7.1.1.2. Pour une femme, il n’y a pas de respect. Et les droits de l’Homme ?

Parmi les femmes en situation de souffrance dans la rue, certaines sont désocialisées au point de n’avoir pratiquement plus (ou peu) de lien social. C’est le cas de Suzanne à Lyon, surnommée « la clocharde à la poupée ». Suzanne souffre de troubles du tempérament et de la personnalité. Elle a un passé de maltraitance infantile (enfant martyre par sa mère) suivi de prostitution. Elle vit entre une gare et une église, refusant toute aide institutionnelle.

« Non, j’ai peur. Après, les gens connaîtront mon nom, et ils auront un pouvoir sur moi. Et je vais me faire tabasser pour le fric quand j’aurai le RMI. »

Pour elle, l’extrême difficulté qu’ont les femmes pour vivre dans la rue, c’est d’abord l’absence de toute reconnaissance qui atteint leur dignité.

« C’est nous qui souffrons le martyre dans le rue. Personne ne nous reconnaît. On n’existe pas. La rue, c’est la violence. Nous sommes en danger, sans cesse exposées aux mains de tous. »

Sans arrêt sur le « qui vive », Suzanne demande à être protégée. Mais ni la police, ni les vigiles de la gare n’assument ce rôle. Elle en appelle à plus de justice sociale :

« Il n’y a pas de respect. Et les Droits de l’homme ? La société est pourrie ! »

Dans son rôle de maternance, elle se scandalise devant la présence de jeunes mineures à la rue et l’abandon des personnes handicapées :

« Nadia, c’est pas normal, elle est handicapée, elle se fait dessus et personne ne s’en occupe. Elle est mal, à rester mouillée comme ça. Elle devrait être dans un lieu où une infirmière en prend soin, la change… qu’elle soit bien ! »

La souffrance des femmes est directement liée au manque de toit, au manque d’espace pour vivre leur intimité. L’agression par le regard des hommes est une violence qui atteint leur identité.

‘« Oui, on souffre : le froid, la faim, la haine des gens (ils disent des choses horribles),et surtout la solitude. Jamais personne ne m’a comprise. Et puis, il n’y a pas d’intimité. Pour une femme, c’est horrible ! Les hommes passent et nous lancent des regards affreux. On perd notre dignité ! »’

Suzanne ne se voit pas vivre en dehors de la rue. Malgré son comportement réactif (c’est elle qui décide si la relation est possible ou non), elle recherche d’abord et avant tout le lien social. C’est ce qui la rend heureuse, car elle se sent alors respectée dans sa dignité.

Certaines femmes, n’en pouvant plus, quittent le domicile conjugal en confiant leurs enfants pour partir :

‘« J’ai eu quatre enfants. Deux sont morts. J’ai un enfant de 8 ans et de 12 ans. Je les ai laissés chez leur père, car c’est mieux pour eux, mieux que de vivre dans la rue."’

La rue alors devient un passage obligé lorsque le chez soi est devenu insupportable, les réseaux de solidarités ne sont plus mobilisables et que les structures d’hébergement sont saturées ou inexistantes.

Dans la rue, les femmes vivent dans une vulnérabilité extrême. Elles subissent le froid ou la chaleur, l’inconfort, la fatigue et la saleté. Elles ont à se protéger des agressions, majoritairement masculines : à la fois de la violence des rapports des sexes et des risques de prostitution. Certaines sont dans un état de flottaison sociale à travers les expériences de rue et l’errance territoriale.

Une sénégalaise de 30 ans témoigne sur les conditions de vie dans la rue :

« Pour une femme, la rue, c’est dur, très dur… J’ai un seul vêtement. Pour les toilettes, c’est 25F CFA, pour les douches publiques, c’est 50F CFA. Des fois, on a de l’argent, des fois, non. Pour la nourriture, on mange : les restaurants nous donnent leurs restes. On n’a pas faim.»

Elle parle des risques dans la rue et de sa recherche de protection. A Dakar, les veilleurs et gardiens d’immeubles et de boutiques les défendent si c’est nécessaire. L’« entre soi féminin » est aussi une forme de protection :

« Je dors dans un coin d’immeuble, avec une femme qui a 2 enfants. Il y a des veilleurs qui nous protègent. Ca va. Mais on a froid…. »

Dans ce processus de dégradation, la honte l’empêche de parler de ses problèmes et de demander de l’aide. Elle se cache, elle cache ses conditions de vie à sa famille et en particulier à ses enfants, pour que la honte qu’elle ressent ne rejaillisse pas sur eux. Elle est identifiée à une prostituée au regard des autres femmes et déploie une forte énergie pour éviter de jouer ce rôle.

‘«Dans la rue, j’ai honte. Je sens le mépris des gens. Les femmes ne me comprennent pas du tout : elles me rejettent. Je ne veux pas que mes enfants me voient comme ça. Personne ne le sait.  Les hommes me font des propositions. On risque beaucoup dans la rue. Mais on n’est pas obligées de se prostituer. »’

La police, chargée d’assurer l’ordre public, joue un rôle de persécution pour elle.

‘« La police, je les fuis. Ils sont méchants. Ils nous frappent et nous emmènent au poste de police. Il faut payer 3000 F CFA. Sinon ils te gardent et ils t’emmènent en prison. »’

Le système répressif est tel qu’il utilise les personnes de la rue pour récolter des fonds. Aucune perspective éducative, aucun dispositif d’insertion sociale n’est proposé. La prison reste le seul débouché pour les personnes en errance sans argent. Cette situation est d’autant plus dramatique que la nourriture y est quasi-inexistante. Ce sont les familles qui apportent la nourriture aux détenus.

‘« Je n’ai personne sur qui compter : ni famille, ni amis, ni soutien. Dans la rue, il n’y a pas de solidarité, même avec la femme avec qui je dors. Personne ne paierait pour moi. Quand je vois la police, je me cache. »’