7.2.2.2. Tounka, l’ancêtre devenu fou

Abdoulaye SADJI reprend le conte de Tounka 313 , relatant les origines mythiques du peuple Lébou 314 . Un peuple sans nom, décimé par la soif, commence un long exode guidé par le patriarche Tiongane.

« A une date qu’il est impossible de retrouver dans la mémoire si féconde des patriarches, un peuple sans nom, quittant le cœur chaud du Sénégal où la soif le décimait, se mit en marche dans la direction du soleil couchant. Il laissait derrière lui du sable et des cadavres… le goût de l’aventure inné en l’homme, s’ajoutant aux affres de la soif, rendait cet exode nécessaire. » 315

Ils parviennent aux confins du monde, là où finit la terre et où commencent les eaux. C’est avec « un long cri sauvage qui tenait de la peur et de l’admiration » qu’ils découvrent les rivages de la mer immense et insondable.

Bourou-Guedge, le roi de la mer, leur offre gracieusement sa manne. Ils prennent et mangent ce qui frétille sous leurs yeux. Voici que naissent les premiers pêcheurs et que les femmes se mettent à chanter en fumant le poisson. La vie sociale s’organise et le chat, compagnon de l’exode, est élevé à la dignité de fétiche vivant. C’est ce peuple qui prit le nom de Lébou.

Et voici que naît un type colossal, descendant du patriarche mais qui « n’a rien en commun avec son ancêtre du pays des sables ». D’une intelligence extraordinaire, N’galka devient « le meilleur cultivateur, le meilleur lutteur, le meilleur pêcheur de toute la côte ». Il épouse Goudi, une princesse du royaume de la mer qui le fait pénétrer dans un univers surnaturel et énigmatique.

De cette union hybride naît Tounka. A la naissance de Tounka, la mer se déchaîne, « faisant échouer sur la grève des barques et des cadavres, renversant des cases, brisant quelques arbres. » N’galka présente Tounka à Bourou-Guedge, le roi de la mer. Dés son retour du royaume de la mer, le baptême a lieu.

« Huit soleils après la naissance de Tounka les hommes fêtèrent l’événement sous l’égide de leurs fétiches séculaires. Ils se gavèrent de boissons fermentées de leur fabrication. Les féticheurs entonnèrent les champs de la mer et ceux des pays des sables que rythmaient des calebasses renversées dans l’eau. Il y eut des chutes hystériques sur le sable mou, de longues pâmoisons. Une excitation fiévreuse, une agitation morbide qui donnait aux femmes des masques de fauves. Cela dura jusqu’au coucher du soleil, quand la « Voyante » poussa le cri sonore qui mettait fin à ces bacchanales. » 316

Tounka surprend grands et petits par ses prodiges. Mais sur la sollicitation des vieux de la tribu, N’galka épouse la fille du Grand Maître des troupeaux et romps la promesse qu’il a faite aux dieux de la mer. Humiliée, Goudi sort de sa case « sans regarder cette foule en démence qui la poursuivait de ses jurons » et se suicide héroïquement dans les flots de la mer. La vengeance des dieux de la mer est terrible. Dans le tumulte des vagues de la mer, les puissances dangereuses et infernales s’emparent de N’galka qui devient fou furieux.

Le Maïtre-Féticheur et la « Voyante » font résonner le grand tambour des Ndeup (tam-tam fétichiste accompagné de danses et de libation). Il est orné de queues de djinnés (le diable) et « on ne battait qu’avec des queues de djinné ».

Un délire collectif s’empare des corps qui se balancent au rythme de l’invocation des génies des clans et des tribus et de leurs lignées respectives.

Mais le lendemain, Ngalka meurt. Les génies de la mer étaient plus forts. Les quatre plus forts gaillards qui portent la civière ne parviennent pas à se déplacer tellement, comme par un prodige, le corps de Ngalka est devenu lourd. Alors Tounka marche devant et la civière peut être soulevée. Les hommes sentent alors que « la charge est devenue infiniment plus légère » avec l’enfant.

Ainsi « les fétiches perdent leur pouvoir sur les démons de la mer et les génies du désert cèdent devant les forces infernales des dieux de la mer.

« Oui, tiraillées d’un côté et de l’autre par des esprits antagonistes irréconciliables, la plupart d’entre les plus anciennes familles de nos tribus sont exposées à la maladie qui ne guérit pas, à la folie, à la mort. » 317

Notes
313.

Sadji, Abdoulaye. 1965. Tounka, Paris, Présence africaine

314.

Sous ethnie wolof (qui serait née d’une union entre sérère et toucouleur)

315.

ibid. p.11

316.

ibid. p.48

317.

ibid. p.82