subvenir à leurs besoins. C’est ce qui a donné naissance à un sentiment de suspicion à leur encontre. Le personnage de la personne en situation de handicap et d’errance a été en partie associé à la tromperie, au calcul, à la manipulation, à l’avidité et à la jouissance.

La croyance domine toute la vie des personnes en situation de handicap et d’errance vivant à la rue. Elle la marque très profondément avec des croyances et des pratiques rituelles certes, mais et surtout une sorte de fatalité très présente.

‘« Lii moo jiitu sa juddu ! » (Ceci préexiste à ta naissance !).’

Ce « fatalisme » est très répandu dans la société sénégalaise, ce n’est point l’apanage des personnes en situation de handicap et d’errance. Il constitue un atout et un frein : l’atout est que cela permet, en tout cas, de transcender certaines dimensions (tout ce qui n’est pas maîtrisé par l’individu et /ou la communauté). Il constitue aussi un frein parce que le fatalisme ferme toute initiative et toute possibilité de recherche de solution vraie au problème posé, ou il n’agit que sur les bords et rebords. Il reflète alors une mentalité peu ouverte à des changements ou à la possibilité humaine de modifier le cours des choses. Il est important de préciser la forme originale du fatalisme chez les personnes en situation de handicap et d’errance qui s’exprime en termes de « Lu Yalla toudeu » (ce que Dieu a décidé), à savoir que seul Dieu décide souverainement de notre sort. C’est lui qui donne le bonheur ou le malheur.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’on doit comprendre comme une tentative de compensation le fait que certaines personnes en situation de handicap et d’errance acceptent avec fierté l’appellation « Waa Yala » (« homme de Dieu »). C’est une réponse à leur demande d’aumône : « Nguir Yallah » (au nom de Dieu).

Cette tonalité affective, psychologique, spirituelle et cette fatalité existentielle sont étroitement liées aux conditions de dénuement total face à la situation de handicap et d’errance. Cette notion de destin est utilisée pour développer des propos sur les situations de souffrance dans leurs contextes culturels. Mais elle ne rend pas compte ni de la vie de la personne en situation de handicap et d’errance, ni de son itinéraire. Venir mendier à Dakar relève d’une liberté d’action. Il est la conséquence de ce vécu contextuel qui se concrétise dans ce choix de la mendicité. Un choix qui relève souvent d’un long mûrissement de la personne en situation de pauvreté extrême. Des enjeux vitaux qu’elle décide de jouer pour garder sa dignité : celle de ne pas être à charge des autres, celle aussi d’être utile et de nourrir sa famille. L’itinéraire de vie est constitué de ces choix et de ces mises en application qui s’entremêlent. Un chemin fait de rencontres, de départs et d’arrivées. Un chemin fait de confiance et de défiance, ainsi que de conventions et de déviances.

Si la croyance en un Dieu unique et omniscient est une réalité, une autre réalité est la croyance aux Esprits (bons et mauvais) qui apportent le bonheur ou le malheur. Pour les wolofs, les catégories étiologiques sont constituées de plusieurs unités complexes de représentations. Il existe des génies préislamiques appelés « rab ». Ces esprits des ancêtres se manifestent sous forme de possession. Ils sortent pendant certains moments de la journée (notamment vers 14H, ou à la tombée du jour et au mitan de la nuit). Il est fortement décommandé de se promener à ces moments là, et en particulier de passer ou de se reposer dans le périmètre de certains arbres. Le baobab est un de ces arbres mythiques. Certains baobabs sacrés sont aujourd’hui encore des lieux de culte.

Les génies islamiques, « jinné » ou « seytané » (anges ou démons), sont similaires aux « rab » (génies). Ce que les génies veulent, c’est la richesse ou le pouvoir. Les histoires d’hommes et de femmes ayant perdu la raison en sortant pendant ces moments néfastes ou en passant sur des lieux habités par les génies font partie de la culture populaire.

On trouve couramment l’expression « on m’a travaillé » pour exprimer l’origine d’une maladie ou d’un profond malaise (voire d’une maladie mentale). Ces figures de la persécution se retrouvent dans plusieurs ethnies sénégalaises. Deux types d’acteurs peuvent être à la source de ce « travail » :

les « dëm » ou sorciers-anthropophages peuvent dévorer le principe vital de l’individu qu’ils attaquent. Ils sont issus de la lignée utérine.

les « serigne » ou marabouts qui utilisent une magie interpersonnelle appelée « ligey » (le « travail » littéralement. C’est l’œuvre maléfique, le mauvais sort jeté par le marabout d’où l’expression : « on m’a travaillé »).

L’univers étiologique du guérisseur, avec la sorcellerie – anthropophage, ne fonctionne pas forcement en système binaire avec l’univers étiologique des marabouts. Car ceux-ci utilisent également l’essentiel des pratiques traditionnelles, dont le dialogue avec les esprits ancestraux (avec éventuellement la mise en œuvre de vengeances personnelles). Un homme en témoigne :

« J’ai eu la maladie à seize ans. Ma mère était une fervente musulmane qui croyait aux esprits. Elle m’amenait d’un guérisseur à l’autre, d’un marabout à un voyant. Elle allait les voir tous. C’est le « djinn du crépuscule » disait l’un ; c’est le « vent maudit du soir » ; c’est « Satan » proclamait l’autre. Chacun amenait ses gris-gris, ses eaux purificatrices, ses clics et ses clacs, mais ça empirait. Mon oncle maternel, un intellectuel, a conseillé à ma mère d’aller au dispensaire. Et là, on a fait les analyses».

Derrière tout cela, c’est la guérison qui est désirée et recherchée. La mentalité des personnes en situation de handicap et d’errance est dominée par la recherche du bonheur et de la chance au milieu d’une perpétuelle incertitude, comme on l’a vu dans les chapitres précédents. On comprend la charge affective et religieuse qu’elles projettent sur ces mystères de la maladie et de la mort. Il existe une grande diversité de rites et de croyances relatifs à la maladie chez elles. Elles appartiennent à des sous cultures et à des ethnies différentes. On peut citer le Wolof, le Sérère, le Toucouleur et le Diola qui constituent les quatre principales ethnies parmi les dizaines que compte le Sénégal. Elles sont majoritaires au niveau démographique et linguistique. Elles ont des rites divers selon les croyances et les coutumes spécifiques.

On observe également des différences dans les pratiques de médecine populaires et traditionnelles. Mais, il faut s’empresser de dire qu’une personne malade peut consulter des guérisseurs d’ethnies différentes. Parce que, ce qui l’intéresse c’est de guérir. A ce niveau, elle ne fait pas de cloisonnement, de différenciation ethnique quant il s’agit de maladie et de guérison. Un malade habitant la partie nord du pays peut consulter des guérisseurs, des tradipraticiens dans le centre du pays ou complètement dans le sud du pays. Les grands « serignes » (marabouts), les grands tradipraticiens et les grands guérisseurs sont presque connus à travers tout le pays et ils sont en cela visités par des malades venant de tous les coins du Sénégal, des fois même de la sous-région subsaharienne.

L’origine de la maladie paraît toujours mystérieuse. Et on trouve souvent une explication par une origine qu’on qualifie de surnaturelle ou en tout cas qui est le fait d’une tierce personne ou simplement d’un mauvais esprit. Toute la maladie s’insère dès lors dans un contexte « religieux » total, en raison de l’absence complète de séparation entre ce qui est corporel d’avec ce qui est spirituel. A la sensibilité particulière au contexte s’ajoute un univers religieux, encore très proche de la nature, qui surplombe l’homme. On pense que les êtres surnaturels (les « djinns », les Esprits bons et mauvais) ont non seulement des formes corporelles mais encore qu’ils vivent réellement en symbiose avec le monde des humains. Ils sont cachés comme tels aux yeux des humains, sauf pour quelques personnes privilégiées : les marabouts, les tradipraticiens et les sorciers. Ils se manifestent de façon sensible, de manière fort variée, en particulier dans les phénomènes naturels. En somme, nous nous trouvons face à une forme classique de l’animisme qui est la religion traditionnelle africaine.

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant de voir expliquer la maladie par l’introduction dans la personne d’un esprit mauvais qui entre en lutte avec l’esprit vital que tout homme porte en lui. En effet, dans la culture traditionnelle, on pense que chaque être humain est habité doublement par un esprit bon et un esprit mauvais. Ils sont en antagonisme. Dans cette lutte, la maladie est le fruit de la victoire de l’esprit mauvais.

L’esprit bon constitue l’esprit protecteur. Il peut délaisser le corps humain pour une raison ou pour une autre. Il rend alors la personne vulnérable à d’autres esprits et au mauvais sort. Chez les wolofs, on appelle cet esprit « Djinné bou bakh » ou « Rab bou bakh ». Il joue le rôle de second ou de double de la personne. C’est un esprit protecteur, on peut le comparer à cette croyance biblique de l’ange gardien qui veille sur l’homme.

Dans la culture wolof, « Seytané» (Satan) est assimilé à un démon pathogène. L’homme ou son corps peuvent être le siège d’une lutte vitale : celle de l’individu, protégé par son esprit protecteur, et des esprits mauvais (tels que Satan) qui s’efforcent de pénétrer dans son corps. Cette lutte, dont l’enjeu est la victoire de l’un ou de l’autre, se manifeste par la maladie. Dans les cultures locales (Wolof, Diola, Toucouleur etc.), les maladies sont donc le fait des actions des démons pathogènes.

On n’est pas dans une explication scientifique de la maladie. C’est ce qui fait d’ailleurs que quand quelqu’un est malade, le premier réflexe est d’aller chez le marabout, le guérisseur, le tradipraticien avant de penser à l’hôpital, au dispensaire ou au médecin. Les techniques de guérison de la médecine traditionnelle sont basées sur des prières, des incantations visant à demander le secours à Dieu ou aux esprits bienveillants ou bien à ordonner aux démons pathogènes de quitter le corps du malade (exorcisme).

Ainsi on le voit aisément, les tradipraticiens, les marabouts, les guérisseurs, les charlatans constituent des sortes de médiateurs de salut avec un seul sens concret, la recherche du bonheur à travers une existence sans cesse menacée. Le bonheur est recherché principalement dans la lutte contre la maladie et la malchance. Ces dernières sont dues à l’action extérieure des démons, des mauvais esprits et des mauvais sorts. La conquête du salut est, par conséquent, à la fois une action médicinale et thérapeutique et un geste religieux visant à rétablir le malade dans une sorte d’état de grâce vis à vis des puissances supérieures bénéfiques.

La fonction de guérisseurs implique la possession de pouvoirs surnaturels se manifestant dans l’emploi de formules mystérieuses, de rites précis et établissant entre le guérisseur et le malade un rapport mystérieux et magique. C’est en cela que la médecine traditionnelle se démarque de la médecine classique (dite aussi moderne) car pour la première les représentations religieuses ne sont pas dégagées d’une vision sensible des choses. L’action du guérisseur consiste surtout à une lutte avec l’esprit mauvais présent dans le malade, lutte ayant pour but d’expulser le démon.

L’action du guérisseur a pour fonction principale d’aider la vie du malade à ne pas se laisser expulser par le démon. La rapidité et l’assurance de la guérison dépendent évidemment de la force magique que possède le guérisseur, mais aussi de l’emploi des moyens magiques qui varient en intensité et en signification selon le stade de l’intervention, surtout selon la grandeur de la résistance posée par le démon.

Les guérisseurs peuvent ordonner le sacrifice d’animaux quand la maladie monte dangereusement et que les forces du malade déclinent. Il peut demander à la famille du malade de tuer un agneau, un poulet, parfois même un bœuf. Au moment de l’offrande, le guérisseur s’agite, fait des prières, des incantations, commande aux esprits mauvais de quitter le corps du malade et demande à la vie du malade de revenir. La guérison a lieu quand l’opération réussit et quand le démon a entièrement évacué le corps du malade.

Notes
34.

Fassin, Didier. 1992. Pouvoir et maladie en Afrique, anthropologie sociale de la banlieue de Dakar, Paris, PUF.

35.

Douglas, Mary. 2001. De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, la Découverte.

36.

Filali, Abderrahman Baba et Meziou, Taha Jalel. 2003. Lèpre et Islam, http://www.sfdermato.org/allf/plus12.pdf

37.

Filali, Abderrahman Baba et Meziou, Taha Jalel. 2003. Lèpre et Islam, http://www.sfdermato.org/allf/plus12.pdf , p.1