4.2.1.2. Vivre à la rue avec la déficience

La pénibilité de la situation de vie à la rue est accentuée par les multiples formes de déficiences qui affectent ces personnes.

A Dakar, à défaut de Commission technique de reconnaissance du handicap (type COTOREP), seules les déficiences les plus visibles ont été retenues. Le type de déficiences relève majoritairement de l'appareil locomoteur pour plus des deux tiers des personnes qui souffrent d’atteintes aux jambes. Si certaines ont des cannes ou plus rarement un fauteuil roulant, d’autres n’ont ni appareillage, ni fauteuil. Elles se déplacent en rampant par terre. 20 % sont atteints de cécité ou de mal voyance. La surdité (non retenue comme déficience unique car elle est difficile à objectiver sans avis du corps médical) vient parfois se surajouter à la déficience visuelle.

L’impact de la déficience sensorielle limite fortement les capacités des personnes et les rend tributaires de leur voisinage immédiat. 27 % sont touchées dans leurs fonctions mentales : 10% d’entre elles présentent une atteinte d'ordre intellectuel, 3% des troubles de l'orientation, 11% des troubles du tempérament et de la personnalité, 3% des troubles de l'état de conscience. Les personnes atteintes dans leurs fonctions mentales sont de plus en plus présentes dans les rues de Dakar. Elles sont plus ou moins bien acceptées selon leur comportement, en particulier si elles ont des propos et des gestes agressifs. Le tiers des personnes interviewées à Dakar cumulent plusieurs déficiences. La déficience mentale est associée à une déficience motrice ou sensorielle pour 15% des personnes. Elles en sont d’autant plus vulnérables.

L’environnement immédiat se trouve désemparé et démuni devant la maladie. Le réseau social se restreint d’autant plus. Par exemple, une femme, atteinte de déficience d’ordre intellectuel et de trouble de la personnalité, installée sur un trottoir près d’un marché, subit régulièrement des agressions sexuelles. Personne n’ose intervenir à cause de la dangerosité de la situation la nuit, de la difficulté à entrer en relation avec elle et de l’inexistence de structures adaptées pour l’accueillir. Seule marche la charité publique pour la nourrir et la vêtir.

A Lyon, la typologie des déficiences concerne surtout les fonctions organiques mentales (80% des personnes). Parmi ces personnes, 20% connaissent une atteinte d'ordre intellectuel, 50% des troubles de l'orientation, 12% des troubles du tempérament et de la personnalité. Nous constatons la présence massive des personnes atteintes de déficiences mentales. Cela s’explique à la fois par les politiques de prise en charge des malades à l’hôpital psychiatrique uniquement pendant les périodes de crise (sans développement suffisant d’infrastructures d’hébergement à l’extérieur), ainsi que par une meilleure détection et médicalisation des prises en charge. La psychiatrie et la psychothérapie font partie intégrante de la culture française. Et la culture « fait » le handicap.

Les personnes reconnues comme atteintes de déficience dans leurs fonctions mentales sont projetées dans la rue, hors de leur temps d’hospitalisation. Elles rejoignent le rang des personnes en errance. Leur vulnérabilité en fait une proie facile. Elles développent un circuit d’itinérance entre la rue, la prison, les centres d’hébergement d’urgence et les hôpitaux. Pour 27 % des personnes, l'appareil locomoteur principalement au niveau des jambes. La vie dans la rue est une vie de «marcheur », entre les lieux spécifiques du circuit d’assistance. Les personnes atteintes au niveau des jambes en sont davantage pénalisées. Pour 6%, des atteintes sensorielles, principalement la mal - voyance. On repère ici une présence non négligeable de personnes atteintes de déficience sensorielle et motrice. Pourtant les systèmes sociaux offrent certaines solutions pour les personnes présentant ce type de déficiences. Mais certaines personnes, refusant l’habitat collectif, rejettent ce type d’offre. D’autres, ayant des statuts n’ouvrant pas droit à ces prises en charge, errent entre la rue et l’hébergement d’urgence. Pour 12% des personnes, il y a cumul de deux types de déficiences (au moins).

Les personnes en errance peuvent également être atteintes de déficience, soit progressivement, soit par accident. Il existe un temps certain qui s’écoule entre l’installation progressive d’une déficience et sa reconnaissance par la COTOREP. Il est important de soulever ici la question de la maladie alcoolique, qui fait des ravages au sein de la population. Or les formes de déficiences (notamment sensorielles et motrices qu’elle génère) ne font l’objet que très tardivement d’une reconnaissance. Un jeune européen (non prioritaire dans les centres d’hébergement d’urgence, car il a un statut de « touriste ») souffre d’une atteinte du nerf optique (névrite optique), qui vient s’ajouter à ses difficultés de déplacement dues à l’artériosclérose qui atteint ses jambes. Cette malvoyance rend sa vie d’autant plus dramatique qu’il doit survivre sous les ponts, en proie au risque de delirium tremens et à tous les dangers.

Ces formes multiples de déficiences génèrent, pour la personne, des restrictions d’activité et de participation. Celles-ci sont plus ou moins accentuées, en fonction des facteurs facilitateurs et des obstacles issus des situations.