7.1.2. Ici, nous sommes en danger de mort

7.1.2.1. Chacune tente sa chance

La femme en errance subit un engrenage en interaction avec un processus d’atomisation de l’individu. Elle est d’autant plus terrorisée qu’elle se sait en danger de mort, complètement isolée et sans défense.

‘ « J’ai peur aussi des voyous. Ce sont des jeunes qui se droguent au guinze 288 . Tout ce qu’ils veulent, c’est de l’argent. C’est pour ça qu’on dort auprès des gardiens. Je me souviens. Ils ont tué une personne de la rue en plein jour. Personne n’est intervenu, personne n’a rien dit : ils n’ont rien eu ! »’

Pour cacher leur situation d’errance, les femmes opèrent un travail de camouflage (maquillage, hygiène, habillement) et vivent dans un certain « entre-soi féminin ». Elles évitent de fréquenter des espaces trop marqués (SDF, Prostitution, bars clandestins 289 , etc.).

Mais pour certaines, c’est l’engrenage : fragilisation socio-économique par le chômage, vulnérabilité psychoaffective, dépendance aux substances psycho actives et réseaux de prostitution.

‘« Je suis dactylo. Un chef de bureau m’avait promis un emploi, mais à condition que je devienne compréhensive. Le chef, c’était un voyou. Je fus enceinte. J’avorte à 3 mois. Le voyou disparaît. Je me plonge dans un chagrin immense. Une prostituée plus âgée que moi en profite pour m’entraîner à boire et vendre ma chair. »’

La déficience mentale se surajoute à cet engrenage, accélérant la déchéance.

« J’étais mariée, très heureuse avec mon mari. Mais ce dernier a perdu son emploi. Il s’adonne à la boisson, m’entraînant petit à petit à boire. Au bout de 2 ans, je suis devenue plus ivrogne que mon mari. Il a fini par devenir fou. Quand je n’ai plus d’argent, je me livre à la prostitution pour avoir de quoi boire, boire pour oublier tous mes malheurs. »

Les femmes recherchent pour beaucoup une protection masculine. Celle-ci est ambiguë : si elle accroît les capacités de défense et d’organisation, favorisant la création d’un espace à soi dans la rue, elle peut utiliser la femme comme ressource par la manche et la prostitution

Elles développent des stratégies d’affirmation de leur identité de femme (ou de renoncement). Elles valorisent (autant que possible) leur féminité, de façon à échapper un peu à la stigmatisation issue de leur exposition dans l’espace public. Toutes mentionnent leur ressenti du mépris des gens qui passent et leur propre honte. Beaucoup se sentent abandonnées.

Elles bénéficient d’un traitement préférentiel sous formes d’aide par la population (ou les services sociaux en France) en tant que femmes, en particulier si elles ont des enfants.

Leur rôle maternel est un facteur puissant qui leur permet de résister aux conditions de vie inhumaines. Elles exercent cette maternance vis-à-vis de leurs enfants, mais aussi vis-à-vis des femmes de la rue et de leurs pairs.

‘« J’ai d’énormes difficultés pour élever mes enfants avec la cherté de la vie. Ici, chacune tente sa chance. On ne peut pas forcer le destin ! ».’

Elles se battent en permanence pour conquérir un espace privé reconnu et cachent en particulier leur lieu de couchage. Alternant entre des postures de victime ou de femme forte, elles travaillent à l’établissement d’un lien social et à son maintien au quotidien. Mais certaines vont jusqu’à développer un mécanisme de défense de soi en utilisant une posture unilatérale de repli et d’autisme.

Notes
288.

Produits chimiques divers - détournés de leur usage ordinaire tels que le diluant cellulosique – achetés en droguerie.

289.

Sorte de maisons clauses à Dakar