Annexe n°7 : Quelques échanges avec les groupes de pairs à Dakar

- Quelques réflexions d’un groupe de pairs à Dakar

Un groupe d’hommes, tous atteints de déficience motrice (liées à la poliomyélite ou à un accident), sur le large trottoir du boulevard de la république, contre la cathédrale de Dakar, au niveau du feu rouge, le 22 février 2006, à 19H30.

Il fait nuit. La circulation est devenue très fluide et seuls quelques piétons marchent encore sur les trottoirs. Un groupe de six personnes en situation de handicap (atteintes de déficiences motrices, certaines ayant des fauteuils et d’autres des cannes), assises autour d’un feu de bois, se chauffent avec des restes de bois récupérés auprès des ateliers de menuiserie. Il fait froid. Nous, comme eux, portons des pulls et des vestes pour nous protéger du froid.

Après les salutations et les présentations, ils nous racontent comment ils ont été amenés à vivre dans la rue. La raison première concerne la nécessité de subvenir aux besoins de la famille, à laquelle se mêle leur perception du mépris du fait de leur déficience, déficience qui est pour eux la volonté de Dieu.

  • Mustapha : « J’habite à Rufisque (à 25 Km de Dakar). Mes parents sont vivants. J’ai aussi des frères qui travaillent dans le gouvernement et qui ont une bonne situation. D’ailleurs le fait que je sorte pour venir à Dakar faire la manche ne leur plait pas. Ils me disputent ou même ils se battent avec moi parce qu’ils n’aiment me voir dans cette situation. Car ils ne voudraient pas que leurs « nawlés » (alter-égo) me voient dans les rues de la ville. Pour eux les amis ne manqueront pas de leur faire des reproches face à une telle situation. On leur dira qu’il n’est pas normal que leur frère handicapé mendie alors qu’ils ont les moyens. Mais je préfère ça plutôt que de rester sans rien faire. A chaque fois, quelqu’un de la famille, lorsqu’il a un besoin, vient me donner quelque chose. Ou bien à chaque fois je viens solliciter ma mère ou un de mes frères pour qu’ils me donnent de l’argent. Voila pourquoi je viens demander de l’argent à des gens ici pour que je puisse régler personnellement mes problèmes. Pour certains je suis fou. C’est pourquoi j’ai cette attitude envers eux. Je ne veux rien, sinon je serais resté à la maison. On me donnerait ce que j’aurais besoin, mais ça ne me concerne pas. Ce qui m’intéresse, c’est de gagner quelque chose. »
  • Samba : « Il faut reconnaître que « lago yala mokay tek niit ki »  (c’est Dieu qui fait qu’on soit handicapé). En effet, tu te retrouves dans une famille où tout le monde marche, et l’un d’entre eux ne le peut pas. Dieu seul sait pourquoi Il a fait ça. Nous, qui vivons tous cette situation, nous l’acceptons comme une volonté divine. Nous ne nous soucions pas du fait que nos amis marchent. Ce qui est important c’est que nous, les handicapés, nous l’assumons. C’est Dieu qui a voulu ça. Ce n’est ni notre père, ni notre mère qui en sont à l’origine. C’est Lui qui a fait de nous des handicapés et, puisqu’il est notre créateur, Il fait ce qu’il veut de nous. Et moi, Samba, je suis très content de ce Dieu a fait de moi et je l’en remercie beaucoup. »
  • Oumar : « Un handicapé doit être soutenu par ceux avec qui il vit. Mais quand on est un handicapé, on ne peut pas bénéficier de l’estime des individus. On ne te considère pas comme un être humain. Il arrive que tu aimes une fille qui est aussi amoureuse de toi et quand vous décidez de vous marier. Alors on se réunit pour dire à la fille si elle n’est pas malade ! Ce sont ces parent qui font ça, en lui disant : « Ki nga war ko améle sarakh, nganane yakoy beugue, khana guisso say nawlé » (Celui-là, tu ne lui dois que de l’aumône, comment oses tu dire que tu veux l’épouser !) Tu n’as pas vu les autres filles comme toi. Regarde tout ce qu’elles ont et les grandes cérémonies qu’on a organisées pour elles. Celui-là ne peut pas t’assurer une cérémonie digne de ce nom. C’est comme si le handicapé n’est pas un être humain. Il y a beaucoup de handicapés qui s’isolent. Ce sont des cas similaires qui les ont conduits dans une telle situation. Il y a qu’aussi, quand on est l’aîné d’une famille et qu’on soit de fait handicapé, si on a un frère qui travaille, on lui donne plus de considération qu’à toi, en plus sans qu’on te le cache ! Et pourtant le handicapé jouit de ses facultés mentales comme son frère. Tu es un être humain comme lui. C’est Dieu qui a retenu tes membres. Il y a des handicapés qui quittent chez eux et qui traînent dans les rues. Quand tu les vois, tu peux être amené à penser qu’ils n’ont pas de chez eux ou qu’ils ne sont pas de Dakar. Et pourtant, ils habitent vraiment cette ville qui les a vus naître et grandir. En résumé ils ont tout dans cette ville. C’est parce qu’il y a bien des choses qu’ils voient et qui les font adopter cette attitude. Il faut reconnaître que les handicapés sont des êtres humains ? Donc quand on vit avec un handicapé, on doit avoir une pensée envers lui. »
  • Cheikh : « Le fait que nous vivons dans la rue ne nous plait pas. Si nous le pouvions, chaque matin nous nous réveillerions chez nous. Mais nous venons là pour demander de l’aide. Là où nous sommes souvent victimes de rafle pour nous déverser hors de la ville et on ne nous considère pas comme des humains. Ce sont des situations que nous n’aimons pas. Car nous ne préférons pas vivre dans la rue : nous avons laissé nos femmes et nos enfants à la maison. »

C’est à ce moment que Samba, l’un de ceux avec qui nous discutons, demande à Aliou de lui donner une couverture qu’il avait étalée sur les grilles qui clôturent la cathédrale. Les autres protestent en lui disant de ne pas déranger Aliou !

  • Cheikh : « Nous avons une façon de vivre qui ne nous plait pas, mais nous n’avons pas le choix. Nous sommes tous des natifs du Sénégal, donc des citoyens comme tous les autres sénégalais et nous devons bénéficier des mêmes considérations. Nous avons laissé nos femmes et nos enfants à la maison. N’importe qui parmi nous a une femme. La façon dont nous vivons ne nous plait pas. Mais il faut accepter la volonté divine. C’est ce que nous faisons actuellement. C’est vrai que certains passants, qui nous trouvent ici, ne nous considèrent pas comme des êtres humains. Mais s’ils venaient chez nous, ils comprendraient que la situation que nous vivons ici est très différente de celle qui prévaut chez nous. Pour preuve, il faut se référer à la fête de la tabaski (la fête musulmane du mouton). Nous étions tous rentrés chez nous pour la célébrer avec nos familles. Avec l’argent que nous avions ramassé ici, nous avions des habits pour nos enfants et nos femmes, sans oublier le mouton de tabaski. Tous ces sacrifices, grâce à ce que nous gagnons ici. Moi qui te parle, je suis de Thiès et je suis revenu après la fête de la tabaski. Je suis plus particulièrement de Touba Pékou. D’ailleurs la situation que nous vivons ici dans la rue, nous avons fini par l’accepter avec plaisir car nous acceptons la volonté de Dieu sur nous. C’est vrai que les gens nous sous estiment et nous considèrent comme des mauvais, mais nous ne le sommes pas auprès de Dieu. Nous nous abandonnons entre les mains de Dieu. D’ailleurs tous ceux qui s’approchent de nous comprennent comment se passent les choses. Même si c’était le président de la République, car nous ne sommes pas fâchés contre lui. Nous ne cessons de prier pour qu’il puisse réussir dans ses œuvres pour le Sénégal. Mais nous attendons à le voir nous soutenir comme il se doit, car il n’y a que des intermédiaires entre lui et nous. Il doit se présenter à nous, afin qu’on puisse lui dire nos doléances. Ici nous sommes victimes de rafle au vu et su de lui et il ne dit rien. Il ne faut pas oublier que nous participons aux activités politiques, et plus particulièrement à la marche bleue (une marche instituée par le parti PDS – parti démocratique sénégalais -). C’est cette marche qui a abouti à l’élection de M. Wade comme président de la république du Sénégal. »

La conversation se poursuit sur les rivalités entre les deux partis – le PDS et le parti socialiste - puis reprend sur la famille.

  • Bara : « Nous avons tous des femmes. Moi, j’ai plusieurs femmes. J’ai deux enfants avec ma deuxième femme. J’étais parti chez elle pour la tabaski. En tout j’ai neuf enfants. Mes femmes sont toutes à Thiés. Je suis âgé de 44 ans. »
  • Samba : « J’ai 33 ans. J’ai une femme mais je n’ai pas encore d’enfants. »
  • Oumar : « J’ai 42 ans et j’ai une femme et deux enfants… »

Yoro poursuit les échanges sur la place de la personne en situation de handicap dans la famille et sur la question de la formation scolaire et professionnelle, à partir de l’expérience du groupe de pairs :

  • « Avant de venir ici, j’apprenais le Coran. Mais je n’ai pas appris un métier. Quand on est un jeune enfant, de surcroît en situation de handicap, ses parent pensent surtout à trouver un remède, plutôt qu’à lui faire apprendre un métier. Et ceci jusqu’à ce que tu aies dépassé l’âge d’aller à l’école. Ou bien ils se mettent à s’inquiéter de te voir à l’école avec des camarades valides, alors que ce que nous arrange le plus est d’être instruit ! Si nous avions fait des études, notre situation serait moins critique, mais Dieu a voulu que ce soit ainsi. Donc il faut l’accepter ainsi. Quand on vit avec une personne en situation de handicap, il faut la soutenir. Mais les gens vivent avec des personnes qui ont une déficience sans les aider. Si Dieu vous met en rapport avec un individu qui a un handicap, l’obligation vous est faite de le soutenir. Il faut vraiment penser à lui en sachant qu’il a les mêmes besoins que tout être humain. Malheureusement nous vivons avec des gens qui n’ont, la plupart du temps, aucune considération pour nous. Des qu’on est une personne vivant avec une déficience, on ne bénéficie plus de l’estime des gens. »

Ils demandent un soutien financier pour développer des projets socioprofessionnels, dont voici l’un d’entre eux.

  • Mustapha : « Ce mépris des gens se manifeste par le fait que, lorsqu’ils nous croisent dans ces milieux, ils nous traitent de mauvaises personnes, d’autres nous prennent pour des bandits. Or tel n’est pas le cas. D’ailleurs, si tu te rendais à la maison de l’un de nous, tu serais émerveillé, surtout si nous avons une cérémonie familiale. Quoi que puissent être les mauvaises choses que les personnes disent sur nous, nous les laissons avec Dieu car ils engagent leur responsabilité.
    Moi, qui te parle, j’élevais des moutons et des poulets. Si je parvenais à avoir une somme suffisante pour me lancer de nouveau dans ces activités, plus personne ne me verrait dans des milieux pareils. Les activités d’élevage me permettront de satisfaire les besoins de ma famille. Il me suffit d’obtenir un financement pour que Dakar ne me voit plus que très rarement. Ainsi je rentrerai pour élever des moutons et des poulets, parce que ce que nous vivons n’est pas quelque chose d’agréable.
    Quand tu viendras prochainement, tu pourras voir que les femmes contribuent à l’animation du milieu. Oui, nos femmes sont des handicapées. Nous passons quelques jours à Dakar, ce qui nous permet d’avoir quelque chose pour retourner chez nous et régler des problèmes. »
    La République, en la personne du président, doit assumer les citoyens en situation de handicap et cesser de les faire rejeter hors de la ville par la police, tels des encombrements humains. Cette revendication est approuvée par la justice lorsqu’ils sont conduits au tribunal.
  • Bara : « Nous méritons d’être soutenus, mais on ne le fait pas et on ne nous laisse pas en paix. Mais dagnouy diele dignou keleu keleh «  on nous … ??? pour traîner un peu par tout »
    Tu sais que niit kounék amna fouga mana wanté amna fougnoula mané. Ce que je veux dire par là, c’est que nous sommes là en tant que nécessiteux et les valides ne nous soutiennent pas. Mais quand nous ne serons plus, seul Dieu interviendra.
    Nous sommes des citoyens. C’est là où nous pouvons obtenir quelque chose. Or c’est là aussi qu’Abdoulaye (le président Wade) envoie des policiers qui viennent nous pendre pour nous conduire au commissariat central où l’on nous garde environ durant cinq jours pour ensuite nous acheminer au tribunal. Et les juges, dès qu’ils arrivent, nous libèrent et demandent aux policiers de plus nous laisser ici, car ils trouvent que nous n’avons rien fait d’anormal. Car, au lieu de nous traiter comme des encombrements humains, l’Etat devrait nous donner des allocations et nous aider à avoir un travail pour nous permettre d’assumer nos familles. En fait, l’Etat reçoit des aides pour nous. Mais, on n’en voit jamais un centime ! Ils détournent l’argent et ils passent devant nous avec leurs grosses voitures ! Après, ils viennent dans les rues avec les délégations officielles, ils font croire qu’ils ont utilisé l’argent pour nous. C’est aussi pour ça qu’on nous chasse. »
  • Cheikh : « Mais en fait, lorsqu’un président doit se rendre au Sénégal, les policiers viennent toujours nous ramasser pour aller nous jeter à Kidira (frontière du Mail), à Tamba où Sébikhotane. D’ailleurs, il n’y a pas longtemps, j’ai été jeté hors de la ville. Il arrive même qu’ils prennent avec nous nos femmes qui sont en situation de vie à la rue. Et de surcroît, en état de grossesse. Ils vont les jeter hors de Dakar à des heures tardives, comme à 3 heures du matin, parce que nous avons commis le tord de venir faire la manche. Les policiers nous ramassent parce que Abdoulaye dit qu’il ne veut pas que ses hôtes nous voient faire la manche au niveau des feux rouges. Pourtant ces autorités ne nous aident pas. Et cependant, avec quoi nous entretenons nos familles ? Avec ce que nous gagnons ici ! Nous aimerions que vous nous aidiez à comprendre cette situation. En tout cas à chaque fois qu’on nous amène au commissariat central, on dit que le président voudrait nous empêcher de faire la manche dans les rues.
    Mais lorsqu’on nous dit que le président nous interdit de mendier, j’entends dire, moi, que les autorités nous doivent de l’argent. D’ailleurs, si demandons de l’aumône aux toubabs (les blancs), ces derniers recommandent d’aller voir notre président car, pour eux, c’est lui qui a notre argent. Or nous ne voyons rien de tout cela ! Les autorités du pays veulent nous rejeter de ces lieux, là où les gens passent pour nous donner quelque chose. Cela n’est pas possible, c’est faux ! Seulement Pape Diop (maire de Dakar) et Tanor (représentant du parti socialiste) nous offrent de l’argent. Ce sont les deux autorités dont nous prononçons les noms, avec eux des libanais. Ces derniers sont vraiment gentils. Cela n’aurait pas été les libanais, nous aurions cessé de venir à la ville. »

Puis le groupe des pairs nous parle du soutien de l’environnement social.

  • Oumar : « Nos parents ont travaillé jusqu’à l’âge de la retraite. Nous sommes nés ici où nous avons aussi grandi et on nous crée des problèmes ! C’est vraiment une situation difficile. La ministre de la solidarité nationale est très mauvaise et méchante. Si tu entends ce qu’elle dit des personnes en situation de handicap et de tous ceux qui mendient : lou bonne dekoul foumou dieum wanté foumou diogué le thiossano. «  les mauvaises n’émane que des gens mauvais ».
    Il y a de mauvaises paroles que je peux raconter. Entre sénégalais, il y a un qui accepte de nous rabaisser pour venir tendre les mains. Je pense que ce n’est pas bien de baisser les vitres de sa voiture quand on voit s’approcher un mendiant. S’il pleut, nous allons nous cacher sous le grand immeuble qui fait face à la cathédrale. Des fois, le vigile nous demande de sortir. Lorsqu’il le fait, nous lui opposons un refus. Mais nous pouvons tomber sur un bon gardien qui ne nous crée aucun problème. Il y a beaucoup de gardiens qui font la relève. Donc il faut comprendre que mbir mi sanioul bagne : «  nous n’avons pas de choix ». Nous acceptons notre situation mais malheureusement ceux avec qui nous vivons ne veulent l’admettre. »
  • Samba : « Il faut reconnaître que les gens de la cathédrale sont très bien avec nous car ils sont tés ma ndou : «il ne se mêlent des choses qui ne concernent pas ». en plus niou diap sen ndiambour lagnou. Franchement ils n’ont aucun différent avec nous.
  • Oumar : « Les musulmans sont plus dangereux que les chrétiens, car ils ne s’occupent que de ce qui les regarde pas. D’ailleurs je viens juste de sortir de la cathédrale. Quand on ne peut pas aider quelqu’un, le mieux c’est de le laisser en paix. Que les gens nous laissent en paix ! S’ils ont quelque chose, qu’ils le fassent correctement. »
    Le feu de bois autour duquel toutes les personnes en situation de handicap sont assises à cause du froid, se met à dégager beaucoup de fumée (du fait de la mauvaise qualité du bois). Nous éprouvons des difficultés à le supporter.
  • Samba : « Les pousse-pousse (nom utilisé pour désigner les fauteuils roulants) avec lesquels nous nous déplaçons peuvent être offerts par des amis, des parents ou des libanais. Parfois les autorités gouvernementales nous aident même à avoir des béquilles. Un nouveau pousse-pousse coûte deux cent mille francs. Sinon nous essayons de rassembler la somme nécessaire en faisant des économies sur ce que nous gagnons par la mendicité pour enfin nous payer un pousse-pousse.
    Chacun parle de ce que lui apporte le groupe des pairs et de leur organisation interne.
  • Bara : « Quand tu vois vivre comme ça dans la rue… Mais nous nous plaisons dans cette situation, car si nous rentrons, nous éprouvons le besoin de nous voir et chacun pense à l’autre. C’est vrai que si nous restons à la maison, ce milieu nous manque carrément. Et puis le fait de devoir rester à la maison, c’est une situation très difficile pour nous. C’est vrai qu’ici nous mendions. Mais ce n’est pas parce que tout manque dans nos maisons.
  • Samba s’adresse à Aliou : «Moi, je suis né dans le même quartier que toi… »   et il nous donne les noms de ces parents et échange sur les liens de cousinage.
  • Bara : « Moi je suis de Rufisque, celui-là est de Thiès, lui est de Touba  comme celui-là qui loue une chambre Thiaroye… » nous dit-il en désignant ses compagnons un par un. « A Dakar, pour une chambre qu’on loue, on doit payer 30 000 à 35 000f (CFA) ; ce qui n’est pas possible pour qui vit que de mendicité. Sans compter tout ce qu’on dépense pour les repas. Même pour avoir il faut du pain ??? il faut payer 15f. Vu tout ça, s’il faut prendre une chambre, ce sera très dur. Voila pourquoi nous dormons dans les rues. Imagine que moi qui suis de Rufisque, je rentre tous les jours à la maison. Alors que dés je le peux, très tôt le matin, je fais la manche toute la journée pour avoir 2000f.
    Quand un handicapé veut prendre un taxi avec son pousse-pousse, les chauffeurs font semblant de croire que nous n’allons pas payer et ils ne veulent pas que nous mettions les pousses dans les véhicules. Or ce sont ces pousse-pousse qui constituent  souniouy tank : « nos jambes ». Donc partout où nous serons, nous les amènerons avec nous. Les chauffeurs doivent pouvoir accepter nos engins. Lele dagnouy dingat.
    Dés nous arrivons au garage, si on demande aux kokseurs de nous monter le pousse-pousse sur la voiture, ils refusent. Pourtant nous allons payer. Ainsi tu restes au garage jusqu à être fatigué. Ca aussi, c’est une des raisons qui font que nous passons la nuit dans les rues de la ville.
  • Oumar : « Pour se coucher nous prenons des cartons que nous étalons par terre et on prend un pagne pour la couverture. Les libanais peuvent attendre le froid pour offrir à chacun un mbadj «  une couverture ». Seuls les libanais font ces bonnes actions. En tout cas je n’ai pas encore vu un sénégalais faire de telles actions. Cependant, c’est possible pour eux de le faire.
    Parmi ces hommes en situation de handicap, quelques uns font du sport : pour certains du basket et pour d’autres de l’athlétisme.
  • Mustapha : « Il y a l’association des handicapés moteurs. Mais le problème dans cette association, c’est qu’il y a une mafia. Car la vente des cartes de membres ne se passe pas dans la transparence, dans la mesure où l’on refuse de vendre des cartes à certains - parce qu’on ne voudrait pas qu’ils bénéficient de certaines aides - en leur disant qu’ils n’habitent pas ici. Alors qu’on est tous des handicapés ! Pour les personnes qui ont des déficiences, il ne doit pas y avoir de discriminations. Actuellement, les cartes sont entrain d’être vendues, mais il y a des tendances à l’intérieur de l’association. En plus l’association n’apporte aucun avancement aux membres, sinon seulement pour les dirigeants. Seuls le président, son vice président et son consort en profitent. C’est ce qui fait que nous, nous ne nous intéressons pas aux affaires des associations.
  • Oumar : « Quand on fait une association, c’est en vue d’avoir un financement. Mais une association qui ne permet pas cela n’a pas sa raison d’être. Dans l’association, chacun cotise à la fin de chaque mois une somme de 200f. En retour, tu ne vois rien d’important, sinon de te tirer de l’association. D’ailleurs à Rufisque, je faisais partie d’une association. Mais finalement je me suis retiré bien que j’y avais des responsabilités. Je ne comprenais pas à quoi cela ressemblait et j’ai rendu les dossiers que j’avais avec moi. »

Nous leur demandons comment ils font pour leur hygiène au quotidien.

  • Oumar : « Si nous voulons, nous allons vers la mer, à côté du tribunal, prés de l’école des arts. En tout cas, c’est là bas que je me rends pour faire caca. Quand il s’agit d’uriner, nous le faisons ici. Il y a un tas d’ordure que tu aperçois, c’est le lieu où nous pissons. Il y a aussi une mosquée où nous pouvons aller pour prendre une douche. Ou bien au marché de Sandaga, ou au ministère de l’intérieur, ou à l’école des douanes. »
  • Mustapha : « Le problème dont tu parles là est très important. Un jour, j’écoutais la radio et quelqu’un disait que les handicapées « faisaient » dans les rues. Je ne peux pas retenir de tels propos. En tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas faire cela. Ces propos ne tiennent pas. Comment peut-on admettre que quelqu’un puisse faire caca là où il s’assoit !!!
    Si l’un parmi nous allait dans une maison pour demander d’accéder aux toilettes, on le traiterait de fou : Dayniouy sékhlou : «  nous leur donnons la nausée », Mais il faut reconnaître que nous ne pouvons pas faire caca dans nos pantalons. S’ils refusent de nous permettre de le faire dans des toilettes, nous cherchons un coin pour nous soulager. C’est ainsi que je vais en bordure de mer. J’ai ma moto (fauteuil roulant électrique) pour me déplacer, ça ne pose pas de problème. »

Puis le groupe des pairs nous parlent des fêtes et des cérémonies.

  • Bara : « Nos cérémonies se passent très bien. A chaque fois que j’ai une cérémonie, je l’annonce à tous mes amis handicapés. Je tue un mouton, comme le fait tout le monde. J’appelle l’imam et je pends qui le nom et je vais donner à mon enfant. Mes amis viennent, en me saluant avec un billet de mille francs ou avec cinq francs : c’est selon, comme le font les autres personnes.
    Nous leur demandons s’ils ont des propositions pour améliorer leur situation.
  • Cheikh : « Ce que nous voulons, c’est qu’on fasse quelque chose qui permettra qu’on ne nous voit plus faire la manche dans les artères de la ville. Cela devra nous dispenser d’étendre des cartons dans les rues pour y coucher ou de tendre la main. C'est-à-dire qu’on nous donne quelque chose que nous gérerons et qui générera des profits pour nous permettre de régler nos problèmes. Ainsi nous n’allons plus déranger personne, en nous voyant tendre les mains ou étendre des cartons dans les rues de la ville. Tout effet a une cause. Il faut qu’on fasse quelque pour nous afin de réduire notre souffrance, ainsi que la haine des gens qui ne veulent pas nous voir dans les rues. Il faut qu’on soutienne les personnes handicapées, car c’est Dieu - qui a fait des personnes qui ont une déficience- nous a mis en rapport avec vous. Pour que vous puissiez vous reposer, comme pour nous aussi, il va falloir vous nous aidiez.
  • Mustapha : « Je n’ai pas encore vu au Sénégal un ministre qui apporte de l’aide aux personnes en situation de handicap. D’ailleurs, celui gère ça, c’est le ministre de la solidarité nationale. C’est lui qui envoie des policiers qui viennent nous ramasser. Or celui qui te prive ta liberté ne t’aidera jamais. Tu sais, Farba (), il a fait sa campagne avec nous. Nous l’avons aidé dans la marche bleue. Aujourd’hui il envoie des gens qui viennent nous ramasser ! C’est parce que les noirs sont des complexés et les valides ont le complexe des personnes handicapées ! Ils ne veulent pas que les européens, qui viennent au Sénégal, nous voient dans les rues. Et ils ne nous aident pas pour qu’on puisse rester chez nous, de façon à ce que ces étrangers ne nous voient pas. Moi, je n’accepterai jamais ça. Farba en personne est venu m’annoncer qu’il allait nous chercher 40 téléphones (cabines ??) et que, s’il nous les donne, il nous demande de sortir de la ville pour nous installer dans des quartiers, comme à Thiaroye ou Rufisque. Je me demande qui peut téléphoner dans ces quartiers. Ce sont des téléphones portables qu’il nous faut et celui qui voudrait appeler pourra le faire. Mais, grand (nom donné à l’adulte avec qui on parle), quelqu’un qui a des problèmes à se déplacer ne pourra pas gérer un tel appareil. Le gouvernement ne nous aide pas. Ceux qui nous aident, ce sont les libanais. Vraiment je suis pour que ces derniers restent encore longtemps au Sénégal. A part ces libanais, ce sont Pape DIOP et Ousmane Tanor qui nous soutiennent, et non pas les autorités sénégalaises.
  • Samba : « Il faut aussi reconnaître que nos parents sont bien, mais peut-être qu’ils n’ont pas les mêmes moyens que les libanais. Personne ne peut offrir quelque chose qu’il ne possède pas. Les libanais ont plus de moyens que les sénégalais, ce qui fait qu’ils donnent plus d’aumône. Les sénégalais donnent plus lorsqu’ils ont des problèmes, à l’approche des examens et durant l’élection des députés. Durant les élections, il nous arrive de voir quelqu’un qui vient nous offrir un mouton grillé au four ou de grandes assiettes de riz. C’est en pleine nuit qu’on nous réveille pour nous donner ces offrandes, mais ils ne donnent jamais de l’argent. A la place, ils nous amènent du riz, des poulets et de la viande. Donc ils donnent seulement de la nourriture. De même nous remarquons que les sénégalais donnent beaucoup d’aumône pendant la korité, la tabaski et la tamkharite, ainsi que les vendredis.
    Certains, quand ils donnent de l’aumône, ils viennent jusqu’à ton niveau. Ils prennent ce qu’ils veulent te donner et ils le font tourner plusieurs fois autour de la tête avant de te passer ça. A chaque fois que quelqu’un fait ça avec moi, je ne manque pas de me disputer avec lui. Ils disent louma waradiote ak war diot sama famille et ils te tendent ce qu’ils veulent donner. Mais moi, je te laisse terminer et je refuse de prendre l’offrande. Maintenant, quand tu me donnes ce que tu as correctement, je l’accepte volontiers, même s’il s’agit de 5 francs. Mais si on me donne de l’aumône avec des manières non catholiques, je ne l’accepte pas. Je ne le prends pas, à moins qu’on me cache certains faits.
    Comme je te l’ai dit précédemment, quelqu’un qui nous voit ici pourrait nous prendre pour des bandits, mais quelqu’un qui viendra nous trouver avec notre famille aura un autre jugement. Les gens qui se croient plus importants que nous se trompent. Pour preuve, à la mort, qu’on soit handicapé ou non, on ne laisse pas le corps à la maison. Sinon la décomposition du corps va déranger les individus. Vraiment il faut être fou pour se considérer comme plus important, dans la mesure où l’on est conçu de la même façon, qu’on soit une personne handicapée ou non. Aujourd’hui les gens croient aux valeurs matérielles. Ainsi, s’ils constatent que tu as une déficience, ils se disent que celui-là n’a rien de surcroît, et donc qu’il ne peut pas travailler. Tu tombes amoureux de leur enfant, ils vont te créer des problèmes. S’ils constatent que tu jouis de toutes tes capacités, ils se disent que tu pourras travailler et obtenir donc une certaine richesse. Mais si tu es une personne handicapée, pour que puisses vivre aisément, il faut que tu aies de l’argent ou beaucoup de connaissances.
    C’est à la veille de mon sevrage que je suis tombé alors que j’étais sous un arbre. Ma mère m’a soulevé plusieurs fois pour me faire tenir sur mes jambes et je suis retombé. Après plusieurs démarches auprès des marabouts, certains ont fait croire à mes parents que ce sont des rabs qui sont à l’origine. Mais les médecins ont conclu qu’il s’agit de la poliomyélite.
    Je suis né au camp de la gendarmerie de Grand Yoff et c’est là-bas que j’ai attrapé la maladie. D’après les explications de ma mère, il y avait une chambre dans le camp où je jouais souvent. Lorsque maman revenais de l’école, j’accourais vers elle. Un jour elle ne m’a pas vu et j’étais chez ma grand-mère qui m’avait couvert d’un pagne, c’était la poliomyélite qui m’attaquait. J’ai subi une opération parce que des toubabs étaient venus et qu’ils disaient être en mesure de soigner mon handicap. D’ailleurs ils m’ont fait plusieurs opérations, ce qui a aggravé mon handicap. Moi, j’accepte ce qui m’est arrivé, car c’est Dieu qui l’a voulu ainsi et quand Il voudra mettre fin à cette situation, Il le fera, quelle qu’en soit la manière. »
    Un des amis de Samba passe à proximité et nous fait remarquer qu’il est 21H passé. Il fait effectivement nuit et la plupart des personnes en situation de handicap se sont allongées sur les cartons pour se reposer. Samba continue :
    « Si les morceaux de bois finissent, nous allons nous couvrir avec les couvertures dont nous disposons. A l’heure du coucher, c’est ce que font ceux qui se couchent. Moi, c’est à coté de l’assemblée que je vais le faire. Donc nous restons ensemble comme ça pour discuter jusqu’à l’heure du coucher et nous nous séparons. Ainsi ceux qui se couchent sur le même lieu se retrouvent. Si les policiers font des rafles, ils amènent les pousse-pousse en même temps que nous. Les pousse-pousse constituent nos jambes. L’hivernage passé, on m’a jeté à Sébikhotane, dans les herbes. Lorsqu’on nous mettait dans la voiture, je disais aux autres personnes handicapées de s’attaquer aux policiers, pendant que moi je m’occuperai du chauffeur, car ils ne sont que des êtres humains ! et puis j’ai rajouté qu’on fera tomber la voiture. Pour dire que ces rafles finissent par devenir très rigolo et que ça ne nous fait plus rien. C’est Dieu qui l’a voulu ainsi et nous l’acceptons.
    Serigne Modou Kara à dit qu’une personne vit dans ce monde que ce soit de sincère en lui, car kou nek niga tedé wanté bo yéwo koca wakhoul dou ka kham : « chacun en se couchant a des problèmes et qu’à son réveil s’il ne les dit pas, personne ne saura ».
    Même s’il devait nous arriver quelque chose, nous disons Serigne Touba et Mame Ibra FaLL. Toi, tu as de la chance (dit-il en s’adressant à Aliou). Car d’autres, s’ils voulaient nous parler, nous aurions refusé. Parce qu’il faut savoir aborder l’individu. Certaines personnes, nous ne les recevons même pas, encore moins pour leur parler. Je crois que tu es un journaliste car tu as su s’y prendre.
    Connais-tu ce que nous vivons ? oukh bi laniouy dounda ce qui signifie la vérité, au nom de Amadou BAMBA, c’est ce que nous vivons, mais il y a de ces choses que nous ne pouvons révéler à personne, car c’est le domaine du privé au nom de Amadou BAMBA.
    Il y a des personnes qui demandent de l’aumône, mais c’est malgré elles qu’elles le font. Donc c’est une situation qu’elles acceptent parce que Dieu l’a voulu ainsi. Je prie pour que Dieu nous couvre de soutoura, khéwel adouna ak alakhira.