3.1.2. Les lieux et les moments des rencontres

A priorinous avons décidé de limiter cette recherche aux personnes en situation de handicap et d’errance. Très rapidement, nous l’avons restreint aux personnes adultes. Car les enfants mineurs présents à la rue posent des problématiques complexes, qu’ils soient en famille, isolés ou organisés en bandes (notamment les talibés à Dakar et les jeunes en fugue à Lyon). Ces personnes constituent une population relativement hétérogène par leur région d’origine et leurs parcours de vie, mais homogène par leur façon de survivre à la rue.

Les personnes en situation de handicap et d’errance se trouvent principalement dans le centre des villes de Dakar et de Lyon. Majoritairement aux alentours des lieux de culte : églises et mosquées. Elles s’installent également au niveau des rues et des endroits très fréquentés : la poste, la gare, les banques, les restaurants, les marchés, les hôpitaux, etc.

A Dakar : principalement devant les bars et restaurants avant minuit. Et après minuit, dans les squats. En général, les personnes rencontrées vivent en groupes mixtes, avec la plupart du temps des enfants de tous les âges (bébés et enfants de 2 à 15 ans). Elles occupent des immeubles désaffectés sans eau ni électricité mais qui offrent la possibilité de disposer de chambres indépendantes. Elles n’y restent pas longtemps car elles sont très souvent déguerpies par les propriétaires avec l’aide de la police. Ce qui les pousse la plupart du temps à dormir sur des cartons et à ciel ouvert. Une certaine occupation de l’espace leur rappelle le village et la culture de séparation des sexes :

les hommes seuls sont installés sur le trottoir des artères principales de la ville entre la place de l’Indépendance et le marché Sandaga,

les couples (avec quelques personnes seules) sont installés sur les trottoirs qu’ils occupent sur des mètres chaque soir, dans de petites rues qui donnent sur de grandes avenues (William Ponty, etc.), à l’angle de grandes surfaces (magasins) ou de banques.

les femmes dorment en groupe sur le trottoir en face de celui où sont les hommes. Quelques rares femmes restent seules et cherchent des recoins pour se protéger.

Un groupe de femmes de l’ethnie sérère, avec deux enfants, devant l’office des anciens combattants, à 100 mètres de la cathédrale.

Des hommes en groupe ou isolés devant la poste et tout au long du trottoir de la rue Blanchot qui mène à la mosquée « Blanchot ».

A Lyon, les personnes en situation de handicap et d’errance sont majoritairement dans les centres d’hébergement d’urgence, surtout pendant l’hiver. Ces centres ouvrent leurs portes à partir de 16H (sur la demande de la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale - DDASS). La plupart des personnes sans abri rejoignent les structures très tôt en fin d’après-midi, et ce, au plus tard à 19H de façon à pouvoir prendre un repas chaud pour dîner.

Les personnes qui appellent le 115 pour obtenir une place, lorsque le dispositif est saturé, peuvent attendre dans la rue et jusqu’à minuit une hypothétique orientation vers un centre d’hébergement. Avec l’insuffisance des places, c’est presque un « il n’y a pas de place disponible » qui leur est servi. Le Samu social vient rencontrer et transporter les personnes sans abri signalées par le 115.

Certaines personnes rejoignent les squats dans lesquels elles sont installées soit en groupe, soit seules (en le faisant avec la plus grande discrétion pour éviter les « mauvaises visites »).

Sinon, elles sont dans les gares, les rues et sous les ponts. Elles sont rarement en grand groupe (ou en famille comme à Dakar), hormis les familles de demandeurs d’asile. Néanmoins, certaines évoluent par petits groupes de 2 à 3 personnes.

A Dakar, nous avons fait des rencontres en journée, mais principalement le soir et la nuit, lorsque les personnes en situation de handicap et d’errance n’ont plus besoin de pratiquer la mendicité. Habituellement les groupes se disloquent le matin à l’aube et chacun rejoint les lieux stratégiques de la ville, soit de façon isolée, soit en petits groupes. Les plus fatigués reviennent se reposer en journée sur certains lieux de « couchage » (squats, interstices urbains, etc.). A Lyon, les centres d’hébergement sont fermés de 10H à 16H. Certains centres accueillent en journée et sous certaines conditions les personnes malades. A certains moments de la journée, des groupes se reconstituent près des lieux stratégiques, en particulier pour manger (Dakar) ou pour consommer de l’alcool (Lyon), notamment autour des accueils de jour.

En général, les rencontres individualisées que nous avons eues dans la rue ont été exceptionnelles et courtes, car les autres membres du groupe viennent voir ce qui se passe participant ainsi à l’entretien. Ce qui a permis de favoriser des réflexions entre différents groupes qui n’avaient pas l’habitude d’échanger entre eux. Nous avons pu nous rendre compte de la structuration interne de ces groupes, avec leur hiérarchisation et leurs modes de solidarité. A Lyon, certains entretiens individualisés se sont faits dans les centres d’hébergement et les accueils de jour.