7.1.2.3. Nous avons besoin d’intimité

Les institutions engagées dans la lutte contre l’exclusion sociale développent des réponses qui ont à tenir compte de la question des rapports sociaux de sexe : entre le respect de la vie privée et intime (hors du champ de l’intervention des travailleurs sociaux) et la protection du public féminin en situation de vulnérabilité. A Lyon, l’alternative de l’hébergement en foyer est vécue de façon contrastée par les femmes. La promiscuité est plus ou moins bien supportée, ainsi que la solidarité temporaire de la collectivité. Pour certaines, le sentiment d’appartenance à une communauté atténue l’effet de stigmatisation personnelle. La sociabilité et l’entraide permettent de mieux supporter le mode de vie (qui évoque parfois le sans abrisme à domicile). Mais le climat convivial peut se détériorer et devenir rapidement conflictuel et inhospitalier. Les professionnels y apportent une aide individualisée sur le plan administratif et psychologique. Ces relations de soutien sont parfois perçues comme de l’ingérence ou du contrôle.

C’est la difficile question de l’harmonisation de la logique de sécurité (pour les femmes) et de la logique des libertés individuelles (pour les deux sexes). Afin d’éviter l’intrusion dans la vie privée, l’accompagnement se veut neutre vis-à-vis de l’espace privé des femmes. La sexualité, comme expérience de construction de soi, est un choix intime autorégulé par chacun.

L’accueil des femmes pose des exigences : celle de renoncer à l’inconditionnalité pour offrir une individualisation de l’accueil ; pour favoriser un entre soi féminin, avec une division sexuelle de l’espace. Il leur garantit une protection face aux agressions masculines et pour une acquisition de l’indépendance et de l’autonomie : « Pour certaines femmes qui subissent des violences, le partage d’expérience avec d’autres femmes est le seul moyen de sortir d’une posture de honte et de culpabilité… L’entre-soi féminin est alors considéré comme un lieu de ressourcement et de reconstruction de l’intégrité de la personne» 291 Le rôle de médiation dans la fonction « parentale » afin de recréer ou favoriser les liens entre mère et enfants est également important.

Tout au long de notre recherche, nous avons constaté que l’enfant est le principal moteur qui stimule la résilience des femmes. Il stimule leur résistance aux conditions de vie de l’errance : par le maintien de soi, la vigilance pour se soigner, l’activité pour obtenir des subsides et se nourrir, la recherche d’un lieu de couchage suffisamment protégé. Il leur permet le maintien d’une image de soi positive, celle de la mère, de la femme qui lutte pour son enfant. Il est également une source féconde de liens sociaux. Et le réseau social constitue un atout puissant pour développer leurs ressources personnelles au travers du soutien perçu positif et de la reconnaissance de soi en interaction avec l’aide (concrète ou en estime de soi) proposée.

La condition féminine constitue le deuxième moteur de résilience. Elle se développe en interaction avec le soutien social proposé par les associations, les services sociaux et le réseau social étant plus développé pour les femmes en France ; la famille large et le réseau social étant plus réactifs au Sénégal.

‘« Oui, je veux m’en sortir. Ce qu’il me faut, c’est un logement, trouver l’argent pour payer un mois de loyer. Après, ça ira, avec l‘argent de la manche dans la rue… et peut-être un travail si j’en trouve un ! Comme ça, je pourrai retourner voir mes enfants. Ils sauront où j’habite et je pourrai les prendre avec moi certains jours » ’

Le visage de Ndak s’éclaire d’un grand sourire :

‘« Toutes les nuits, je pense à eux ! »’

Elle repense à son village, avec ses traditions culturelles ancestrales et ressent ce rythme, cette paix, ce bonheur qu l’attirent

‘« Qu’il nous berce, le silence rythmé.
Ecoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons
Battre le pouls profond de l’Afrique dans la brume des villages perdus.» 292

Village perdu auquel aspire cette femme en proie avec la peur et la survie dans les rues de Dakar, village où demeurent ses enfants, village aussi où elle a souffert de l’abandon de son mari : choisir entre le meilleur des maux…

Ces dynamiques sont pensées, imaginées, rêvées par les femmes en situation de handicap dans la rue, jusqu’au jour où, l’occasion aidant, le passage vers un « ailleurs » est rendu possible.

Notes
291.

Vidal-Naquet, Pierre. 2003, op. cit. p. 109. 

292.

Senghor, Léopold Sédar. 1978. Chants d’ombre, in Ndiaye Papa Guèye, Littérature africaine, Paris, Présence africaine, p.108