6.1.1.2. D’abord, le logement et, avec, le travail

La première des transformations souhaitées est le logement. Le logement est la base territoriale qui permet le ressourcement intime. Sa perte s’accompagne d’un ensemble d’atteintes vitales : difficultés pour se nourrir, sommeil intermittent, exposition physique au danger, absence d’intimité, perte des forces physiques et de la santé, etc.

A Dakar, les deux tiers des personnes interviewées aspirent à avoir un logement. Quelques-unes pensent à une location de chambre, d’autres à une chambre d’hôtel en attendant (car c’est difficile de trouver une chambre disponible à louer). 10% d’entre elles ont un projet de construction de maison sur la « parcelle » qu’elles possèdent. Il s’agit principalement de celles qui possèdent des huttes dans le village de reclassement. Elles aspirent à une construction en dur pour leur famille.

A Lyon, c’est à peine la moitié de la population interviewée qui souhaite un logement. Leur souhait principal est d’avoir un appartement indépendant, puis par ordre de priorité une chambre meublée (à défaut un foyer) et une maison de retraite.

Pourquoi est-ce que la majorité n’exprime aucun désir de logement ? Nous formulons comme hypothèse qu’un certain nombre de personnes apprécient les centres d’hébergement d’urgence a cause de la présence de professionnels et salariés qui leur offrent un soutien et une protection qu’ils apprécient :

« C’est bien beau les copains, c’est bien beau la bouteille, mais regarde le résultat : on a mal partout, on se casse la gueule, on perd la mémoire. Ce qui m’aide, c’est mon référent et le foyer. Les gens de la rue ? Ils ne m’aident pas, ils volent, ils rackettent avec violence. »

Un homme d’une cinquantaine d’année, atteint d’une maladie invalidante, s’explique. Il connaît l’évolution de sa maladie et constate que ses difficultés à tenir l’équilibre et à marcher s’accentuent. Cette limitation dans les déplacements s’accompagne d’une incapacité croissante à se servir de ses mains, qui se recroquevillent et ne lui permettent plus la préemption des objets. Se voyant dans l’incapacité de s’assumer de façon autonome, ayant des difficultés à continuer à assumer les coûts de son appartement et les surcoûts liés à la maladie (dont le restaurant une fois par jour), il a choisi de revenir vivre en centre d’hébergement d’urgence.

Depuis deux ans, au foyer il trouve le gîte et le couvert quasiment gratuitement. S’il tombe ou s’il lui arrive un accident, il sait qu’il a toujours quelqu’un qui peut le secourir. Pour manger, il trouve toujours un copain pour lui couper sa viande à la cantine. Pour s’habiller, il y a le vestiaire avec une petite participation financière. Il choisit cette solution parce qu’elle lui paraît meilleure que celle d’une maison médicalisée. En particulier parce que le peu d’argent qui lui resterait ne lui permettrait plus de passer du bon temps avec ses amis au café pendant la journée et qu’il ne supporte pas de rester enfermé.

Une autre hypothèse serait celle de l’incapacité à supporter des murs « à soi » et de se retrouver seul face à la solitude. La rue offre un réseau d’inter- connaissance qu’il n’est pas facile de quitter.

Une troisième hypothèse serait celle de la résignation et du découragement des personnes en situation de handicap et d’errance face aux échecs répétitifs auxquels ils se sont affrontés. Si certains réclament avec colère l’accès à un logement indépendant, ou à défaut à un hébergement pour personne isolée, pour couple ou pour la famille, d’autres finissent par se taire et se résigner :

« De toute façon, avec la crise du logement, faut pas rêver. On est inscrit de partout mais il n’y a rien. Et nous, on sera bien les derniers à qui on fera une proposition ! En plus, il y a toujours des prioritaires qui nous passent devant !!! »

L’emploi est la deuxième transformation souhaitée.

A Dakar, les deux tiers veulent un emploi. En général, compte tenu de la grande difficulté à trouver un travail salarié, la majorité rêve de se constituer un fond de commerce, du type des petites boutiques de quartier ou d’un système de vente ambulante.

A Lyon, le désir d’un travail salarié n’est exprimé que par une minorité (un quart des personnes). Le travail semble hors de portée pour la majorité, la recherche d’emploi infructueuse, le travail au noir et l’exploitation en a découragé plus d’un. De plus, le seuil d’employabilité est tel qu’il leur est difficile d’être sélectionnés (manque d’expérience professionnelle ou expérience obsolète ; niveau scolaire insuffisant, absence de culture du travail, santé déficiente, passé stigmatisant, etc.).

Un certain nombre de bénéficiaires du RMI et de l’AAH ont organisé leur vie entre le lieu de manche, le foyer et l’hôpital. Ils mènent ainsi une vie dans l’errance, sans contrainte externe de temps ou d’autorité.