6.3.1. 4. Je veux boire … pendant quelques minutes, je me sentirai mieux

Le mythe éclaire le contexte des polytoxicomanies. Pour le psychiatre alcoologue Gérard Vachon, trois grandes notions ressortent du mythe de Persée qui illustre l’angoisse psychotique. Car y sont associés les concepts de mère archaïque et de pare excitation, avec la loi comme réalité et notion fondamentale, notamment dans le champ des polytoxicomanies.

Comment interpréter le mythe de Persée? Gérard Vachon y voit la portée pédagogique. La Méduse est la mère archaïque qui personnifie dans son action l’angoisse psychotique 256 . Attiré par un des yeux de la Méduse, Persée sort de lui, poussé par le désir d’avancer vers l’obstacle qu’il s’est fixé. L’autre œil le pétrifie. Et la menace d’être dépossédé de sa vie psychique est bien réelle.

Mélanie Klein 257 parle du fantasme récurrent par lequel l’enfant cherche à réintégrer le ventre de sa mère et la mère à récupérer le fruit de ses entrailles. C’est la rencontre de la Méduse et de celui qui veut la regarder - avec le fantasme inverse de l’enfant qui veut dévorer sa mère, sortir de soi, aller vers elle, et celui de la mère intrusive qui veut pénétrer, s’incorporer dans son enfant.

Heureusement il y a le bouclier qui permet à Persée d’échapper à l’angoisse psychotique, car il va transformer la Méduse (réalité) en image. C’est l’ouverture du royaume de la pensée, l’espace de l’imaginaire, celui qui donne accès au symbolisme. « Le bouclier est là qui permet de passer de la réalité à l’image et bientôt au symbole». Alors le rayon lumineux qui sort des yeux de la Méduse rebondit et ne pénètre pas. C’est l’illustration du système pare excitation décrit par Freud. Cette cuticule protège le psychisme de l’énergie déstabilisante psychique extérieure. Si l’angoisse psychotique est d’être dépossédée de sa substance psychique, l’angoisse névrotique est de perdre l’objet. Or la représentation possible de l’objet perdu peut permettre de continuer à penser, à survivre. Ce bouclier- représentation est tenu par Athéna. Or Athéna est la déesse de la Sagesse. Née du cerveau de Zeus, sans mère (donc sans connaître l’espace fusionnel), elle procède directement de la loi du père. Elle représente le nom du père, c’est-à-dire le symbole de la séparation d’avec la mère.

N’ayant jamais connu la dépossession de soi-même par l’annihilation que représente la fusion, elle incarne et symbolise la Loi. Guidant le bouclier, elle permet à Persée d’échapper à la fusion dévorante, qui dépossède de la vie psychique. C’est ainsi que Freud décrit la loi du père qui vient séparer de la fusion. A un moment donné, l’alcool peut servir à rendre représentable l’irreprésentable : c’est à dire de se « dépsychotiser » en retrouvant une vie psychique. Pour un temps, il permet de retrouver l’image et le chemin de la raison, de mettre du rationnel et de la loi pour avancer dans la réalité. Puis, avec ses propriétés de psychotrope, l’alcool change tout. Il détraque le bouclier qui devient soudainement opaque. Alors là, la personne dépendante est médusée et «psychotisée ».

C’est ainsi que Mohamed décrivait l’irreprésentable, tout en cherchant partout sa « majorette » 258  disparue à ses yeux, camouflée sous ses couvertures répandues en vrac sur le trottoir :

« Je suis alcoolique. Je veux boire, boire, boire… Je sais que ça ne durera pas longtemps. Mais j’en ai besoin. Et pendant quelques minutes, je me sentirai mieux, je serai en paix. ».

Pendant un instant, il exprime combien l’alcool lui permet de retrouver à nouveau son bouclier et d’échapper à la Méduse.

Notes
256.

Vachon, Gérard. novembre 1998. Mythes et addictions, Le mythe de Persée : le fascination de la Méduse, Strasbourg, Séminaire de recherche I.R.E.M.A .(Institut de Recherche et d’Enseignement des Maladies Addictives www.irema.net/article.php?id_article=151(27/11/98)

257.

Klein, Mélanie. Psychanalyse des enfants, 1932, PUF, 1975

258.

bouteille de vin de table de 1,5 litre