7.3.2. Chassé de chez les « francs bourgeois »

Gilles est un jeune de vingt trois ans qui vit dans la rue depuis plus de huit ans. Ses troubles du comportement -difficiles à gérer pour les collectivités-, associés à l’usage abusif de produits psychotropes, font qu’il est l’objet du « syndrome de la patate chaude » ; à savoir que la plupart des centres d’hébergement préfèrent ne pas l’accueillir et le renvoyer ailleurs.

« Les structures ne sont pas adaptées par rapport à nos besoins de liberté ! »

C’est vrai que Gilles parle d’expérience, car il a vécu toute son enfance à la DDASS, placé dans des foyers. Pour rien au monde il n’accepterait de retourner dans un foyer. Il se définit lui-même comme « un vagabond », pour insister sur son besoin extrême d’indépendance et sa difficulté à supporter les contraintes imposées par la vie en collectivité.

Il explique que la réglementation s’applique à tout le monde et reconnaît que c’est normal. Mais il insiste sur l’état de fatigue et de stress de la personne en situation d’errance quand elle arrive dans la « structure sociale ». Selon sa perception personnelle, certains travailleurs sociaux ont tendance à la traiter à la « mors-moi le nœud », en commençant par lui demander sa carte « s’il vous plait », puis à le « mettre de l’autre côté », bref à le traiter comme une « marchandise ». Il insiste sur l’importance extrême de l’accueil :

« On est bien reçu. Avec des personnes qui vous respectent, qui vous écoutent, qui vous parlent d’égal à égal. »

Puis il poursuit avec un regard critique sur les fonctionnements institutionnels, en particulier sur la pratique de l’ « exclusion », scandalisé quand celle-ci touche une personne vulnérable, âgée et profondément atteinte par la maladie alcoolique :

« Des travailleurs sociaux qui vous mettent à la rue ! Un vieux qui sort sa bouteille de son sac : exclu immédiatement sans avoir mangé. Il n’a même pas consommé. C’est des travailleurs sociaux de merde ! Puis ils appellent le 115, et nous, on est grillés. Vous trouvez ça normal. Qu’on nous respecte ! Il y a une façon de parler ! »

Il met en avant les aspects pervers du système du dispositif de Veille sociale départementale. A savoir qu’une personne peut être repérée par l’ensemble des acteurs du dispositif comme étant « à risque », et en définitif se retrouver rejetée.

Ce soir là, il essaye d’avoir une place par le 115, entre 16H et 22H, en vain. Le dispositif est saturé.

C’est pourquoi, il préfère la plupart du temps dormir dans un squat. C’est ainsi qu’il a pu s’installer dans un couloir d’un immeuble croix roussien chez les « francs bourgeois » :

« C’était génial, les escaliers en bois, avec des barres cuivrées, la moquette… »

Contraint de quitter l’immeuble dans la nuit glaciale de décembre, ils traitent alors ceux qu’il appelle les « francs bourgeois » d’« êtres déshumanisés qui appellent la police car ils ne veulent pas avoir de contact direct avec un SDF ! ». Il a cette sensation d’être perçu comme un être impur, risquant de contaminer ceux qui le touchent. Cela lui est insupportable.

Il finit par s’introduire dans un vieil immeuble (non rénové) dans le même quartier. Là, il va se cacher dans le couloir du dernier étage, « moins confortable », et il réussit à s’endormir. En plein sommeil profond, il se fait réveiller par le gardien qui lui pose le pied sur la tête pour l’écraser « comme un rat ». Gilles est choqué et en colère. Lorsque la police arrive, il commence à s’affronter avec le gardien et raconte à la brigade la façon irrespectueuse dont il a été traité. La police reprend vertement le gardien et propose à Gilles soit la cellule de dégrisement (à l’hôtel de police), soit le 115. »

Et c’est avec beaucoup d’humour qu’il se glorifie d’avoir eu un hébergement d’urgence parce que « les policiers ont appelé le 115 » et que « le Samu social 69, une bonne équipe, super » est venu le chercher à 1H30 du matin pour le transporter vers un centre d’hébergement.

Cette situation le fait réfléchir à la « mauvaise répartition des richesses ». S’adressant à un travailleur social, il dit :

« Regardez ce que l’on vous donne en subventions et ce qu’on donne à un club de foot, c’est fou ! C’est une supercherie ! Vous allez travailler toute votre vie et vous ne gagnerez même pas ce qu’un joueur gagne en quelques mois ! »

Son rêve est d’accéder à un appartement, en gérant son allocation adulte handicapée. Mais il sait qu’il a peu de chance d’y parvenir, compte tenu de son état de santé, de ses faibles ressources et de la crise du logement.

La pertinence de son regard sur le dispositif d’actions sociales tient à sa grande mobilité et connaissance de la quasi-totalité des structures, autour desquelles il « papillonne » tant qu’il est accueilli. Le soutien social qu’il apprécie passe par une qualité de l’accueil, avec de la convivialité et de la reconnaissance d’un lien social noué occasionnellement et entretenu occasionnellement, au hasard des rencontres.