7.3.4. On veut une démocratie pour tous

Les personnes en situation de handicap et d’errance n’ont pas d’illusion sur la crise de l’Etat-providence.

« Fini l’âge d’or ! Avant, on avait des aides pour le loyer, pour l’électricité… Maintenant, c’est l’expulsion !»

Effectivement, le rythme des expulsions, sans relogement, s’accélère 338 . L’Etat-providence en crise 339 a débouché sur l’Etat post moderne. Ce qui se traduit par une rupture progressive dans la conception même des politiques sociales. C’est ainsi que, depuis le début des années 1980, beaucoup d’États essaient de freiner les dépenses sociales. Ils justifient ces choix par une nouvelle conception basée sur la situation critique des finances publiques.

L’évolution historique des politiques sociales fait écho aux paroles des personnes en situation d’errance et de handicap. Au lendemain des élections régionales de mars 2004 d’une part, et d’autre part du référendum du 29 mai 2005 sur le traité instituant une Constitution européenne, les politiques sociales sont redevenues en France une priorité nationale. Cela s’explique par le résultat négatif lié à la situation sociale de nombreux citoyens. Les politiques sociales représentent une dépense d’environ 450 milliards d’euros chaque année (soit 30 % de la richesse nationale). Ce chiffre a doublé depuis 1980. En 1984, les dépenses de la protection sociale représentaient 121 % des charges du budget de l’État, soit 950 milliards de francs (environ 145 milliards d’euros).

Malgré cet effort important, lors de son discours de présentation du projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions à l’Assemblée nationale le 5 mai 1998, le ministre Martine Aubry constatait que «15 % des concitoyens connaissent la pauvreté, 2 millions de personnes ne vivent que grâce au RMI, 6 millions dépendent des minima sociaux, 200 000 personnes vivent dans la rue et 2 millions sont mal logées ». 340

Six ans plus tard, 341 le bilan de l’état de santé de la société française - encore plus préoccupant - était un des motifs du projet de loi relatif à la programmation pour la cohésion sociale. Ainsi, en quinze ans, le nombre d’allocataires du RMI a presque triplé (422 000 en 1989, 1 100 000 en 2004), le nombre de familles surendettées atteint aujourd’hui 1 500 000, le chômage des jeunes de 16 à 24 ans est passé de 28% à 50 % dans les quartiers des zones urbaines, le nombre de logements indécents a doublé, cependant que la liste d’attente pour l’accès au logement social a quadruplé. Par conséquent, la création et la pérennisation des hébergements est devenue prioritaire, et lebudget de l’Urgence grimpe d‘année en année.

Les personnes en situation de handicap et d’errance reprennent, souvent sous le mode de la colère compte tenu de leur souffrance endurée nuit après nuit, le débat sur le droit à l’assistance :

« On y a droit. Mais avec la société néolibérale, il n’y a que l’argent qui compte ! Ils s’en foûtent de nous. »

Sous la 3ème République, le droit « à » l’assistance occupait une place centrale dans les manuels de droit administratif. En 1910, suite à une étude importante consacrée à de J. Barthélémy sur « l’effort charitable de la IIIe République », l’idée que les pouvoirs publics devaient agir sur le social et prendre le relais de la charité privée et de la solidarité des proches a commencé à être accréditée. Avec toute l’ambiguïté libérale, il devait pour cela «forcer» l’individu à s’insérer dans la société.

Le droit de l’aide et de l’action sociale se caractérise par une mixité du droit privé et du droit public qui génère parfois une certaine confusion juridique. De plus depuis une vingtaine d’années, les économistes ont investi le champ du social par l’intermédiaire de la notion d’économie sociale et solidaire. 342

La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a défini juridiquement le terme d'action sociale. Ce terme était couramment utilisé par les professionnels du travail social et par le ministère des Affaires sociales : par exemple la direction générale de l'action sociale (DGAS), les anciens bureaux d'aide sociale (BAS) dénommés centres communaux d'action sociale (CCAS), le service social polyvalent s'intitule service départemental d'action sociale (SDAS).

En effet ce terme a de multiples sens. Il concerne soit le repérage et la compréhension de la nature des phénomènes sociaux à l'œuvre ; soit les dispositifs et les moyens mis en place pour répondre aux problèmes sociaux constatés ; soit les techniques et les modalités d'intervention ou encore les mécanismes juridiques, administratifs.

La loi du 2 janvier 2002 définit l'action sociale et médico-sociale 343 d'une manière complexe, à travers ses objectifs, ses acteurs, ses destinataires, ses modalités et ses missions.

Lorsqu’ils sont individuels, les objectifs tentent de répondre de façon adaptée aux besoins de tous les êtres humains et de promouvoir l'autonomie et la protec­tion des personnes. Ils sont aussi collectifs (la cohésion sociale). Ils sont également à l'articulation des deux dimensions : l'exercice de la citoyenneté et la prévention des exclusions en corrigeant ses effets.

Les acteurs concernés sont publics : l'État, les collectivités locales et leurs établissements publics. Ils sont aussi parapublics tels que les organismes de sécurité sociale, ou privés à but non lucratif tels que les associations, ou gestionnaires privés ou publics d'établissement, ou services qualifiés d'institutionssociales et médico-sociales.

Les membres de tous les groupes sociaux en sont les destinataires, en particulier les personnes en situation de handicap, les personnes vulnérables et celles qui sont en situation de précarité ou de pauvreté.

Les critères des modalités de mise en œuvre sont variés. Dépendant du cadre interministériel, ils sont sous forme de prestation en espèces (c'est-à-dire financière) ou en nature (sous forme d'un service rendu), avec une garantie d’accès équitable sur l'ensemble du territoire (selon le caractère décentralisé de l'action sociale et la libre administration des collectivités locales). Les personnes en situation de handicap et d’errance mettent le doigt, de façon souvent dérangeante, sur la consi­dération philosophique et éthique qui y assure le lien avec des textes juridiques supérieurs relatifs aux droits humains fondamentaux, dans le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains.

L’évaluation continue des besoins (le besoin désignant ce qui peut être objectivement nommé comme nécessaire) et des attentes (l'attente mettant plutôt l'accent sur le caractère subjectif propre aux individus) y est intégrée. Or les personnes en situation de handicap et d’errance désirent être partie prenante de ces évaluations, d’abord de par leur expérience d’usager. Mais, encore moins que les autres citoyens, elles sont consultées.

De façon à assurer le caractère public du service rendu et à autoriser des procédures dérogatoires au droit commun quant à son mode d'au­torisation et de gestion, ils s'inscrivent dans des missions d'intérêt général et d'utilité sociale. Définie comme une action dérivée de celle d'intérêt général, « la notion d'utilitésociale a vocation à qualifierune catégorie d'organismes de droit prive voire de droit public qui a pour objet de répondre aux besoins peu ou pas satisfaits par les secteurs publics el marchands de personnes fragilisées en manque d'autonomie ». 344

A partir de leurs histoires personnelles et des débats, les personnes en situation de handicap et d’errance ont abordé pratiquement tous les domaines concernant les missions de l'action sociale et médico-sociale, mais pas de façon exhaustive. C’est pourquoi nous synthétisons ici ces missions qui consistent à :

Ces missions sont accomplies par des personnes physiques ou des institutions sociales et médico-sociales. Ces Institutions sociales et médico-sociales sont définies comme des personnes morales de droit public ou privé gestionnaires d'une manière permanente des établissements et services sociaux et médico-sociaux. 345

Les acteurs concernés sont publics : l'État, les collectivités locales et leurs établissements publics. Ils sont aussi parapublics tels que les organismes de sécurité sociale, ou privés à but non lucratif tels que les associations, ou gestionnaires privés ou publics d'établissement, ou services qualifiés d'institutions sociales et médico-sociales.

Les membres de tous les groupes sociaux en sont les destinataires, en particulier les personnes en situation de handicap, les personnes vulnérables et celles qui sont en situation de précarité ou de pauvreté.

Les critères des modalités de mise en œuvre sont variés. Dépendant du cadre interministériel, ils sont sous forme de prestation en espèces (c'est-à-dire financière) ou en nature (sous forme d'un service rendu), avec une garantie d’accès équitable sur l'ensemble du territoire (selon le caractère décentralisé de l'action sociale et la libre administration des collectivités locales).

« Quelle place elle nous fait, la politique sociale ? » Telle est l’interrogation cruciale des personnes en situation de handicap et d’errance. Elle ressort ainsi lors des cafés – paroles pendant le Plan Froid :

Elles perçoivent sur le terrain les fruits des politiques sociales, à travers toute leur complexité. Le terme de politique sociale met l'accent sur l'intervention publique et la volonté politique qui la sous-tend. Comme l’action sociale, la politique sociale est composée de diverses politiques publiques visantà remédier aux difficultés sociales, individuelles et collectives.

En fonction de leurs objectifs et de leurs modalités, les politiques sociales sont:

Si la réflexion se centre sur les politiques sociales en France, au Sénégal on réfléchit surtout sur le développement social, mis en œuvre par les ONG et l’Etat.

Le développement social désigne une forme d'intervention particulière qui insiste sur le côté collectif, local et décloisonné des solutions à mettre en œuvre, ainsi que sur leur caractère inédit. Il se situe à la frontière des dimensions strictement économiques sociales et des dimensions sociales. Les actions sont mises en œuvre par les bénéficiaires de l'intervention qui deviennent ainsi acteurs de l'élaboration et de la mise en œuvre des actions les concernant. De ce point de vue, le développement social se situe au strict opposé de « l’aide sociale », dont le caractère est essentiellement « assistantiel ». Ce modèle peut servir de moteur en France dans les années à venir, dans ce grand courant de participation des usagers qui ne fait que commencer. 346

En raison de l'ampleur du domaine couvert par les concepts de protection et d'action sociale, l’accent a été mis dans ce travail de recherche que sur ce que les personnes en situations de handicap et d’errance ont relevé en matière de politiques sociales et médico-sociales. Si les mécanismes ne sont pas abordés dans leur globalité, ils touchent cependant aux grands domaines de l’action sociale (M. Borgetto et R. Lafore, 2004) 347 . A savoir les dispositifs médico-sociaux et les actions de santé ayant une composante sociale (dont la psychiatrie et la lutte contre les toxicomanies) et les dispositifs à vocation de logement, de formation ou d'insertion sociale et professionnelle.

Pour qu’un soutien social global, adapté aux besoins et aux désirs des personnes en situation de handicap et d’errance, articulé entre les différents domaines d’intervention de la politique sociale ou du développement social puisse s’opérer, l’expertise de ces personnes est indispensable. Car non seulement elles parlent, elles réfléchissent, elles analysent, mais aussi elles ont l’expérience dans leur quotidien de la qualité des fonctionnements institutionnels ou de leurs dysfonctionnement. Les groupes des pairs sont particulièrement porteurs de cette réflexion.

Notes
338.

Pauvretés, précarités, exclusions, Etat des lieux 2005-2006, Les dossiers de la MRIE 2007, Lyon

339.

Rosanvallon, Pierre. 1981. La crise de l’État-providence, Paris, Seuil

340.

JOAN du 6 mai 1998, p. 36393

341.

le 15 septembre 2004

342.

Borgetto, M. Laforce, R. 2004. Droit de l’aide et de l’action sociale, Paris, Montchrestien

343.

articles L. 116-1, L. 116-2 et L. 311-1 du CASF

344.

A. Evillet, 2002. Op.cit. p.210

345.

article L. 31 1-1

346.

Cf. fiche en annexe sur « une méthodologie d’intervention pour une action collective »

347.

Borgetto, M. Lafore, R. 2004. op. cit.