4.3.2. La priorité de l’Etat, c’est d’abord d’aider les gens pauvres

4.3.2.1. La société qui met les « handicapés » dans la rue, c’est un scandale 

Dans les situations d’errance, on observe aussi que le handicap de la personne favorise son intégration, voire son adaptation au nouveau pays. Par exemple, un père de famille énucléé par le GIA (Groupe Islamique Armé) en Algérie a bénéficié plus rapidement d’un relogement en hôtel avec sa famille et d’une reconnaissance du statut de réfugié.

Les situations criantes de handicap dans la rue à Lyon scandalisent le groupe des pairs, qui font pression sur les services médico-sociaux. « C’est un scandale ! Mettre les handicapés comme ça dans la rue ! En plus, ils y deviennent des proies ! La société n’a pas le droit de faire ça ! » Et de soulever la question des personnes en situation de handicap psychiatrique rejetés sans hébergements spécifiques des hôpitaux. En même temps, il soulève la difficulté du vivre avec : « Nous, on a aucune formation « psy ». On n’a plus de logement, ni rien ! Et en plus, la société les jette dans la rue. Et il n’y a plus que nous pour nous en occuper ! » Ils se heurtent à la difficulté d’accueillir et de soutenir les personnes souffrant de déficiences physiques, sensorielles ou mentales. C’est pourquoi le groupe des pairs réclame la mise en place de structures, avec un soutien médico-psychiatrique, pour les héberger en dehors de leur séjour hospitalier.

A Dakar, les groupes de pairs se forment autour de la déficience et de l’origine ethnique ou villageoise. La vie communautaire, ancrée dans la tradition, s’organise en tenant compte des déficiences multiples, de façon à ce que chaque membre du groupe survive au mieux dans la rue. Ce qui n’empêche pas l’expression vive de ces personnes face à ce qu’il nomme aussi « un scandale » à l’heure où la société ne propose que peu ou pas de solutions pour ses citoyens en situation de handicap. Ils rejoignent la conception que l’anthropologue Robert Murphy développe dans son livre The Body silent. Pour lui, les personnes en situation de handicap ne sont, à long terme, ni malades, ni en bonne santé. Elles ne sont ni mortes, ni vivantes. Elles se situent ni en dehors de la société, ni pleinement à l’intérieur.

A Lyon, par contre, les groupes de pairs sont confrontés à l’accueil des personnes en situation de handicap, majoritairement psychique, mais aussi physique. « On ne peut pas les laisser tout seuls dans la rue. C’est trop dangereux ! » Ils les intègrent autant que possible dans leur groupe, sous réserve qu’ils participent à la vie de la communauté, en particulier en partageant l’argent de leur allocation adulte handicapé.

« Un aveugle à la rue, tu te rends compte ? » nous disait une jeune femme logée dans un abri de fortune, au milieu d’un terrain vague. « On s’occupe de lui. On lui fait à manger. Il commence à se débrouiller un peu seul. Il est très sympathique, heureusement. Mais ce n’est pas normal !»

Le groupe de pairs est conduit à mobiliser ses propres réseaux pour trouver rapidement des solutions d’hébergement adaptés. Il alerte les professionnels des services sociaux, des centres d’hébergement, des accueils de jour, des hôpitaux, etc. Ce partenariat groupes de pairs – services sociaux joue un rôle de veille pour prévenir les situations les plus criantes dans la rue.

C’est aussi le cas de cette famille monoparentale à Lyon qui, appelant le 115 pour trouver un toit, s’est vu adressée à un accueil d’urgence qui – faute de place, et malgré la loi interdisant la séparation des familles - ne voulait prendre que la mère et l’enfant, sans le fils aîné. Or cet enfant était atteint d’une maladie neurologique qui avait provoqué une hémiplégie, associée à un retard mental. Et il était impensable pour la mère et le fils de ne pas l’entourer ensemble. Refusant la séparation et rejetés par le système social incapable de les accueillir dans l’urgence, la mère et le fils aîné ont passé des nuits glaciales à veiller et réchauffer l’enfant pour qu’il ne meurt pas d’hypothermie. Puis, orientée par le groupe des pairs vers des services sociaux plus opérationnels, ils ont pu accéder à l’hôtel, puis à un appartement et à un travail.

Forte de cette expérience, la famille propose le développement de structures d’accueil en urgence pour les familles à la rue, avec des placements à l’hôtel (très transitoire car l’hôtel est peu adapté pour une vie de famille), avant un accès rapide à un logement. Le groupe des pairs insiste sur la nécessité de l'attention et de l'empathie des équipes soignantes qui les accueillent, tant sur le plan social, éducatif que psychologique. Car ils se plaignent des réactions de rejet et de mise à l’écart, surtout lorsqu’ils interviennent à plusieurs pour soutenir un des leurs. Les hôpitaux ou les services de « lits de repos » (structure lyonnaise pour les personnes sans abri dont l’état de santé nécessite une convalescence) sont des lieux privilégiés pour que les personnes en situation de handicap et d’errance reprennent des forces et envisagent éventuellement d’autres perspectives d’avenir avec le personnel médico-social.

Ces quelques faits, relevés parmi tant d’autres, montrent que l’éthique du groupe des pairs pousse ses membres à prendre soin des plus vulnérables parmi eux et à avoir recours aux structures médico-sociales. La contrainte de certains handicaps devient alors un facteur d'intégration.