La situation de handicap et d’errance est le mal absolu parce qu'elle atteint la dignité des personnes humaines qui la supportent. La dignité, c'est initialement une fonction et le fait de tenir son rang, avant d'être l'expression de l'humanité en l'homme. Cependant, le seul mot d'homme renverrait à une idée de dignité, ainsi que l'affirme Pufendorf. Ni un « mythe, ni une illusion de civilisation », la dignité se veut aujourd'hui un absolu, qui dote l'homme d'une valeur propre et exceptionnelle et en conséquence qui assoit sa primauté. Elle implique un respect profond de la personne humaine, qui va au-delà du seul égard dû à la vie physique, au statut social, aux rôles et aux fonctions. C'est l'esprit, par quoi l'homme émerge du monde animal, l'émergence de l'être humain qui se dresse au sein du monde comme sujet de dignité et de respect.
Certainement, chaque être humain en ressent intuitivement la réalité et la force. Mais l'intuition nous laisse hors du champ du droit et depuis Auschwitz, nous savons que l'homme, c'est aussi celui que l'on peut piétiner jusqu'à l'effacement, que l'on peut réduire à un matériau, une denrée, une fumée et même rien. Dès lors, les démocraties modernes ont ressenti le besoin de réagir et de faire passer la dignité du stade d'un concept métaphysique à une réalité juridique, politique, sociale et culturelle.
Depuis le deuxième conflit mondial, nombreux sont les instruments internationaux et les constitutions qui l'intègrent explicitement. Chacun a droit au respect de sa vie privée et de la dignité de sa personne. C’est pourquoi nous intégrons le droit à la dignité comme partie intégrante des droits constitutionnels protégés. Les législations française et sénégalaise ont pu consacrer juridiquement le concept en tant que tel, qui en conséquence n'est plus seulement une exigence éthique pour l’ensemble des citoyens et, notamment les populations les plus vulnérables dont les personnes en situation de handicap et d’errance.
Longtemps sous-jacent en droit positif, particulièrement dans les domaines de l'atteinte à l'honneur, du respect dû aux morts, et des crimes contre l'humanité, le concept a fini par être saisi par le droit. En France, la première consécration législative remonte à 1986. La loi 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication audiovisuelle précise que ladite liberté doit s'exercer dans le respect de la dignité humaine. Elle sera suivie entre autre par le Code civil, le Nouveau Code pénal qui comprend désormais un chapitre intitulé « Des atteintes à la dignité de la personne », et la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 ainsi que la loi 2002-2 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale.
La jurisprudence, tant civile qu'administrative, s'est également appropriée le concept, tout comme le Conseil supérieur de l'audiovisuel. La dignité a même fait une « entrée en fanfare » avec la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, qui consacre comme principe à valeur constitutionnelle, le principe de sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation. Mieux, le 19 janvier 1995, le conseil consacre comme objectif de valeur constitutionnelle, qu'il déduit du principe de dignité, la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent. Le projet de loi de janvier 2007 sur le droit au logement opposable s’inscrit dans la même dynamique de protection de la dignité humaine. Ainsi, la dignité ne reste plus au stade de relations interindividuelles, mais passe au niveau des « rapports sociaux » et plus encore à la responsabilité de la collectivité envers les personnes en situation de vulnérabilité et d’extrême pauvreté. La dignité humaine se révèle être la source d'obligations positives qui reposent sur l'ensemble de la collectivité à travers un devoir de solidarité et de soutien social global.
Très certainement, cette consécration pose des difficultés, dont celle de devoir concilier ce « droit matriciel » avec les autres droits. On cerne mal comment pourrait être mis en concurrence avec un autre principe, en ce qu'il serait en quelque sorte le principe d'intelligibilité de l'ensemble des droits fondamentaux. Il serait la substance qui possède la propriété merveilleuse de faire croître les droits fondamentaux. Cependant, on se trouve confronté au problème de l'intégration des droits sociaux dans le concept de dignité humaine. Le danger est celui d'un concept mou, d'un sac mou qui s'adaptera à ce qu'on mettra dedans. L'intérêt est qu'il peut, par exemple, permettre de répondre à un vide juridique, quant les risques de violences (symboliques aussi) sur les personnes en situation de handicap et d’errance, portant atteinte à leur humanité, ne trouvent pas d'ancrage en droit positif. Quoi qu'il en soit, comment ne pas prendre en compte les droits sociaux, identifiés d'ailleurs comme des droits à la dignité de l'existence ? La dignité a vocation à regrouper tous les droits sociaux. La dignité ne peut que nous renvoyer à l'ensemble des droits qui font l'homme et donc aux situations vécues par les personnes en situation de handicap et d’errance, pour obliger à y réagir.
Le droit à la dignité des personnes en situation de handicap et d’errance est le principe selon lequel ces dernières ne doivent jamais être traitées comme un moyen, mais comme une fin en soi. C'est l'autonomie et la liberté de l'homme qui en constituent le fondement. Aussi, probablement, chacun des droits de la personne pourrait être l'objet de l'une de ses applications, y compris un droit social. Dès lors, l'extrême pauvreté et le manque de soutien social global en ce qu'ils se caractérisent par une violation des droits de l'homme, constituent nécessairement une atteinte à la dignité humaine des personnes en situation de handicap et d’errance. Les démembrements de la dignité humaine, actuels ou potentiels, font des situations de handicap et d’errance des situations caractérisées d'atteinte à la dignité humaine. Il en résulte que ces situations sont une violence sur le droit, puisque la dignité en elle-même ou les droits qui sont susceptibles d'en dériver sont juridiquement consacrés.
Le droit pose un principe d'interdiction de « toute atteinte à la dignité ». La loi de 1998 de lutte contre les exclusions dispose que la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation. Un arrêt du Conseil d'État français 412 valide l'interdiction d'un maire d'autoriser sur sa commune un spectacle dit du « lancer de nain ». Le respect de la dignité humaine est considéré comme l'une des composantes de l'ordre public. Aussi, il est admis que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité humaine.
Pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), il ne suffit pas que la situation de fait soit dégradante, il faut qu'elle soit imputable à l'Etat, directement ou indirectement. Ni l'effectivité des droits, ni l'interprétation évolutive de la Convention ne permettront à elles seules d'étendre la protection de l'article 3 aux conditions de vie misérables : il convient de prouver la responsabilité de l'Etat 413 des conditions matérielles d'existence minimales en tant qu'élément de la dignité humaine articles 414 . Pour Pierre-Henri Imbert, « le traitement dégradant ne doit plus être envisagé à travers les seules relations entre personnes, il doit pouvoir résulter directement de situations, en particulier d'extrême pauvreté 415 ». La jurisprudence européenne est désireuse de donner tout son « effet utile » à l'article 3. Cet article a même été appliqué à des domaines qui étaient normalement non garantis par la Convention, par le biais de la protection par ricochet.
La misère est une cause essentielle de l'entrée dans les prisons 416 où des personnes en situation de précarité s'appauvrissent encore plus. A Dakar, lors des rafles de la police, des personnes en situation de handicap et d’errance ont vu tous leurs biens de valeurs disparaître avec leur argent. Elles indexent certains membres des forces de l’ordre qui n’hésiteraient pas à se servir. En France, certains maires refusent le stationnement et l’installation des personnes en situation de handicap et d’errance par crainte de troubles et de charges sociales supplémentaires mais surtout pour des raisons touristiques 417 . Il faudrait que les tribunaux, tout en reconnaissant la validité du droit des autorités à faire respecter l'ordre, saisissent le message que la mendicité envoie sur notre société ; une forme d'expression qui doit être protégée comme les autres. De plus, un mendiant ne menace pas la société, son crime est d'être dans la situation de handicap et d’errance et dans le besoin.
S'il appartient au maire d'assurer le bon ordre en empêchant pendant l'été les populations de passage, pratiquant la mendicité dans les espaces publics, de porter atteinte à la commodité de passage et la tranquillité publique, il ne doit pas perdre de vue que la liberté est le principe et la restriction l'exception, ce qui prohibe en conséquence toute interdiction générale et absolue qui serait la négation même de la liberté 418 . Le 9 juillet 1997, le Tribunal administratif (T.A.) de Pau a annulé trois arrêtés pris à PAU, Tarbes et Bagnères-de-Bigorre. Il a notamment considéré que les faits n'étaient pas probants.
Si la mendicité peut être réglementée, voir interdite, c'est seulement à condition de fournir la preuve des faits allégués. Une lettre dénonçant des actes de violence commis par des sans-abri ne suffit pas à affirmer qu'ils sont liés à la mendicité. Jean Hanot, adjoint au maire de la ville de Nice, a pu dire : « Nous n'avons pas éradiqué la mendicité mais ils auront compris qu'il valait mieux aller ailleurs 419 ». Le droit au respect de la vie privée emporte le droit à l'inviolabilité des correspondances écrites ou téléphoniques, comme le droit à la protection des informations nominatives. Il intègre aussi le droit de s'opposer à la captation et à la divulgation de son image ou de sa voix. Selon Paul Ricœur, la nature, c'est le donné biologique, la loi du plus fort, le poids des conditions 420 . Rien ne serait plus utile à l'homme pour s'affirmer en tant qu'homme et persévérer dans son être que d'autres hommes ayant fait la même découverte 421 .
Pour Grotius, l'homme annihile volontairement une partie de sa liberté du fait de son besoin de vivre en société. L'égoïsme d'un Hobbes ne serait pas le seul fondement de la société. « Si l'homme est engagé tout entier comme partie de la société politique (...) cependant il n'est pas partie de la société politique en vertu de lui-même tout entier et en vertu de tout ce qui est en lui. Au contraire en vertu de certaines choses qui sont en lui l'homme s'élève tout entier au-dessus de la société politique 422 ».
La personne humaine est le centre en tant que bénéficiaire et acteur du droit au développement qui implique tant pour les personnes humaines que pour les peuples un développement économique, social, culturel et politique à même d'assurer le plein développement social. La nécessité du développement a été mise en évidence avec la proclamation de Téhéran du 13 mai 1968, qui soulignait le caractère nécessaire de « politiques nationales et internationales de développement économique et social adaptées et efficaces ». Sur ce droit, Bernard Raymond Guimbo 423 souligne en quoi ce droit est un «droit synthèse», c'est-à-dire qu’il est « au bout de chaque droit individuel » et qu’il regroupe tous les droits de l'homme.
S'il n'y a pas de modèles précis et rigides de démocratie, cependant il ne saurait y avoir de démocratie sans liberté et sans respect de l'État de droit et des droits fondamentaux de l'homme 424 . Il faut compter avec l'existence en tout homme du « besoin d'un certain respect de l'autre (...). Une souffrance profonde serait là où ce respect ferait défaut 425 ».
La dynamique du soutien social dans un contexte global de protection des droits des personnes en situation de handicap et d’errance est fondée sur le respect et la justice. Elle s’appuie sur un humanisme qui vise à respecter les droits fondamentaux de l'être humain. C'est dans ce sens que nous paraphrasons André Comte-Sponville (Présentations de la philosophie) pour dire que les personnes en situation de handicap et d’errance ne sont pas mortes : « ni comme espèce, ni comme idée, ni comme idéal ». Mais elles sont mortelles et c'est une raison de plus pour les défendre ».
CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge et Ville d'Aix-en-Provence, (2 espèces), R.F.D.A.? Nov.-déc. 1995, pp.1204-1217, concl. Frydman
Maurer, Béatrice. Le principe de respect de la dignité humaine et la convention européenne des droits de l'homme, pp.335-356.
Articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Cité par Frédéric Sudre, La première décision Quart Monde de la Commission européenne des Droits de l'homme : Une « bavure » dans une jurisprudence dynamique, R.U.D.H.? p.352. Voir aussi Frédéric Sudre, La notion de « peines et traitements inhumains ou dégradants » dans la jurisprudence de la Commission et la Cour européenne des droits de l'homme, R.G.D.I.P, 1984, pp. 825-889.
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Sayah, Jamil. 1997. Le vagabondage et la mendicité : un délit périmé, Revue Sciences criminologiques, janv.-mars 1997, p.45.
Olive, Agnès. 1998. Le droit de mendier, Revue Sciences criminologiques, Janv.-mars 1998, pp. 69-81.
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Barrêt-Krigel, Blandine. 1989. Les droits de l'homme et le droit naturel, Paris, PUF, p.67
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