4.2.2. Faut se battre pour survivre

4.2.2.1. On veut s’en sortir

Entre la néantification et la préservation de soi, les personnes développent leurs ressources personnelles. Les personnes en situation d’errance s’appuient sur leurs ressources individuelles, alors même que certaines sont installées durablement dans une économie de survie.

Ressources personnelles Dakar Lyon
Mobilisation pour sortir de la situation d’errance 70 % 63 %
Niveau culturel 10 % 23 %
Création du lien social 57 % 70 %
Formes de résilience 40 % 33 %
Processus d’atomisation 33 % 47 %
Résignation 27 % 50 %

L’identité qu’une grande majorité de ces personnes donnent à voir est celle d’une résistance à la déchéance (Dakar 70% / Lyon 63 %). Elles combattent pour se dédouaner des étiquettes de « mendiant », « SDF », « fou », etc. Elles cherchent à se distancer de la masse repoussante des « errants », assimilée aux « encombrements humains ». Plus encore à l’image stigmatisante du « mendiant infirme ». Ces personnes veulent se démarquer de ces figures misérabilistes et prennent des distances vis-à-vis des rôles tenus par « l’alcoolique », le « clochard », etc. C’est ce que montre l’enquête « SDF » 175 : 77% des personnes pensent que leur situation va s’améliorer (alors que 17% de l’ensemble des français pensent que la situation des personnes sans abri peut s’améliorer).

Alors qu’elles occupent un statut dévalorisé, elles manifestent leur volonté d’être reconnues comme des personnes à part entière. Car elles se sentent marquées par trois formes de mépris : l’atteinte physique, l’atteinte juridique et l’atteinte à la dignité de la personne. 176

Cette volonté s’exprime dans les efforts quotidiens pour parvenir à un « maintien de soi », en particulier à travers l’hygiène, le vêtement et la nourriture. Elles luttent également pour leur « conservation de soi », en particulier pour accéder aux soins et se maintenir avec la meilleure santé possible. 177 Certaines abandonnent la lutte et se mettent en danger. Afin de les protéger, les équipes mobiles de l’Interface psychiatrique et du Samu social lyonnais sont contraintes à organiser des HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers). Au Sénégal, cet abandon de soi ne se laisse pas observer dans la rue (sauf quelques cas exceptionnels pour des personnes souffrant de troubles psychiatriques). Car les personnes qui mendient sont en capacité de « travailler » à mendier. Sinon elles retournent chez elles, dans la banlieue de Dakar ou leur village.

Elles se situent dans la quête d’un emploi, précisant qu’elles sont actuellement acculées à mendier et/ou à vivre dans l’errance, faute de travail adapté à leur déficience. Face à cette « souffrance à distance » générée par cette violence d’Etat, 178 elles s’investissent au quotidien pour garder leur dignité et développent des projets pour émerger de leur situation d’errance.

Généralement, ce sont ces mêmes personnes qui génèrent du lien social autour d’elles.

A Dakar, ce lien se constitue avec l’environnement proche (commerçants, clientèle des marchés et des restaurants, pratiquants de la mosquée ou de l’église…) de façon à mieux satisfaire leurs besoins en nourriture, couverture et vêtement, en sécurité pour la nuit notamment. A Lyon également, les liens créés dans les gares, sur les marchés, les commerces, aux portes des PTT, des tabacs et des églises sont privilégiés. Pascale Pichon 179 montre d’ailleurs que la cartographie relationnelle d’une personne en errance peut être beaucoup plus importante quand elle vit dans la rue que lorsqu’elle vivait en appartement auparavant. Elle développe souvent des liens de (forte) proximité avec ses pairs. Se surajoutent à ces liens sociaux de voisinage les liens générés par l’utilisation des services et systèmes sociaux. 180 Ces liens sociaux jouent un rôle fondamental pour survivre et sortir de l’errance.

Dans des contextes socio culturels différents, 40% (Dakar) et 33% (Lyon) des personnes développent des formes de résistance à partir de leur vécu traumatique personnel. Cette "résistance psychique" définit le concept de résilience développé par Boris Cyrulnik 181 . La résilience est la capacité de reprendre un développement malgré l'adversité. La perception que ces personnes ont de leur vie, avec l’impact de la déficience, se fait souvent sous le mode du religieux à Dakar (« C’est la volonté de Dieu ! ») et du processus d’exclusion à Lyon (« On est des exclus ! »).

Développant des stratégies de lutte contre le malheur, ces personnes arrachent du plaisir à vivre dans leurs actes et leurs relations quotidiennes. En particulier avec le groupe des pairs où s’échangent des gestes amicaux, des paroles d’encouragement, des taquineries, de l’humour et des rires.

Notes
175.

sondage exclusif Association Emmaüs-BVA-La Vie –L’Humanité, 2006 

176.

Honneth, Axel. 2000. La lutte pour la reconnaissance, Paris, Editions du Cerf

177.

Ehrenberg, Alain. 1998, La fatigue d'être soi, Paris, Odile Jacob

178.

Boltanski, Luc. 1993. la souffrance à distance, morale humanitaire, médias et politique, Paris Métailié

179.

Pichon, Pascale. 2006. colloque sur « Sortir de la rue », Lyon, Orspere

180.

Boltanski, Luc. 1999. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard

181.

Cyrulnik, Boris. 2001. Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob

et 2003. Le murmure des fantômes, Paris, Odile Jacob