3.1.3. Le support de communication et l’interaction entre les chercheurs

Les enquêtes ont été menées majoritairement en français, avec des variations à Dakar. Le français est la langue officielle du Sénégal, mais c’est une langue réservée à l’administration et aux « intellectuels », c’est à dire à ceux qui sont allés suffisamment à l’école. Les jeunes le parlent pour faire du commerce au niveau des marchés. Par contre, il existe une dizaine de langues nationales dont le diola, le poular, le sérère et le wolof. Le wolof est de loin la langue la plus parlée dans le pays, particulièrement à Dakar. Ainsi, c’est aussi la langue courante qui a été utilisée lors de la plupart des entretiens, pendant lesquels Aliou devient soit l’interlocuteur direct des personnes interviewées, soit le traducteur auprès de Martine. Parfois la communication s’effectue en français, mais il est à remarquer que, dans les moments les plus passionnés de ces échanges, la langue wolof est spontanément utilisée. Nous précisons que les entretiens concernant les personnes en situations de handicap et de vie à la rue à Dakar ont été faits majoritairement en wolof.

A Lyon, nous avons rencontré quelques fois la barrière de la langue, notamment avec les demandeurs d’asile venant des pays de l’Est, d’Afrique noire ou du Maghreb. Nous avons « bricolé » pour communiquer, soit en anglais, en allemand ou en italien. Parfois, l’un d’entre eux parvenait à traduire approximativement en français.

La rencontre avec la population cible de cette recherche a mis en scène plusieurs formes d’interaction entre nous deux chercheurs. Les rencontres ont été généralement effectuées avec la présence et l’intervention des deux chercheurs (à la fois et ensemble). Nous créons le premier contact en nous présentant et en expliquant le but de notre recherche. S’agissant du site de Dakar, nous faisons les salutations dans la langue locale, le wolof.

Comme l’un d’entre nous est d’origine sénégalaise et de l’ethnie wolof, cela constitue pour nous un atout certain qui nous épargne d’un long round d’observation ou de la nécessité de passer par l’intermédiaire d’un traducteur. La présence du second chercheur, d’origine française et « toubab » (c’est à dire « blanche » ou occidentale en wolof), crée un effet de curiosité et génère parfois des attroupements. De notre point de vue, ces attroupements sont dus au fait que, d’une part, il est inhabituel que des « toubabs » s’arrêtent pour s’entretenir avec des personnes en situation de handicap et d’errance et, d’autre part, l’idée que le « toubab » est riche et peut donner de l’argent induit un comportement de dépendance. La présence, à la fois féminine et « toubab », a eu au moins deux conséquences majeures dans le cadre de nos enquêtes : d’une part elle a aidé à une attention marquée, d’autre part, elle a créé un effet amplificateur dans le milieu des personnes en situation de handicap et d’errance.

Notre interaction sur le terrain est très soutenue du fait que nous discutons les réponses données par nos interlocuteurs avec toujours la traduction franco-wolof. Ce qui n’empêche pas à Martine de continuer son apprentissage du Wolof, débuté depuis son premier séjour au Sénégal en 1999. Une des difficultés majeures est de traduire fidèlement les idées développées en terme de métaphores, de proverbes ou d’anecdotes significatives dans une culture.

Le fait que nous soyons un homme et une femme semble comporter des avantages allant dans le sens de ce que, dans la culture des personnes interviewées (culture rurale et empreinte de croyances religieuses musulmanes notamment), les femmes sont plus promptes à s’adresser à une femme qu’à un homme. Nous avons joué sur cet équilibre à chaque fois que cela semblait nécessaire pour aborder une personne ou un groupe. Quant aux hommes, ils s’adressent à l’un ou l’autre chercheur ou à tous les deux, sans aucune difficulté hormis celle de la langue française.

Un certain nombre d’entretiens ont été faits par l’un ou l’autre des chercheurs séparément. Alioune SY, un homme d’une soixantaine d’années engagé dans le suivi des actions sociales et humanitaires à Hann, a accompagné Martine et assuré la traduction. Si cela représentait certaines limites de temps à autre compte tenu de la traduction qui n’était pas toujours exacte, cela a présenté l’avantage de développer une réflexion intéressante sur les situations des personnes en situation de handicap et d’errance, de par l’implication d’Alioune.

Intervenant comme travailleurs sociaux salariés depuis plus de dix ans sur le site de Lyon, nous sommes devenus tous les deux très connus par les personnes en situation d’errance, tant dans la rue que dans les différentes structures du dispositif de Veille sociale (centres d’hébergement, accueils de jour, services sociaux et médicaux, etc.).

Une des conséquences en est la connaissance partagée des joies et des difficultés rencontrées par les personnes en errance. Au fil du temps, une « histoire commune » s’est construite, donnant lieu à un travail de mémoire (dont l’évocation de ceux qui sont décédés) et de transmission de nouvelles, ainsi qu’à une réflexion sur les évolutions de la population de la rue et des différents services sociaux et des dispositifs d’urgence sociale

Nous avons parfois effectué les entretiens de façon isolée, au fil des rencontres. La plupart du temps, nous avons choisi de rencontrer les personnes en situation de handicap et d’errance ensemble.