4.1.3. Je suis tout seul, sans famille

Dans les deux sites, la majorité des personnes sont célibataires. Environ un tiers des personnes sont mariées à Dakar, tandis qu’un tiers des personnes sont séparées à Lyon, le processus d’atomisation de l’individu y étant plus prégnant.

En France les personnes en situation de handicap et d’errance sont davantage confrontées au processus d’atomisation 171 de l’individu. Seule une partie d’entre elles cherchent encore à sauvegarder un lien familial déjà précaire.

Par contre au Sénégal, le lien avec la famille large est fondamental dans les stratégies de mendicité utilisées par les personnes en situation de handicap, que ce soit pour leurs parents ou pour leurs enfants lorsqu’ils sont mariés.

Le statut marital

Nombre de personnes
célibataires
mariés
séparés ou divorcés
veuves
enfants
Dakar
43%
30%
13%
13%
57%
France
53%
7%
37%
3%
40%

Environ la moitié des personnes que nous avons interviewées sont des « grands célibataires » à la rue. La rupture avec leur famille s’est opérée souvent en douceur, parfois avec une rupture brusque. Parmi eux, il y a deux types de profil :

Plus d’un tiers des personnes que nous avons rencontrées en France ont connu une dé liaison familiale suite au divorce. Quelques uns aussi à Dakar. Au Sénégal, les personnes à la rue semblent partiellement protégées par la culture communautaire. Des femmes peuvent rester des mois loin de leur famille sans que cette situation ne provoque de divorce. La répudiation est par contre dramatique quand la femme est orpheline et que sa famille d’origine est démantelée.

Le veuvage a des impacts d’autant plus important que les personnes le subissent à un âge avancé. Leur situation de handicap les rend plus vulnérables. En Afrique, il est d’autant plus dur à vivre qu’il n’existe aucune allocation. Lorsqu’elles ne bénéficient plus du système de solidarité liée aux familles larges, certaines personnes veuves se retrouvent en situation de survie.

Au Sénégal, la majorité des personnes a des enfants (57%). En général, ceux-ci sont élevés dans leur famille à l'extérieur de Dakar.

Tandis qu’en France, les enfants de parents séparés interviewés (40%) sont généralement élevés par le conjoint (ou sa famille).

Les enfants des personnes que nous avons rencontrées à Dakar sont élevés dans leur famille à l’intérieur du Sénégal ou dans leur pays d’origine (Guinée ou Mali). Quelques enfants restent avec leur mère (ou un autre membre de la famille chargé de le garder) qui mendie ; ils sont élevés dans la rue.

Si les parents parlent de la dureté de leur condition de vie, c’est aussi avec fierté qu’ils envoient ou apportent l’argent pour nourrir leurs enfants. Ils vivent leur rôle parental de façon valorisante.

Les enfants des personnes interviewées à Lyon sont majoritairement élevés par leur conjoint (ou la famille). Une partie d’entre eux font l’objet d’une mesure de placement par la DDASS, en institution ou en famille d’accueil. Sauf exception, le parent qui n’en a pas la garde à un droit de visite. Malheureusement les liens parents enfants sont fragilisés. Le père (ou la mère) en situation d’errance vit dans une telle précarité qu’il est dans l’incapacité de payer une pension alimentaire. Leur image est dévalorisée (par l’ex-conjoint) aux yeux de leur enfant. La honte « d’être SDF » paralyse fréquemment leur capacité de relation avec leurs enfants.

Par contre les personnes issues de l’immigration, demandeurs d’asile ou en demande de régularisation, ont leurs enfants avec eux. C’est une forme de stratégie, volontaire ou forcée selon les situations des pays d’origine, qui offre une chance supplémentaire d’obtenir un hébergement social. Comme à Dakar, ils se battent pour leur enfant.

Notes
171.

Définie en sociologie comme la réduction de l’individu à son propre corps, isolé, sans liens sociaux.