7.2.1.1. La croix, elle me protège du mal qui est au dehors

Le langage du corps est entendu différemment selon les cultures. Tobie Nathan montre les enjeux thérapeutiques dans les sociétés à univers unique et les sociétés à univers multiples. 300

Dans une société à univers unique, comme en France, la « folie » est perçue tout de suite comme une maladie qui réside dans le « sujet » (sa psyché, sa biologie, son histoire, etc.). Le diagnostic est posé sur le patient, conçu comme un individu délibérément isolé pour être soigné : « l’humain est seul », identifiée à une catégorie (psychose, etc.) jusqu’à devenir « une enveloppe vide, un accro de l’ordonnance, etc. ».

Dans une société à univers multiples, comme au Sénégal, « le désordre révèle toujours un nœud de communication ». La multiplication des univers favorise la création de liens. Elle est rattachée à un rapport au monde qui englobe le réel dans une vision religieuse : « Les religions africaines endogènes procèdent de principes communs : une relation de proximité entre les vivants et les ancêtres défunts (exprimée par des rituels et des cérémonies), les esprits de ces derniers peuvent interférer dans le présent et l’avenir (de façon positive ou négative) ; une symbolisation matérialisée des éléments du culte, par une création, un art sacré prenant principalement pour forme la statuaire et les masques, des tombeaux richement ornés, les arts du spectacle (chants, danses) ; la croyance en un (ou plusieurs) être(s) suprême(s) créateurs(s) de l’univers ; la récurrence d’un mythe original .» 301

Au lieu d’être stigmatisé ou réduit à une identité d’individu atomisé, le malade devient porteur d’un message que l’homme du « sacré » doit déchiffrer. Les interrogations « se déplacent :

  • vers « l’invisible » ;
  • de l’individu duel au collectif ;
  • du fatal au réparable ».

S’interrogeant sur ce qui est caché, les « maîtres du secret » initient un processus créatif qui rétablit des liens sociaux et génère de nouvelles appartenances.

Les maladies mentales, « maladies du sacré», sont en relation étroite avec les cultures 302 , voire avec l’acculturation et la transculturation. Dans leur contexte culturel, les manifestations apparemment déchaînées du corps ont un rôle « de partition des relations interindividuelles dont les mythes ancestraux seraient les chefs d’orchestre ».

Eric porte sur la poitrine une grande croix :

‘« Le Christ, moi, je le connais ! C’est mon ami. Je sais qu’il m’aime ! » ’

Lorsque le psychiatre lui demande pourquoi est-ce qu’il porte une telle croix sur sa poitrine, il répond :

« La croix, elle me protège du mal qui est en dehors. C’est pour qu’il ne rentre pas en moi ! »

Le psychiatre l’interroge :

‘« Vous ne pensez pas que le mal et le bien sont plutôt en vous et que c’est vous qui choisissez de faire ou le bien, ou le mal ? »’

Eric sourit.

En France comme au Sénégal, les croyances se mêlent aux délires : ce dialogue avec l’inconscient, l’irruption de l’invisible dans l’esprit de la personne humaine.

Notes
300.

Nathan, Tobie. Stengers, Isabelle. 1999, op. cit.

301.

Mauro, Didier. 2001, op. cit. p. 107

302.

Laplantine, François. 2003. Préface, pp 40-45, in Bastide Roger, Le rêve, la transe et la folie, Paris, Seuil