Conclusion

Au terme de cette recherche, la question centrale concernant la capacité qu’ont les adultes en situation à la fois de handicap et d’errance à percevoir et à concevoir des formes de soutien social ajustées à leurs attentes, à leurs besoins et à leurs désirs est en grande partie validée. En effet, au delà de la diversité des substrats culturels, ils pensent, s’expriment, disent leurs attentes et leurs désirs.

Les personnes en situation de handicap et d’errance, individuellement ou avec leurs groupes de pairs, pointent les obligations des pouvoirs publics dans la lutte contre l’exclusion. Le droit à l’aide et à l’action sociale met en effet face à face l’individu (et/ou son groupe d’appartenance) et la collectivité. L’objectivité nécessaire à la cohésion et à la justice sociale doit savoir se concilier avec des normes exprimant des valeurs conformes à l’exigence de dignité de la personne humaine.

Comme le souligne Charles Gardou dans son livre « Fragments sur le handicap, pour une révolution de la pensée et de l’action », cela sous-entend une mise à nu des fantasmes individuels et collectifs qui « continuent d’osciller, dans notre culture, entre le handicap-destin à subir et le handicap-calamité à éradiquer » (2005, p. 203). Cela n’est possible que par une pensée métisse capable de rendre la société perméable à la vulnérabilité. Et par voie de conséquence, un vivre ensemble d’êtres multiples et différents. En particulier avec les personnes qui souffrent d’une double stigmatisation : de par leur handicap et de par leur errance. Cette pensée métisse pourrait être un des axes de développement qui éclairerait une perception plus fine de la société par les personnes en situation de handicap et d’errance.

Outre les violences concrètes de la société (de par la fragilisation de leurs bases anthropologiques liées à leur situation de vie et les multiples formes de répression), ces personnes doublement stigmatisées subissent des violences symboliques insidieuses. L’écart entre leur droit et la situation de handicap et d’errance signifie de fait un droit à la dignité confisquée. Les actions collectives des groupes des pairs, au sein de mouvements citoyens, rendent visibles les dysfonctionnements et les insuffisances des politiques sociales au sein de la société. Ils sont prêts à collaborer à la conception de stratégies d’aide les concernant. La question de la participation sociale de ces usagers au sein des structures, de ces citoyens au niveau des instances de décision des politiques publiques, reste une pierre d’achoppement. Elle constitue pourtant un à-venir qui émerge peu à peu dans nos démocraties modernes, conçues dans des perspectives humanistes.

La dynamique du soutien social global se situe dans un contexte de protection des droits des personnes. Lorsque le soutien social n’est que parcellaire, l’intégration dans la société s’avère hors d’atteinte. Si le besoin en soutien social matériel (pour elles et leurs familles) sous forme de logement, de travail ou de revenu est incontournable pour sortir de la situation d’errance, la demande de ces personnes se simultanément en termes de reconnaissance sociale et de respect de leur dignité humaine. Ces deux faces du soutien social sont inséparables.

Les perceptions contrastées que les personnes en situation de handicap et d’errance ont du soutien social qui leur est proposé (ou qui fait défaut) peut offrir un éclairage supplémentaire aux acteurs institutionnels en vue de l’élaboration de politiques sociales les concernant. Car la prise en compte des situations de handicap et d’errance est un impératif, à la fois par la diminution des obstacles liés à l’environnement et par la mobilisation des ressources des personnes elles-mêmes. Celles-ci dessinent un modèle de soutien social global, avec ses dimensions fondamentales et ses enjeux d’humanité. Le respect et la justice en constituent le fondement. Cela est particulièrement vrai pour les personnes vulnérables qui se réclament elles-mêmes de la protection et de la promotion des Droits de l’Homme, indivisibles et universels.

Cette recherche offre un certain nombre de limites :

Les multiples formes de participation sociale, ébauchées dans cette recherche, agissent comme facilitateurs dans les situations de handicap et d’errance. C’est un des leviers de la reconnaissance sociale qui se tisse dans de « tout petits liens » (François Laplantine, 2003) et qui s’inscrit dans « l’amour, le droit et la solidarité » (Axel Honneth, 2002). La poursuite d’un travail de recherche nous paraît déterminante pour mieux saisir les aspirations et les potentialités des personnes en situation de handicap et d’errance, comme acteurs privilégiés au sein de la société : comme acteurs de sens, car elles se situent sur les failles du système, dans un désir de Démocratie en devenir.