Chapitre 9 : La dynamique du soutien social dans un contexte de protection et de promotion des droits de l’Homme.

9.1. Les effets pervers du système

9.1.1. La mondialisation de la pauvreté

Le Monde produit six fois plus de richesses qu'en 1950 372 . Cependant, la croissance reste souvent très inégale et elle ne suffit pas, même si elle est capitale 373 . La Banque Mondiale établit le seuil de pauvreté à un niveau de consommation inférieur à 370 dollars par personne et par an. Le seuil de l'extrême pauvreté est fixé à 275 dollars 374 . La mondialisation de l'économie constitue un facteur explicatif de la mondialisation de la pauvreté. Elle restreint également les possibilités de décisions des États nationaux. En même temps, elle peut ouvrir la porte à une prise de conscience collective et à une « mondialisation des droits », à une commune volonté d'agir pour les droits de l'homme et contre la pauvreté et l'exclusion sociale des populations vulnérables et notamment des personnes en situation de handicap et d’errance.

Le formidable enrichissement collectif auquel on assiste depuis des décennies devrait bénéficier à tous. Les citoyens. Mais, c’est sans compter avec l'absence de relation de concordance entre l'enrichissement global d'une société et la diminution de la pauvreté. La prospérité d'une société ne suffit jamais à éliminer les situations de grande pauvreté et de précarité économique et sociale.

Le terme précarité est issu du latin juridique precarius (« obtenu par prière »), il s'applique à un être ou à une situation dont l'avenir, la durée et la solidité sont incertains 375 . La précarité caractériserait « ce qui n'est pas assuré », « ce qui est éphémère  376 ». Pauvreté viendrait du latin paupertas, désignant l'état d'une personne qui manque de moyens matériels 377 . La marginalisation peut se comprendre de différentes manières. Elle peut renvoyer à une situation de rareté ou de mise en marge. C'est alors un phénomène de « hors-jeu » social qui questionne les fondements du lien social et les instances de socialisation. Dès les premières acceptations du mot exclusion, au XIV siècle, le fait d'exclure, c'est le fait de mettre à l'écart.

On peut toujours être exclu de quelque part. Finalement, qui sont les exclus ? Les clochards, les personnes en situation de handicap, les errants, les débiles légers, les demandeurs d'asile, les petits délinquants, les détenus, les habitants des quartiers sensibles, les handicapés physiques, les homosexuels, les illettrés, les immigrés, les jeunes scolarisés de seconde zone, les mal-logés, les marginaux, les mendiants, les prostitué(e)s, les RMIstes, les sans domicile fixe, les séropositifs, les toxicomanes, les Tsiganes, etc. 378

En 1391, Colin Lenfant, petit voleur, vagabond et misérable est envoyé à la potence en ce que son état le rendrait tout simplement inutile au monde 379 . Il transparaît que la grande pauvreté n'est pas seulement une question d'intérêt que l'on doit porter à l'autre. Ce ne serait pas davantage seulement un problème politique, économique ou social auquel le droit se devrait d'apporter des palliatifs. Ce serait une question de droits bafoués qui ferait l'homme pauvre.

En conséquence, la lutte contre ce degré extrême de l'inégalité passerait par une restauration des droits, et poserait le problème primordial de l'effectivité du droit. La pauvreté extrême est forcément un défi majeur pour notre société. S'il s'agit certainement d'un défi éthique et politique, c'est également de manière incontournable un défi juridique, qui interroge l'État dans son rôle, le droit dans ses fondements et sa pratique, mais encore particulièrement les droits de l'homme reconnus aujourd'hui comme fondamentaux et le nouveau concept juridique de dignité de la personne humaine. L'existence de la pauvreté extrême invite à une réflexion globale sur le sens du droit et sur l'exigibilité des droits, leur effectivité et leur impunité.

Notes
372.

Rapport du PNUD sur le développement humain pour 2006

373.

Rapports du PNUD sur le développement humain de 1996 à 2006; voir aussi Nicholas Stern, Quel gouvernement pour vaincre la pauvreté ? Le Monde, 27 juin 2000, Tribunes, p.7

374.

Ces chiffres sont cités par le rapport intérimaire de Léandro Despouy, sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, présenté devant la Commission des droits de l'homme, Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités du Conseil économique et social des Nations Unies, Doc.E/CN.4/Sub.

375.

Damien-Guillaume Audollent, Daniel. 1999. Combattre l'exclusion, Paris, Fayard, p.12

376.

Valtriani, Patrick. 1999. Les politiques sociales en France, Paris, Hachette, p.118

377.

Barrat, Claude-François. 1998. La pauvreté, Paris, PUF, Que sais-je ? n°3408, p.5

378.

Frétigné, Cédrit. 1999. Sociologie de l'exclusion, Paris, l'Harmattan

379.

Cubero, José. 1998, Histoire du vagabondage, du Moyen âge à nos jours, Paris, Imago, p.75