5.1.1.1. Un tournoi de football à la fin du Plan Froid

Marr, un homme, en procédure de recours du droit d’asile, disait aux équipes de la Rencontre, un accueil de jour lyonnais :

« Cette image de SDF, assimilée à « fainéant, parasite, clochard, détritus humain », il faut la faire voler en éclat. Ca nous fait trop de mal ! »

Pour cela, il a développé l’idée d’organiser un tournoi de foot, en mobilisant les différentes structures d’hébergement d’urgence impliquées dans le Plan Froid de Lyon. Son objectif était double. Il voulait offrir des moments de plaisir aux personnes sans abri qui n’accèdent que rarement à la possibilité de faire du sport. Il désirait également se servir de l’évènement du tournoi pour alerter la population sur les conséquences dramatiques de la fermeture des centres d’hébergements d’urgence à la fin de l’hiver. Une dizaine d’équipes de personnes sans abri se sont entrainées pendant des semaines, dont des personnes en situation de handicap psychique.

Organisé à la fin du Plan Froid 2004, le tournoi a eu lieu avec une forte mobilisation sous le soleil du printemps, au stade de Gerland. Plus de deux cents personnes, majoritairement sans abri, entourées de quelques bénévoles et professionnels. Les personnes en situation de handicap, dans l’incapacité de jouer du fait de leur déficience, se sont investies comme supporters des équipes. L’ambiance y était chaleureuse, même un peu « chaude » comme pour les grands matchs. Surtout lorsque, à la fin, l’arbitre s’est fait contester de manière virulente par l’équipe perdante de la finale, avant la remise de la coupe gagnante !

Fort de cette image d’homme « SDF, mais debout, actif et responsable », cette capacité à animer un tournoi de foot a permis à Marr de transmettre ce message à la presse écrite et à la télévision :

« Ce soir, nous sommes plusieurs centaines de personnes SDF à être mises à la rue parce que les structures d’hébergement ferment. Faites quelque chose contre cette forme d’inhumanité ! »

Lors de sa relecture de l’évènement deux ans après (au moment de l’entretien), Marr se souvient de « la  fierté et de la dignité » qu’il avait ressenties à ce moment là. Il développe aussi beaucoup de reconnaissance pour les équipes de l’accueil de jour qui l’ont soutenu dans la réalisation de ce projet. Il mesure également combien sa croyance en la médiatisation de l’évènement pour infléchir les politiques sociales a été mise à mal. Soulevant la question politique de la justice et du droit à la différence, il pose son regard sur « ce que devrait être la démocratie ». Il rejoint le philosophe Jacques Derrida qui écrivait à propos de cette grande illusion : « croire en une démocratie déjà établie, à l’heure où la Justice sociale n’est qu’une utopie », en particulier pour ceux qui vivent dans la précarité. « La démocratie est en devenir ». D’où la nécessité de la repenser et de la reconstruire ensemble, avec l’expertise des populations vulnérables qui montrent, à partir de leurs situations, que rien ne correspond plus au mot démocratie.

Sarr, originaire d’Afrique du Nord, acculé à l’exil à la fois pour des raisons politique (touchant à sa propre sécurité) et socio-économique, a conscience que la dimension globale a pris le pas sur la dimension locale, nationale ou régionale. A l’heure où les grandes multinationales décident des réglementations qui concernent la vie quotidienne de milliards d’hommes (sans que ces choix décisifs soient soumis à l’approbation parlementaire ou légitimés par le vote), Jurgen Habermas et Jacques Derrida suggèrent un mouvement mondial contre la guerre et le nazi-libéralisme. 201

Notes
201.

Ce colloque a été initié à la demande de Jürgen Habermas et Jacques Derrida ont appelé un certain nombre d’intellectuels prestigieux à réfléchir sur les enjeux du processus d’unification européenne, comme seule innovation politique susceptible de remodeler le paysage géopolitique mondial (multitudes.samizdat.net/Pour-une-Europe-mineure.html).