Annexe n°8 : Quelques extraits des cafés paroles dans les accueils de jour

- La grande famille de la rue et la loi du partage

Juin 2006

Dans un des accueils de jour, Aline prend le café. Dans le feu de la discussion, elle commence à montrer ses tatouages et à nous en expliquer le sens. Elle a en particulier un visage d’indien tatoué sur son avant bras.

  • Aline : « Ce tatouage là, il a été fait plutôt dans un signe de protection. Parce que, normalement, le visage se tourne vers l’avant. Et là, il a le regard vers l’arrière. En fait, c’est comme s’il avait des yeux dans mon dos ! »
  • Martine : « Donc, il protège de ce qui peut venir de mauvais, par derrière ? C’est un esprit protecteur. »
  • Aline : « Voilà. Tout à fait. Mais c’est vrai que la vie dans la rue n’est pas très très très facile. C’est difficile. Tous les jours, on est quand même pas mal exclus.
  • Moi, je sais que je suis une personne… Si on est sympa avec moi, je serai sympa. Si on n’est pas sympa, je ne suis pas sympa. Et dès que je sens de l’agressivité, je suis agressive. Je suis… »
  • Martine : « Vous êtes comme une éponge ? »
  • Aline : « Voilà. C’est plus fort que moi (…). Faut voir que j’ai quand même connu beaucoup de situations très très basses. Et on ne peut pas être plus bas que terre, de toute façon. Maintenant, je me suis quand même forgé mon mental, ma force et mon caractère. Je suis très très caractérielle. »
  • Martine : « Caractérielle, ça veut dire que, tout de suite, vous réagissez très fort. C’est ça ? »
  • Aline : « Oui, oui, oui. »
  • Martine : « Et ça, c’est lié à la vie de femme dans la rue ? »
  • Aline : « Ouais. La rue, ça vous apprend à ouvrir les yeux, à sentir…Que ce soit positif, négatif, je veux dire… Des gens qui viennent dans un esprit mesquin pour vous prendre ce que vous n’avez pas. Je veux dire… Ou pour vous descendre encore plus bas. Vous le sentez venir. Rien qu’à la façon… le comportement de la personne. La rue, ça vous apprend beaucoup de choses. Ca vous apprend à être solidaire. »
  • Martine : « Ca apprend à être solidaire. Comment ? Avec les autres, qui sont aussi dans la rue ? »
  • Aline : « Oui. C’est donner, partager ce qu’on a. Voilà. Et recevoir ce qu’on n’a pas. Quand on est dans la rue, on n’a rien. »
  • Martine : « Par rapport à la nourriture ? Par rapport aux lieux où l’on se fait héberger ? »
  • Aline : « Par rapport à tout. Je me suis déjà vue me retrouver parmi des polonais qui n’avaient rien du tout (…) et partager pour la nourriture. Et vice-versa, quoi. On se débrouillait. Quand c’était un jour où ils avaient quelqu’un qui avait rien, et bien on partageait (…). »
  • Martine : « Et on vivait mieux, comme ça ? »
  • Aline : « Ah oui, la solidarité, c’est important. Et on se sent plus fort, en plus. »
  • Martine : « C’est en plus une solidarité au jour le jour ; pour manger, pour s’habiller (…), pour s’entraider ? »
  • Aline : « Ouais. C’est vraiment au jour le jour. On voit d’autres personnes. On se revoit. On se requitte. En fait, c’est… ça tourne, quoi. Je veux dire… Enfin, dans la rue, on appelle ça une famille, en fait. »
  • Martine : « La famille de la rue ? »
  • Aline : « On est très proches, voilà. On appelle ça une famille. Et en fait, ben, un jour on va se voir. Le lendemain, on va se séparer. Et, peut-être trois mois après, on va se revoir. Un an après, cinq ans après, on va se revoir. Deux jours après, on peut se revoir. Comme on dit, il n’y a que les montagnes qui se rencontrent pas. Quand on se revoit, on est content. On fait la fête ! »
  • Martine : « Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une identité commune des gens de la rue ? Vous nous dites « On se retrouve. Des fois, c’est après des jours, des mois, des années. Les gens viennent et puis on fait la fête, parce qu’on s’est retrouvés. » Cette spontanéité des liens, c’est quelque chose qui est assez typique à la vie de la rue. Je me souviens… Sous le pont de l’université, il y avait un certain nombre de personnes qu’on appelait les anglophones. Certains venaient d’Angleterre, d’Irlande ou d’ailleurs. Ils étaient sortis de la période hippie. Vivant toujours sous le même pont depuis des années, les copains venaient de l’Europe entière pour y dormir avec eux. Ils ramenaient des nouvelles. Ils repartaient sur Paris, avant de repartir en Angleterre. Ils redescendaient lors des festivals. Et, à chaque fois, effectivement, c’était la fête. C’était la grande grande famille internationale des gens de la rue. C’est ça que vous… »
  • Aline : « Ouais, ouais. Carrément, ouais. Moi, c’est l’international (…). Je vois des allemands, je vois des anglais, je vois des polonais, je vois des… des suisses, des suisses allemands, des espagnols, des portugais ! »
  • Pierre : « C’est un peu l’auberge espagnole. Chacun apporte ce qu’il a. »
  • Aline : « Exactement. Tout le monde en profite. Un jour, c’est telle personne qui n’a rien. Le lendemain, c’est une autre personne. Et chacun fait tourner ce qu’il a. »
  • Pierre : « Et ça marche ? »
  • Aline : « Et ça marche très bien ! Très bien. La solidarité, c’est très important. »
  • Pierre : « Contrairement à ce qu’on vit… »
  • Aline : « Justement, quelqu’un qui n’est pas solidaire, malheureusement pour lui, il dure pas longtemps, dans la rue. Quelqu’un qui est mesquin ou qui joue l’anguille… Enfin, je veux dire, qui n’est pas franc, qui n’est pas droit, qui n’est pas carré. Dans la rue, de toute façon, on ne peut pas s’amuser à profiter des autres. C’est donner ce qu’on a, recevoir des autres. C’est important, de toute façon. »
  • Martine : « Ça veut dire que vous avez trouvé protection auprès de ceux qui sont de la rue ? »
  • Aline : « Bien sûr ! »
  • Martine : « Actuellement, vous préférez rester à la rue. Quelles sont les grandes valeurs qui vous font vivre ? »
  • Aline : « Et bien justement, la règle numéro un, c’est la liberté. »
  • Martine : « La liberté ? »
  • Aline  : « La liberté, la solidarité, la fraternité. Ce sont les trois choses primordiales, de toute façon. Ce sont les valeurs de la famille de la rue. En fait, en général, ce sont des gens qui n’ont plus de famille, ou qui ont une famille mais qui n’ont plus de nouvelles. Donc, c’est pour ça qu’on appelle ça la famille dans la rue. C’est devenu la famille. La famille qu’on a perdu… ou qu’on n’a pas perdu, mais, du moins, c’est une vraie famille, la famille de la rue, quoi ! »

- Femme à la rue face à la violence

  • Martine : « Vivre dans la rue en tant que femme, comment c’est ? »
  • Aline : « C’est très, très difficile. Déjà, faut arriver à se faire respecter. Respecter, se faire admettre et avoir sa place aussi. Voilà. »
  • Martine : « Comment on se fait respecter ? »
  • Aline : « En montrant son caractère, justement. En ressortant un caractère très fort. Lorsqu’il y a quelqu’un qui est fragile, de toute façon, c’est fini. »
  • Martine : « Ca veut dire que vous vous défendez en parlant fort, en disant « non »… C’est ça ? »
  • Aline : « Ouais. »
  • Martine : « Parce qu’il y a un certain nombre d’agressions sexuelles, aussi ? »
  • Aline : « Bien sûr. »
  • Martine : « Face à ça, comment faites vous ? »
  • Aline  : « Moi, je sais que j’ai toujours de quoi me défendre, ou sur moi, ou dans mon véhicule. Et j’ai déjà vu, moi, des hommes qui venaient toquer à mon camion à quatre heures du matin. Je les ai envoyés balader et… Y’en a encore un, y’a pas longtemps, qui m’avait prise pour une péripatéticienne et, donc, il est venu toquer au camion à dix heures et demie du soir. J’ai pris ma brique de lait. J’ai dit « si tu me prends pour ça, je vais te balancer la brique de lait dans ta voiture et tu vas comprendre que j’en suis pas une ». Je lui aurais pété le pare-brise. Voilà ! »
  • Martine : « On saura quoi faire, la prochaine fois ! » (rires de tout le groupe)
  • Aline : « Bien sûr, il y a d’autres techniques qu’on connaît… Si je me retrouve seule, moi j’essaie d’abord de calmer par la parole. Et si on est à plusieurs, c’est aussi par la parole. Mais si ça ne va pas, c’est autrement. Donc, si on doit en venir au rapport de force… »
  • Martine : « Si ça s’aggrave ? »
  • Aline  : « Oui, j’ai une serpette. J’ai un ami qui me l’a donnée. Il m’a dit « étant donné que des fois, tu te retrouves seule avec tes deux chiens… ». Bon, j’ai quand même mes deux chiens pour me défendre aussi, en plus. Mon mâle surtout. Ma femelle, moins, parce qu’elle est beaucoup plus petite. Et puis elle est trop gentille pour ça. »
  • Martine : « Donc, le chien est une protection. »
  • Aline : « C’est une protection. Mais après, je n’irais pas tenter la vie de mon chien pour me sauver. Je me débrouillerais autrement. Je n’irais pas balancer mon chien sur une agression pour qu’il se prenne un coup de couteau ou je ne sais pas quoi. J’y tiens ! »

Mai 2006

Chacune des quinze personnes présentes autour de la table ronde se présente.

  • Ahmed : « Moi, c’est d’origine algérien. »
  • Martine : « Oui. »
  • Ahmed : « Et (…) c’est parce que je connais pas la langue française bien. Je connais la langue arabe. »
  • Martine : « Oui. Et pourtant, vous parlez déjà bien. »
  • Ahmed : « C’est… connais bien, mais (…) pas qualifié… comment. » (transcription de l’enregistrement difficile compte tenu du bruit de fond)
  • Martine : « C’est très bien. »
  • Ahmed : « Mais ici, en France, cette place, elle est très très bien (…). »
  • Martine : « Vous aimez bien, ici ? »
  • Ahmed : « Oui. Très bien. »
  • Martine : « Ah, Prospère  nous rejoint. »
  • Ahmed : « Je viens ici (à l’accueil de jour)… parce qu’il n’y a pas d’argent, il n’y a pas assez de manger. Et mon dossier (…), pour l’instant, il dit moi, un mois exactement, je vais vous donner des lettres. Et moi je vais là. Je viens ici… »
  • Martine : « Oui, en dépannage. »
  • Ahmed : « Voilà. »
  • Martine : « En dépannage. C’est-à-dire que vous êtes dans le moment où vous attendez d’avoir les droits aux ASSEDIC, qui repartent… pour être payé, c’est ça ? »
  • Ahmed : « Oui. »
  • Martine : « Vous n’avez rien pour l’instant. »
  • Ahmed : « Rien. »
  • Martine : « Oui. »
  • Ahmed : « J’ai mangé. Je sors d’ici et je vais au foyer là-bas… »
  • Martine : « Au Foyer ? Au Père Chevrier ? »
  • Ahmed : « Oui. »
  • Martine : « D’accord. »
  • Ahmed : « Oui, une fois par semaine… deux fois. Le 115, il me donne pas toujours. »
  • Martine : « Donc, ça veut dire que des fois, vous dormez dehors et des fois, vous dormez au Foyer ? »
  • Ahmed : « Je dors quatre jours à la rue. »
  • Martine : « Quatre jours à la rue. Et trois jours au foyer ?»
  • Ahmed : « Non. Et un jour au foyer. Après, quatre jours à la rue. Voilà, c’est ça. »
  • Martine : « Quatre jours à la rue ; un jour de foyer ; quatre jours à la rue. C’est dur. »
  • Prospère : « Je connais. »
  • Martine : « C’est dur, dur, Prospère. »
  • Prospère : « Je connais. Je travaillais, en plus, moi. »
  • Ahmed se met à rire, avec la moitié de l’assemblée. Car cette expérience rejoint celle d’un certain nombre de « travailleurs pauvres » qui se sont vu contraints d’abandonner leur activité pour faire le 115 et essayer d’obtenir une place pour dormir.
  • Prospère : « En hiver. Je dormais dans la voiture. »
  • Félicité : Ouais, ouais. C’est ça (…).
  • Martine : Comment c’est, votre prénom ?
  • Félicité : « Euh, Félicité. »
  • Martine : « Félicité. »
  • Félicité : « Oui. »
  • Martine : « D’accord. Alors, Pierre, tu ne t’es pas présenté encore. »
  • Pierre : « Alors moi, je suis le petit stagiaire de Martine. Voilà. Je suis ici depuis deux mois et demi. Il me reste un peu moins de deux mois à faire. »
  • Martine : « Il est donc stagiaire à l’Institut des droits de l’Homme. »
  • Pierre : « Ici. J’étudie les droits de l’Homme à Lyon. »
  • Ahmed : « A Lyon ? »
  • Pierre : « Voilà. Ici. »
  • Félicité : « Ici, exact ? »
  • Pierre : « Enfin, dans la ville. »
  • Félicité : « Dans la ville. Ah, bien. »
  • Prospère : « Félicité, quoi ? »
  • Félicité : « Mais moi, j’ai pas… J’ai une domiciliation à Forum.»
  • Martine : « Au Forum des réfugiés ? »
  • Félicité : « Oui, mais parce que je n’ai pas d’hébergement à Lyon. »
  • Martine : « Oui. C’est surtout la question de l’hébergement aujourd’hui. »
  • Félicité : « Oui. Mais c’est pas commode, parce que je suis célibataire et je viens de Suisse. »
  • Martine : « Et l’acceptation des demandeurs d’asile en Suisse, c’est bien plus difficile encore qu’en France. Je crois. »
  • Ahmed : « Non. Non. Ici, en France… parce que la France, y a les droits des algériens. Et bien, c’est pas comme la Suisse. »
  • Martine : « Oui. C’est ça. »
  • Ahmed : « La France et l’Algérie, c’est pas… Les droits de l’Homme… Les droits de l’Homme, ici en France, c’est bien… pour des algériens (…). Mais pour demander l’asile en Suisse, c’est pas… comment… Parce que, en France, c’est la famille qui m’a dit ça, comme ça, parce que y’a beaucoup de familles, là-bas, à Zurich. Il m’a dit « pour des algériens, y’a… ». »
  • Martine : « Des facilités ? »
  • Ahmed : « Voilà, c’est ça. (…) la France, pour les algériens, me donner bien les droits ; mais pour l’hébergement, je sais pas comment. »
  • Martine : « C’est vraiment la grande question. »
  • Prospère : « Et oui. Pas de travail, pas de logement. Pas de logement, pas de travail. »
  • Martine : « Pas de travail, pas de logement. Pas de logement, pas de travail. Et tout à l’heure, vous posiez la question de quand on est travailleur pauvre et qu’on n’a pas de logement ; ce qui représente, dans les accueils parisiens, en hébergement d’urgence, la moitié de la population. La moitié. C’est terrifiant. Et donc, effectivement, au bout d’un certain temps, on est tellement épuisé, on se dit « soit on dort. On fait le 115 toute la journée, pour essayer d’avoir une chance et on arrête de travailler et on… ». »
  • Prospère : « On n’a plus rien. »
  • Martine : « On n’a plus rien. »
  • Prospère : « C’est sa chance. Avoir un logement, c’est retrouver son humanité, c’est retrouver sa dignité, c’est retrouver sa personnalité profonde, un petit peu. Se retrouver, tout seul et ça, c’est pas possible de vivre, si on n’a pas ça. Les gens ont besoin de se sentir chez eux. Enfin bon, ça dépanne, les « Père Chevrier », etc. Les accueils. Mais, ce n’est pas ça, la solution, à mon avis. »
  • Martine : « C’est vrai que vivre durablement entre l’hébergement d’urgence et puis la rue, ça doit être difficile. On doit se sentir attaqué dans sa personnalité. »
  • Prospère : « On n’a plus de personnalité. »
  • Martine : « On perd la personnalité ? »
  • Prospère : « Je pense, oui. »
  • Martine : « Oui. »
  • Prospère : « Parce qu’on ne peut pas se retrouver au fond de nous-mêmes. Et on n’est plus rien, quoi. On se considère comme rien. Je pense que c’est pour ça qu’il y a beaucoup de gens qui se droguent ; qui se suicident à la drogue ou à l’alcool, ou au laisser aller total (…). Je crois que c’est… Faut faire attention. C’est pas facile. »
  • Martine : « Ca demande beaucoup de résistance, pour pouvoir se tenir propre. D’abord ? »
  • Prospère : « Ouais. Ca, c’est un gros boulot, être propre chaque jour. C’est un gros boulot. Du point de vue des vêtements (…) c’est… C’est déjà… »
  • Martine : « Parce qu’il faut trouver un point de source pour se laver. »
  • Prospère : « Ouais. »
  • Martine : « Il y a ça ici ? »
  • Prospère : « Oui. »
  • Martine : « Et où encore, quand c’est fermé, ici ? »
  • Prospère : « Je sais pas. Y’a la Saône, quand il fait beau. »
  • Martine : « Oui, oui. Donc, c’est vrai que certains de ceux qui vivent sous les ponts se lavent directement dans le fleuve. »
  • Prospère : « Je me lève ; j’ai besoin de… Bon, quand j’étais dans la bagnole, (…) mais j’avais toujours des bouteilles d’eau. J’allais les remplir en face ou au foyer SONACOTRA. Quand c’était ouvert, j’allais prendre des fois une douche au foyer SONACOTRA. Mais bon, on me faisait la chasse aussi, quoi. »
  • Martine : « Oui. »
  • Prospère : « Bon, j’ai jamais (…). Et puis bon, ça fait peur les gens, aussi, qui sont dans cette situation. »
  • Martine : « Les gens qui n’ont pas de chez soi, ça fait peur ? »
  • Prospère : « Ouais. »
  • Martine : Et, Prospère, comment analysez vous la peur des gens qui ont un petit chez eux, quand ils voient quelqu’un qui vit sans domicile ? Comment vous analysez ça ? »
  • Prospère : « Je sais pas. Je ne me suis pas attardé là-dessus, mais je pense… Y’a plusieurs choses. Y’a de l’ordre de… Peut-être qu’on culpabilise un petit peu, en voyant ça. Parce que c’est quand même quelque chose… au XXIe siècle, c’est inimaginable, quand on entend la valse des millions et des milliards qui se passe à longueur de journée, partout dans le monde. Quand on apprend que… Y’a pas très longtemps, une femme a accouché dans la rue, en France. Dans la brousse africaine, encore, c’est quelque chose de très grand, mais là, en France, y’a quelque chose qui ne va plus du tout. Plus du tout. Et donc, je crois que les gens qui sont… bon, qui sont pas à la rue… Les gens qui sont à la rue donnent l’impression, quand même, de cette précarité qui peut arriver à tout le monde, finalement. »
  • Martine : « Oui. »
  • Prospère : « Ca peut arriver du jour au lendemain, pour n’importer quoi. Et puis ça fait peur, parce que les gens n’en veulent pas. Alors, ils n’en veulent pas, mais veulent pas rejeter non plus la personne qui est sans abri, parce qu’après, ça culpabilise, dans la morale judéo-chrétienne, quoi (…). Je crois qu’il y a un refus, quand même, dans l’acceptation, mais qui n’est pas formulée, qui n’est pas… Que faire ? »
  • Martine : « Comment, quand on est dans des situations comme ça, garder sa dignité ? Je crois que vous, vous faites beaucoup. Hein. Vous faites beaucoup, en disant « bon, j’ai un métier. Je ne peux pas l’exercer, parce que je ne trouve pas de travail pour l’instant. Je vais continuer à chercher ». Non ? Qu’est-ce qui aide ? »
  • Prospère : « Euh, j’ai un métier. Mais moi, j’ai des gens des renseignements généraux sur le dos, qui me cassent les pieds depuis 1983 ; qui ont été posés sur mes épaules par mon ex… enfin, l’ex-père de mon ex-épouse. Le père de mon ex-épouse. Donc voilà. Je ne travaille pas pour ça. Je travaille de temps en temps. Je donne des cours de (…). Je suis musicien, de formation. Je fais la chorale ici et, le mercredi après-midi, je fais l’éveil musical pour les enfants de Saint-Vincent. Et, donc voilà, moi c’est… c’est le problème. J’ai écrit à De Villepin, entre parenthèses, qui m’a répondu. »
  • Martine : « Alors ? »
  • Prospère : Il a transmis à Clément, donc, le garde des sceaux. Et donc, il m’a dit que je serais informé. Bon, j’en ai marre. J’ai envoyé pas mal de CV (curriculum vitae), là, pour des postes importants et j’espère que ce sera… Je leur ai demandé de vider le B1, le B2 du casier judiciaire, quoi, voilà. Et ben, quand on a un travail, on n’arrive pas à le faire, c’est difficile ; surtout quand… quand on aime bien le faire et qu’on le fait bien, quoi. Il ne s’agit pas de se gonfler les chevilles, mais de savoir ce qu’on vaut et puis… C’est aussi de savoir se… prendre sa place dans la société. C’est ça aussi. »
  • Martine : « Et prendre sa place dans la société quand on n’a pas de travail, c’est le cas, quand même, d’une partie de la population la plus importante – les jeunes en particulier – c’est comment ?. Parce que, vous, plutôt que de baisser les bras, vous restez actif. »
  • Prospère : « Oui. »
  • Martine : « Vous avez proposé, par exemple, d’être écrivain public, pour les gens qui sont ici. »
  • Prospère: « Tous les mardis matin, oui. »
  • Martine : « Qui ont des difficultés à parler le français, qui s’expriment en arabe, comme vous êtes au moins bilingue, on va dire. Polyglotte, en fait. Donc c’est… Vous êtes dans cette dynamique là de service et puis aussi peut-être la musique. C’est pareil… de se dire « si on peut rendre les gens heureux, si on peut bouger quelque chose, hein, dans la société ». C’est important ? »
  • Prospère : « Ben oui. Je crois qu’il faut le faire au niveau de… comment dire, de l’échelon où on se trouve, quoi. Je crois que n’importe qui peut le faire. Apporter ce qu’il a, apporter son cœur. C’est surtout ça, à mon avis. »
  • Marc : « Encore faut-il avoir l’énergie pour le faire, quoi. Si vous avez l’énergie de le faire (…). »
  • Prospère : « Faut pas dépenser (…). L’énergie, ça se contrôle. Ca se diffuse. Je fais un peu de yoga, donc, c’est vrai que ça m’aide à aller à l’essentiel aussi. Et puis à garder mon calme. Un peu de méditation transcendantale. Un peu. C’est un bien grand mot, mais je crois que ça permet de se centrer, puis de se canaliser. Et puis se poser les questions essentielles, enfin à mon avis. »
  • Martine : « Et les questions essentielles, c’est ? »
  • Prospère (long silence) : « Qui suis-je ? Comment suis-je ? Et puis… trouver l’endroit où on doit aller. On va toujours vers un seul endroit et tout le monde va vers le même. Et tout le monde y va seul. On peut parler ; on peut avoir des rencontres et discuter de ceci, cela, voir un beau paysage, mais on va toujours vers cet endroit là. Et on y va inexorablement. Qu’on le veuille ou non. Alors autant garder le sourire, hein. »
  • Martine : « Le passage. »
  • Prospère : « Oui. Je ne sais pas si c’est le passage, mais oui c’est… c’est quelque chose… On rentre dans un phénomène métaphysique assez grand (…). Mais bon. De toute façon, il faut rien dramatiser, je crois ; même si c’est parfois très dur. Faut pas… Faut se débarrasser de ce qui est inutile. C’est-à-dire la violence, la haine. La violence, la haine ; même à l’égard de soi-même, parfois. Je pense que les gens qui sont dans la rue, qui s’oublient totalement, sont un cas de violence envers eux-mêmes, quoi. Sans aller jusqu’à… »
  • Martine : « L’autodestruction ? »
  • Prospère : « C’est ce que j’appelle de la violence en soi. »
  • Martine : « Mais, en même temps, c’est extrêmement difficile, dans vos conditions de vie, de survie en fait, de survie sociale, de garder un mental fort, hein, et de renoncer à tomber dans la dépression. Parce que l’alcool et tout ça, c’est lié à la dépression (…). »
  • Prospère : « Attention, moi j’aime bien boire du vin. J’aime bien… du bon vin, en plus (…). »
  • Martine : « Du bon vin ! » (rires).
  • Prospère : « Bien sûr. Ah oui, oui, oui. J’aime bien. Mais, bon, j’en bois de temps en temps ; quand j’ai rien à faire, le soir… un casse croûte… ça suffira (…). De temps en temps, on l’avait fait, on l’a prévu, de faire un pique-nique comme ça. C’est la convivialité de se retrouver et puis d’oublier, quoi. Et puis il fait beau. Mais, je crois qu’on complique les choses, aussi. On complique les choses avec notre regard sur la société, sur la vie. On s’inquiète. On a peur. Mais bon. C’est vrai que la peur, c’est quelque chose que cette société nous instille – goutte à goutte – depuis très longtemps. Pour nous faire perdre les pédales. Et puis, c’est quand même un signe que la société est en train de se coucher. Ce monde est pourri (…). Il se couche. Donc, je dirais, à la limite, c’est bon signe. Parce qu’une fois qu’il sera par terre, il faudra bien reconstruire. »
  • Martine : « Déclin de civilisation ? »
  • Prospère : « Ah ben toujours. Toujours. L’Empire romain a connu les mêmes revers. Et puis bon, il y a des périodes cosmiques… Je ne sais pas si vous êtes intéressés à ces histoires-là, vous savez, ça existe tout de même. Donc… Et puis bon, on le voit bien, je pense. Il suffit de regarder ce qui se passe autour de nous. C’est… Faut s’en réjouir. »
  • Martine : « Se réjouir du changement ? »
  • Prospère : « Ben oui. C’est bien de changer. C’est comme on dit au printemps, « tiens, la saison est nouvelle. Je refais tout le ménage dans la maison, à fond ». C’est sympa. On se sent une énergie nouvelle qui monte en nous. On a envie de faire un tas de choses. On met les choses propres et nettes… et simples. Simples. Ca, c’est important. Et je crois que c’est une des caractéristiques de cet endroit. Vous en parliez tout à l’heure avec A. Et c’est ici que c’est simple. »
  • Martine : « C’est simple, ici ? »
  • Prospère : « Oui. C’est simple. C’est un accueil du cœur qui est… qui arrive à s’imposer à tout le monde. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de violence, ne serait-ce que verbale. Y’en a eu un petit peu, j’en ai connu. Il n’y a pas d’alcool à outrance. Il n’y a pas de… Ca ne fume pas. Y’a pas de camés. Y’a pas… Je ne dis pas que je culpabilise pas les camés, etc. ou les alcooliques, mais bon, on arrive à échapper à ça, pour se retrouver dans son humanité, je pense (…). »
  • Martine : « Et là, la tranquillité et le lien jouent beaucoup. »
  • Prospère : « Oui. Oui, je crois. Ca laisse place à d’autres choses. Je crois que les gens qui viennent là vont très peu ailleurs, en fait. »
  • Martine : « Alors, on a fait un sondage, Pierre ? »
  • Pierre : « Oui. C’était jeudi dernier. C’était de savoir, sur les personnes qui venaient, combien étaient certaines, alors bon, la question était un peu absurde, mais bon ; combien étaient certaines, d’ici le lundi suivant, d’aller dans un autre accueil de jour. Et on en a eu le quart. On a eu le quart, à peu près. Ils vont surtout à La péniche, en fait. »
  • Prospère : « C’est à peu près le même genre d’ambiance qu’ici, La péniche. »
  • Marc : « Oui, oui, c’est ça. »
  • Martine : « Prendre un café et tout ça. »
  • Prospère : « Ouais, ouais (…). Pourquoi c’est pas ouvert toute la journée ici ? Et la nuit ? »
  • Martine : « A Lyon, il y a un certain nombre d’accueils de jour. Donc, on part du principe, au niveau social, qu’on est hébergé la nuit, dans des lieux d’hébergement d’urgence – ou on est à la rue, malheureusement, c’est clair – et en journée, il faut des lieux pour pouvoir accueillir les personnes qui n’ont rien. Donc, il y a cinq, six accueils de jour, comme ça, au niveau de Lyon, dont La péniche, qui est sur les quais du Rhône et qui accueille l’après-midi. Ici, c’est le matin. Donc, ça permet aussi une certaine alternance, de boire un café, se retrouver tranquille, au chaud… »
  • Prospère : « Discuter. On peut jour un petit peu, consulter des journaux. Y’a un service de coiffure, je crois, également. C’est sympa, quoi. Et puis bon, y’a pas d’alcool, y’a pas de tabac, y’a pas tous ces machins là. Donc, c’est vrai que… On se cache derrière tout ça, aussi. Enfin bon, quand on enlève tout ça, on se retrouve soi-même, quoi. Mais bon, c’est vrai que, moi, des fois, j’allais au Relais SOS, de temps en temps. Et puis j’ai arrêté d’y aller. Alors parfois, je passais juste un petit moment, une heure, boire un café, voir… Parce qu’à dix heures, ils servent le café là-bas, gentiment. Et voir deux, trois copains, discuter un petit peu. Bon, je voyais souvent L, là-bas. Donc, on se voyait un peu régulièrement, c’était bien. On parlait. Et puis… une fois, je discutais avec une assistante sociale, là et puis, elle me… « vous allez manger là ? » elle me dit. Je lui dis « non, je peux pas. J’ai pas de ticket. J’ai pas d’argent ». Elle me dit « ben, je vais vous avancer des tickets. Je vous donne… Allez, je vous paye deux repas ». J’ai refusé. Je lui dis « non. Ca me plaît pas. Ca me plaît pas de manger là. Y’a trop de bruit. Y’a trop de violence. Y’a trop de fumée. Y’a trop de… Ca me plaît pas ». Je ne sais pas si… Peut-être qu’elle n’a pas compris, mais je ne préférais pas manger, plutôt que d’être dans (…) cette ambiance là. Bon, je suis passé. J’ai vu deux, trois copains et puis après, je suis parti, quoi (…). Mais y’a vraiment quelque chose de particulier, ici. Mais bon, tout le monde en est responsable. Les gens qui viennent, bien sûr, comme les gens qui accueillent. Je crois qu’il y a un échange qui se fait. »
  • Pierre : « C’est flatteur pour nous. »
  • Prospère : « Ne dis pas ça. Je veux flatter personne, parce que… j’ai pas le temps. Mais si, c’est important de savoir qu’on construit tous quelque chose ensemble, même si ça n’en a pas l’air. Ca, c’est important. »
  • Martine : « Alors, peut-être c’est intéressant de te passer la parole, en tant que bénévole… bénévole depuis peu de temps, hein. »
  • Marc : « Quelques mois. »
  • Martine : « Comme infirmier bénévole. »
  • Prospère : « Et votre prénom, c’est… »
  • Marc : « Marc »
  • Prospère : « Marc, c’est la première fois que je vous vois. »
  • Marc : « Oui. Mais je ne viens pas tous les mercredis, spécialement. »
  • Prospère : « Oui, oui. »
  • Marc : « C’est variable (…). En fonction de mes horaires. »
  • Martine : « Alors, qu’est-ce que vous trouvez, ici ? »
  • Marc : « Et bien… une simplicité. Ca, je suis d’accord avec vous. Parce qu’il y a un accueil qui est relativement simple, chaleureux. Et puis le fait que ce soit une petite structure, aussi. Je trouve que ça favorise, en fait, les liens entre les uns et les autres ; entre les bénévoles, ceux qui accueillent et puis ceux qui viennent à cet hébergement. Ca, c’est sûr. La simplicité, je suis d’accord avec vous. La convivialité, la simplicité, oui. Je suis d’accord avec vous. »
  • Martine : « S’il y avait des propositions à faire… Moi c’est vrai que… l’un de mes soucis, mais ça, vous le savez très bien, hein, c’est qu’on se dit « on est tous là. On essaie de chercher du logement. Et on se trouve devant des portes qui sont bouchées ». En disant « ben si, le jour où quelqu’un va partir, ça fera un logement vacant. Et à ce moment-là, peut-être, il pourra m’être attribué ». Au niveau du social, on en est là, malheureusement. On fait de multiples démarches et on se heurte à des portes fermées, par manque de place. Saturation de l’ensemble du dispositif, des HLM, des SONACOTRA, des foyers d’urgence, enfin tout. Comment penser cette situation ? Qu’est-ce qui peut soutenir, dans une situation comme ça, pour vivre dans une dignité humaine, malgré tout ? Qu’est-ce qu’il y a comme suggestions possibles à faire ? Hein. A, je vous pose la question aussi. Qu’est-ce que… Parce que c’est vous qui êtes le plus proche de cette réalité, qui savez des choses, d’une certaine manière. Donc, qu’est-ce qui peut, dans des situations comme ça, soutenir, quand on sent que, au niveau de nos personnalités, on est en train de s’effondrer ? C’est ce qu’on est en train de se dire. Qu’est-ce qui peut soutenir, qu’est-ce qui peut aider à avancer, qu’est-ce qui peut relancer, qu’est-ce qui peut donner du courage ? Ahmed ? »
  • Ahmed : « Il faut du footing, il faut, pour moi, mais, mais… »
  • Martine : « Du footing. Retrouver la forme par le foot ? »
  • Ahmed : « Moi, je suis un ancien joueur. Mais maintenant, je vois pas les matchs. »
  • Martine : « Et vous aimeriez voir la coupe du monde ? »
  • Ahmed : « Ah voilà, je veux voir la coupe du monde. Je veux… Parce que, j’aime le foot. »
  • Martine : « Et dans les cafés ? »
  • Ahmed : « Non, je vois pas les matchs, parce que… » Des personnes arrivent dans le groupe.
  • Martine : « Il y a un café, à Lyon qui passe tous les matchs, sur les quais de Saône, aux alentours de Perrache. »
  • Prospère : « Je ne suis pas football du tout. Je ne suis pas télé du tout (rires). Je suis désolé, Martine. J’ai arrêté de regarder la télé à dix ans. »
  • Martine : « Ahmed, il y a possibilité de regarder les matchs, dans ce café-là. »
  • Ahmed : « Oui. »
  • Prospère : « Il y en a un Grande rue de la Guillotière, avant d’arriver à la Manufacture des tabacs, sur la gauche. Avec des grands écrans »
  • Ahmed : «Pour les matchs de France, c’est tout ! »
  • Prospère : « Mais il reste ouvert jusque très tard. »
  • Martine : « Oh, la France, elle ne va pas gagner (rires) »
  • Martine : « Dans une situation très difficile, un homme demandeur d’asile - en procédure de recours - s’était dit « à la fin du plan froid, on ferme toutes les structures. Et moi, j’ai envie de dire que, d’une part, quand on est sans abri, on a une dignité humaine, on est quelqu’un. Et je veux être reconnu en tant que tel. Et je veux le faire reconnaître avec toute la dimension de tous ceux qui sont concernés par la fermeture des structures, mais en donnant une image positive et active, hein. Parce que qui dit SDF, dit nul, sans activité, etc. etc. ».
  • Prospère : « Parasite, etc. »
  • Martine : « Oui. Voilà. Alors, on avait organisé un tournoi de foot, à la fin du plan froid. A Gerland, là-bas. Un grand tournoi de foot, où il y avait eu un succès extraordinaire. Toutes les structures avaient, en gros, participé. Y’avait eu au moins dix équipes… »
  • Ahmed : « Des équipes de foot ? »
  • Martine : « Oui, oui, oui. »
  • Ahmed : « Pour tout le monde. C’est pour tout le monde ? »
  • Martine : « Pour tous ceux qui étaient dans les hébergements d’urgence. Etaient venus, aussi, les journalistes qui ont entendus les messages. Pour dire « attention, c’est pas normal de fermer les hébergements d’urgence et de mettre des centaines de personnes dehors ». Y’avait tout ça qui était contenu. Et on en reparlait. Mais ça, ça peut être intéressant à prendre en compte, Pierre, de se dire « si effectivement, y’avait une possibilité de faire des équipes de foot ». Ca aiderait ? »
  • Ahmed : « C’est pour défouler, c’est tout. »
  • Martine : « C’est possible de l’organiser. »
  • Ahmed : « Parce que (…). C’est tout, pour moi. C’est toute ma vie. Le sport, jusqu’à vingt-six ans (…). »
  • Martine : Oui. Ahmed, vous venez ici souvent ?
  • Ahmed : « Presque tous les jours. Sauf le dimanche. Le dimanche, je peux pas manger, toute la journée (…). J’ai pas d’argent. Comment je peux manger ? Le dimanche… jusqu’à lundi. »
  • Prospère : « Tu gardes la ligne, comme ça. »
  • Ahmed : « Samedi… jusqu’à lundi. Ici (rires). Voilà. »
  • Prospère : « Surtout en hiver. »
  • Ahmed : « Voilà. »
  • Martine : « C’est vrai que ça serait bien d’ouvrir davantage. Mais la difficulté, c’est que tout marche avec les bénévoles. Donc, ce sont des lieux très peu subventionnés (…). »
  • Ahmed : « Avec le foot, on pourrait garder le moral. Oui. Oui. Parce que je bois pas d’alcool, je fume pas, je… »
  • Martine : « C’est bien. Alors, on parle aujourd’hui en particulier de la question de la santé (…). La santé, quand on est dans des situations de vie à la rue… Est-ce que c’est facile de garder la santé ? Est-ce que c’est facile de se soigner ? Qu’est-ce qu’on rencontre comme obstacles et qu’est-ce qu’on peut proposer comme améliorations ? » (long silence)
  • Prospère : « C’est pas facile de garder la santé, dans la rue. J’ai vu beaucoup, beaucoup de gens attaqués par l’alcool, surtout, qui perdaient les nerfs, par les jambes, là….Parce que l’alcool, c’est très répandu, en fait. »
  • Martine : « Une sale maladie. »
  • Prospère : « Et y’en a beaucoup qui l’ignorent, en plus. Qui pensent avoir du mal aux pieds parce qu’ils se sont cognés, qu’ils se sont foulés une cheville, etc. Mais c’est un problème beaucoup plus grave. C’est difficile d’en parler, parce que je crois que la santé, c’est quelque chose de très intime à chacun. Et puis s’ils ne veulent pas aller voir le docteur (…). Quand j’en parlais, une fois ou deux, à des copains de la rue, quoi, ils ne veulent pas en parler, parce que c’est leur intimité. Et puis bon, ça les gêne aussi un peu (…). C’est délicat. Je crois qu’on s’oublie, là-dessus et puis, comme on disait tout à l’heure, c’est à un moment « je n’en ai plus rien à faire ; je m’en fiche ». »
  • Martine : « Il y a un moment où on laisse couler, quoi. »
  • Prospère : « Certains, oui. Oui, oui. Ceux qui sont emmanchés dans un problème de destruction, d’abandon total. La drogue, l’alcool. J’ai vu des choses folles ; des gars qui écrasaient des médicaments, qui les sniffaient. Bon, y’a un gros trafic du Subutex, de machins comme ça. On le sait, ça. Les toubibs font encore des ordonnances… Je comprends pas comment ça… Enfin bon. Corruption galopante dans la police. »
  • Martine : « Et tout se vend ? »
  • Prospère : « Y’a un trafic terrible. Moi, j’ai vu des gars dans des bungalows… enfin, des accueils d’urgence, là. Au goutte à goutte. Y’avait des gars qui avaient un bon train de vie, quand même. Qui avaient de l’argent sur eux, qui avaient beaucoup d’argent. Ils touchaient le RMI (…). Ils avaient de l’argent, quoi. Ils se payaient des trucs. Alors, ouais, y’a un gros trafic. »
  • Martine : « Et pour vous, l’accès à la santé, c’est facile ? La semaine dernière, vous étiez un peu épuisé.»
  • Prospère : « Ouais, j’avais le rhume et… »
  • Martine : « Comment on se soigne ? »
  • Prospère : « Moi, je ne prends jamais de médicaments, en fait. Bon, ça c’est un truc… J’aime pas ça. Et puis, la meilleure solution, c’est de ne pas être malade, je crois. »
  • Martine (rires) : « D’accord. C’est vrai. »
  • Prospère : « Mais bon. J’ai pris un rhume, c’est vrai et c’est tombé… En plus, j’avais des problèmes de… dans les voies aériennes supérieures. Donc, une sinusite, etc. Et puis c’est tombé sur les bronches parce que… parce que je ne veux pas m’arrêter, je veux pas… (…). Je m’oublie complètement (…). Et puis, on a envie de faire des choses. En ce moment, je suis dans une grosse recherche d’emploi. J’suis, bon… J’écris au Premier Ministre, pour que ça avance, tout ça (coupure due au changement de face de la cassette). Et puis on se dit que c’est un truc pour les riches, quoi. Aller voir le docteur… »
  • Martine : « C’est-à-dire que c’est plus dans l’habitude. »
  • Prospère : « Un parcours terrible, quoi. Alors que, parallèlement, y’a des personnes qui vont voir le toubib pour rien, quoi. »
  • Martine : « En plus, avec le RMI, on peut accéder gratuitement aux soins. »
  • Prospère : « Gratuitement aux soins. »
  • Martine : « Mais, en fait, vous avez pas l’habitude de faire ça. Ce n’est pas dans votre manière de vivre. »
  • Prospère : « Moi, je suis diabétique.  C’est le pancréas qui… qui flemmarde de temps en temps. C’est pas (…). Et, je crois que c’est l’an dernier, où… je me souviens même plus, j’ai pris rendez-vous, donc, avec un gars à l’hôpital, un toubib à l’hôpital. Quatre mois d’attente, quand même. Quatre mois d’attente. »
  • Marc : « Ah oui. C’était un spécialiste (…) ? »
  • Prospère : « J’espère. Parce que sinon (rires)… J’espère. Une horreur, ce type. Franchement, une horreur. Un type qui fait son boulot par-dessus la jambe. Je ne me souviens même plus de son nom. Je voulais qu’il me passe au (…) parce que, bon, ça m’ennuyait de me piquer tous les jours. C’est difficile à faire, de garder l’insuline au frais, de manger… C’est pas possible. Alors je pensais qu’il y avait peut-être un truc plus facile (…). En plus, je suis guitariste. Je joue quand même jusqu’à (…). Et donc, la pointe des doigts, à un moment, je sentais plus rien. J’ai arrêté. J’ai arrêté. Et le gars ne m’a pas du tout entendu. Il n’a pas du tout entendu ce que je lui ai dit. Il ne m’a pas ausculté, regardé les pieds, etc. parce qu’il y avait de gros problèmes. Rien. Rien, rien, rien. Un type. Une horreur, ce gars. Une horreur. »
  • Martine : « Et pourquoi tu ne l’as pas fait ? »
  • Prospère : « Il m’a refait une ordonnance. Je lui ai dit « c’est pas la peine. Je ne la prendrai pas ». Pour racheter la piqûre. Pour acheter les machins… C’est pas la peine (…). »
  • Martine : « Et il n’a rien expliqué ? »
  • Prospère : « Non. Enfin, la société est structurée comme ça. Moi, j’ai le savoir et puis vous (…). »
  • Marc : « Y’a des médecins qui fonctionnent comme ça. »
  • Prospère : « Y’en a qui sont très bien, cela dit (…). Mais bon. Y’a une généralité dans la société. Même dans l’Administration. Des gens qui… »
  • Martine : « Ca pose la question du savoir partager et de la participation des patients au traitement et aux modes de soins. »
  • Prospère : « Et je crois que c’est plus large. C’est la participation des citoyens à ce qui se passe (…) social, communautariste. Ca, c’est important, vis-à-vis des administrations, vis-à-vis (…) des politiques ; parce qu’ils ont aussi un rôle là dedans. Et je ne mets pas tout le monde dans le même sac mais, en général, c’est très cloisonné. On veut nous extraire de là puis… c’est pas possible. Je suis bavard, hein ? »
  • Pierre : « Ah non, mais il faut. »
  • Martine : « Non, c’est… Moi, je crois que c’est très loin des questions de fond. C’est vrai. C’est vrai. Qu’est-ce que vous en pensez, Ahmed ? »
  • Félicité : « Ouais. Quand j’étais avec le médecin. L’infirmière, oui, elle connaît bien la… comment… le code. Le médecin, il dit de dormir huit heures par jour, par nuit. Et moi, je dors huit heures par quatre jours (…). Et pour manger, faut trois fois par jour. Moi, manger une fois par jour. »
  • Martine : « Donc, effectivement, faut manger trois fois par jour. Vous arrivez à manger qu’une fois par jour, dans le meilleur des cas. Enfin, deux. Deux, quand même, quand il y a les hébergements d’urgence. »
  • Félicité : « Oui. »
  • Martine : « Une fois tous les quatre jours, vous mangez le soir. »
  • Félicité : « Non. Dormir huit heures par quatre jours. Huit heures. »
  • Martine : « Donc, vous arrivez après le repas ? Avec le 115. »
  • Félicité : « La santé, c’est impossible. »
  • Cette opinion fait écho à une réalité partagée par beaucoup. Une discussion spontanée s’élève entre les participants, par sous groupes. Puis la discussion reprend.
  • Martine explique le fonctionnement lié aux orientations tardives vers les centres d’hébergement d’urgence : « Oui. Quand on lui dit, à vingt-deux heures « allez dormir », c’est vrai qu’il ne mange pas. »
  • Félicité : « Voilà. Huit heures par quatre jours. Une heure ici, une heure là-bas, etc. »
  • Martine : « Oui. Il faut marcher beaucoup, en plus. »
  • Félicité : « Voilà. Marcher plus de deux cents kilomètres par jour. Comme… Oh là là ! » (rires).
  • Martine : « Deux cents kilomètres, c’est peut-être beaucoup ; mais c’est vrai, on marche beaucoup quand on est dans la rue. On est obligé de marcher beaucoup. »
  • Félicité : « Obligé. Le jour et la nuit. »
  • Martine : « Jour et nuit, hein. Parce que la nuit, quand vous êtes dehors, vous ne dormez pas ? »
  • Félicité : « Bien sûr. »
  • Martine : « Vous ne dormez pas. Vous marchez. »
  • Félicité : « C’est très fatiguant. »
  • Martine : « C’est pour ça qu’ici, on a choisi de mettre des canapés. On en a longtemps discuté, en disant « quand les gens sont trop crevés ». »
  • Félicité : « Parce que moi, je connais pas Lyon bien. »
  • Martine : « En plus, il vous faut chercher. »
  • Félicité : « Ouais. Faut marcher pour… C’est ça. Trouver une place pour se reposer, c’est impossible, quoi. Si tu connais pas la région. »
  • Martine : « Ca demande de connaître les interstices de la ville, hein. C’est-à-dire que les petits espaces où l’on peut se réfugier dans une ville, pour être à peu près tranquille, c’est une sacrée connaissance. Une compétence. »
  • Prospère : « Je sais pas. Une compétence, j’irais pas jusque là, mais… Oui, ça rend service. Ca rend service (…). »
  • Martine : « Je me rappelle de personnes qui essayaient d’avoir les codes des portes des immeubles, pour pouvoir après faire le code et puis rentrer tranquillement pour dormir en haut des escaliers, sans gêner personne, etc. (…). »
  • Prospère : « Oui. Il y a la bibliothèque. »
  • Martine : « Il y a la bibliothèque, mais pas la nuit. »
  • Prospère : « Non. Pas la nuit. Mais bon. Quoique, on est à l’abri. Sur les contreforts de la bibliothèque, on peut être à l’abri. »
  • Martine : « Oui. »
  • Prospère : « Enfin, à l’abri de la pluie, quoi. »
  • Martine : « Mais par contre, on risque de se faire un peu embêter la nuit. C’est connu. »
  • Prospère : « De partout, on se fait embêter la nuit. »
  • Martine : « Ca arrive souvent ? »
  • Prospère : « Moi, ça m’est jamais arrivé. »
  • Martine : « D’accord. Ca veut dire que vous êtes dans les endroits finalement cachés et discrets. »
  • Prospère : « Non, je crois que… on attire ce qu’on est aussi. »
  • Martine : « Quand on est vulnérable, c’est pas toujours simple. »
  • Prospère: « Je ne sais pas ce que c’est que la vulnérabilité. Mais bon. On rencontre pas des gens pour rien. On rencontre pas des situations pour rien, non plus. C’est un autre débat, mais… Ouais, pour dormir, c’est difficile aussi. Ca peut être bien de connaître des endroits, mais bon, après, les gens les connaissent aussi. Y’a beaucoup d’agressions du côté de Perrache. Et puis il y a un phénomène qui est très… psychologie bestiale – je ne parle pas d’animal – bestial, qui est la délimitation, la défense du territoire. »
  • Martine : « Oui. »
  • Prospère : « Par bandes. Qu’on voit s’organiser de plus en plus. Je pense à Perrache, là où les gens se font voler – le racket – se font voler leur sac, leurs vêtements, etc. Ca a une double signification. C’est un vol pour ce que ça peut rapporter, pas grand-chose ; mais c’est aussi signifier à la personne en question que « tu ne mets pas les pieds ici », quoi. Et ça, c’est tout à fait contradictoire par rapport à la situation que ces gens-là vivent ; puisqu’ils devraient vivre avec une solidarité plus forte. S’organiser, pour pouvoir dire après… avoir un projet qui puisse être porté, je ne sais pas, aux politiques, au social (…). Et là, c’est l’effet inverse. »
  • Martine : « C’est à un moment donné où ceux qui vivent – le groupe des pairs – profitent aussi de la situation des autres pour, à la fois imprimer leur territoire, montrer leur marque et puis profiter de ceux qui sont de passage. »
  • Prospère : « Oui. Oui, oui. Ca leur permet d’exister, à travers ça aussi, parce que sinon, ils ont rien. Ils ont pas de… Je ne les blâme pas, mais bon. C’est pas une démarche qui rend service à tout le monde. Et à eux d’abord. Y’a des gens qui se pointaient le cinq de chaque mois, quand le RMI était sur les comptes. Ils se mettaient près du guichet de Poste ou de machin. Et y’avait un racket assez fort. Attention. »
  • Martine : Ca continue toujours. Et quand on arrive à mettre à l’écart quelqu’un qui était un racketteur professionnel, y’en a un autre qui arrive. Comme des vautours ! » (mouvement d’approbation).
  • Prospère : « Et ça, c’est comme le trafic de drogue. Faites tomber une grosse tête et y’en a une autre qui se relève, qui prend le relais. Ben y’a des intérêts, hélas. Intérêts sordides, à court terme, mais… parfois, on n’a pas une vue longue. Alors, ça renvoie à ce qu’on disait tout à l’heure, c’est difficile de réfléchir à toute cette problématique. Comment s’en sortir ? Que proposer pour s’en sortir ? Et puis les gens ne sont pas habitués à ça. Ils ne sont pas habitués à prendre la responsabilité de s’exprimer sur ce qu’ils ressentent, coincés entre leur intimité qu’ils veulent privilégier. Il ne leur reste que ça, quoi. »
  • Martine : « Sauvegarder sa dignité. »
  • Prospère : « Tout a fait. Et puis y’a ce moyen qui n’a jamais été mis à disposition, par plusieurs vecteurs. Que ce soit le manque de moyens intellectuels, le manque de, comment dire, d’interlocuteurs, qui puissent être un relais entre leurs propositions et puis quelque chose de concret. Ce qui fait qu’on n’est pas habitués à ce type de démarche de réflexion. Mais on y arrivera. Patience. »
  • Martine : « Oui. Oui. Ca pose la question de l’organisation de cette frange de population de plus en plus nombreuse, qui passe par la rue – y reste parfois – et se dire « mais comment est-ce qu’il peut y avoir une représentativité sociale et politique de ces personnes ? », hein, pour faire changer les choses (…). »
  • Prospère : « Non. Je vais me présenter à la députation, l’an prochain. » (rire de l’assemblée)
  • Prospère : « Sans logement. On peut ? Ouais, j’irai revoir la Constitution. »
  • Martine : « Pierre ? »
  • Pierre : « je crois pas qu’il y ait besoin de… »
  • Prospère : « Y’a pas d’obligation ! »
  • Pierre : « Il doit y avoir… »
  • Prospère : « Député, y’a une seule obligation. »
  • Pierre : « Peut-être une domiciliation, mais bon. »
  • Prospère : « Y’a une seule obligation pour être député. Vous savez laquelle ? Il faut rentrer à l’Assemblée Nationale avec une cravate. Sinon, vous n’entrez pas (pouffements de rire). C’est vrai. C’est vrai. »
  • Pierre : « Je pense qu’il doit y en avoir. Ils doivent avoir le lot de cravates, à l’entrée, pour ceux qui l’ont oubliée. »
  • Prospère : « Non, non. Il faut une cravate. Parce qu’il y avait un député communiste qui a été, il y a longtemps, qui a été élu ; il arrivait pour son premier jour en bleu de chauffe… avec la cravate. Et un journaliste lui a dit « mais, vous… ça ne va pas, la cravate, avec votre tenue d’ouvrier ». Il a dit « ah. C’est une obligation. Donc, on respecte la loi » (rires). Mais… je crois que les politiques, ouais, ne font pas leur travail. Moi, j’ai déposé chez Monsieur Collomb, sénateur de Lyon, pour qui ça s’est suivi auprès de Villepin (…). Et bon, j’ai pas de réponse, encore, pour l’instant. J’ai cherché l’adresse de la, comment dire, le secrétariat sénatorial de Monsieur Mercier. Y’en a pas. Sur Lyon, y’en a pas. Y’a des gens qui ont des… Bon, c’est vrai que les sénateurs, c’est quelque chose de différent, encore. Il y a quand même des gens à qui on peut s’adresser, une fois que… Alors, c’est un sénateur. C’est autre chose que s’adresser à un député, quoi. Mais il faudrait, oui c’est vrai, une représentation pour ces gens là, une vraie et puis que les députés fassent le travail. C’est-à-dire d’être le relais des gens du peuple qui leur posent des questions. Qui leur donnent des réponses précises à ces questions. Et puis régulariser les éventuels disfonctionnements. On l’a vu dans la commission d’Outreau, là. Y’a les magistrats qui ont commencé à crier et puis à essayer d’abréger cette… Parce que bon, effectivement, ça faisait tort à leur corporatisme. Enfin, avec un tas d’arguments complètement idiots. Et y’a que le député Houillon qui a dit « on est là pour représenter le peuple. On ira jusqu’au bout de nos questionnements. Et puis, si ça ne vous plaît pas… » Enfin, il ne l’a pas dit comme ça, mais… Il l’a dit. Or, c’est la question qui se pose parce que (…) la représentativité. »
  • Pierre : « Le problème, c’est qu’ils ont eu tendance, un petit peu, à oublier qu’ils n’étaient pas un tribunal, mais une commission d’enquête. »
  • Prospère : « Mais ils n’ont jamais dit que c’était un tribunal. »
  • Pierre : « Non. Mais ils se comportaient un peu comme… »
  • Prospère : « Peut-être. Peut-être. Mais quand on brise la vie de centaines de gens… Je suis désolé. Le Burgaud, il a été blanchi. C’est pas normal, ça. Y’en a qui ont passé trois ans, quatre ans en prison. »
  • Pierre : « Ouais. »
  • Prospère : « Une fois que vous êtes passé là, vous êtes foutu. Vous êtes foutu. Moi, j’ai fait deux mois de prison pour une peine amnistiée. La peine, c’était pas grand-chose. C’était que j’avais pas d’argent pour payer la pension alimentaire (…). J’ai écrit au juge, comme le Code Civil le prévoit. Il ne m’a jamais répondu. On m’a mis en prison. Amnistiée, la peine. La honte. »
  • Martine : « Et le passage en prison, ça vous (…). »
  • Prospère : « Bon, ça va. Je fais beaucoup de méditation, là. »
  • Martine : « Oui, oui. C’est vrai que c’est difficile, après. Beaucoup restent, en étant… »
  • Prospère : « La prison, ça vous brise un homme ou ça le renforce. »
  • Martine : « Oui (…). »
  • Prospère : « Regardez Mandela. Vingt-neuf ans. »
  • Martine : « Bien sûr. Et ça demande une force (…). »
  • Prospère : « Mais bon. J’ai pu être… J’ai pu être utile, en prison. Ca, c’était aussi… Ca m’a fait plaisir. J’ai fait une lettre ; j’ai sorti un gars. »
  • Martine : « Ah oui ? »
  • Prospère : « Ouais. Il était en préventive. J’ai fait une lettre au juge. Il est sorti. Ca m’a fait plaisir. Bon, j’ai donné un petit coup de main. Mais bon, c’est… c’est terrible quand même, parce que ça marque, quoi. Ca va que j’avais des appuis extérieurs mais, je crois que ça marque (…). Y’a tous les trafics, en prison. »
  • Martine : « A tous les niveaux. »
  • Prospère : « Ouais. Tous les trafics. Tout, tout, tout, tout. »
  • Martine : « Et la promiscuité (…). »
  • Prospère : « Moi, j’étais tranquille. J’étais… On m’a demandé si je voulais être dans une cellule tout seul. On m’a mis dans une cellule tout seul. Et puis après, on m’a mis un camé, parce que les autres n’acceptaient pas les camés. Alors, il m’a dit… Le chef est venu me voir « je peux vous mettre un camé ? Normalement, il ne devrait pas être là, mais bon. Il a une petite peine. On ne veut pas le mettre dans une structure trop forte, avec des grands brigands, quoi. Mélanger les genres » (…). Enfin, comme je parlais anglais, on m’a demandé… Le chef est venu me voir. Il me dit « bon. On a un shooté anglais ». Le gars, il avait détourné, avec des cartes bleues, cent quatre-vingts mille francs – dix-huit millions anciens – et après, trois mois de prison (…). Et donc, pour les entretiens, ils parlaient pas… personne ne parlait anglais, donc, on m’a demandé de… »
  • Martine : « De faire la traduction. »
  • Prospère : « L’interprète. Alors, j’ai dit « écoutez chef, c’est cinq mille francs par jour et en liquide » (rires). « Là, j’ai pas de monnaie ; j’ai pas d’argent ». On plaisantait, c’est ce qui m’a permis de tenir aussi. Et puis bon, je la faisais, quoi. Et puis voilà. Puis une fois, y’a un jeune algérien, dans la cour « oh, tu parles anglais, toi. Tu vas m’apprendre l’anglais ». « Pourquoi ? » Je me suis dit, d’abord, « c’est bien, déjà. Il veut… Sa situation d’échec, il veut la sublimer, puis apprendre ». Je lui dis « pourquoi tu veux apprendre l’anglais ? » Ben, il dit « Parce que sa combine des cartes bleues, j’la connais pas, moi. Mais s’il a fait dix-huit millions, on peut en faire plus, encore » (éclats de rire). C’est que tu as des gars qui ont le moral (…). Et puis voilà, quoi. »
  • Martine : « L’adaptation, c’est aussi de pouvoir être utile là où l’on se trouve. Bon an, mal an. »
  • Prospère : « Oui. Toujours. Je crois que c’est important. Oui, je pense. C’est important. Ca correspond à quelque chose qu’on a au fond de soi-même et qu’on doit… »
  • Marc : « Ca permet de se réaliser (…). »
  • Prospère : « Y’a un seul chemin à faire ; c’est vers soi-même. Et puis bon, si on rencontre des gens, c’est pour ça… »
  • Martine : « C’est vrai. Il faut que je file à La Rencontre. Le prochain café parole, c’est la semaine prochaine, je crois, la prochaine…après le cours de chant, Prospère ?
  • Prospère : « C’est pas un cours de chant. C’est une chorale ! » (rires).
  • Martine : « Pardon. Excusez-moi. »
  • Prospère : « Mais je vous en prie. »
  • Pierre : « C’est vrai que la semaine dernière, c’était la semaine RMI, donc ça s’explique un petit peu qu’il n’y ait pas grand monde aujourd’hui. »
  • Martine : «  Voila, je crois que c’est important ; plus on est nombreux, plus on peut échanger. Les gens de la Mission régionale d’information sur l’exclusion viendront. C’est un grand laboratoire sur l’exclusion Rhône Alpes. Je laisserai le livre de la MRIE pour que vous voyiez tout ce qui peut s’échanger. Ils viennent pour écouter, entendre, ce que vous avez aussi à dire. Alors, c’est vrai que Pierre fait un gros travail de frappe. En septembre, on réfléchira sur « qu’est-ce qu’on a envie de médiatiser ? » Avec des députés, par exemple. » (rires)
  • Prospère : « Je n’ai pas dit ça en l’air, hein. »
  • Martine : « Prospère, c’est une excellente idée. Donc, qu’est-ce qu’on va pouvoir médiatiser d’essentiel de ce qu’on aura échangé ? Donc, ça veut dire qu’on aura un gros travail à faire, à partir des cafés rencontre que nous faisons. Et puis on verra comment on peut médiatiser les choses, d’une façon ou d’une autre. »
  • Prospère : « Je crois que c’est important de mettre le paquet. Quand vous présentez les ateliers, comme ça, ou les rencontres, je crois que c’est important de préciser aux gens, comme vous venez de le dire, de venir simplement. Même s’ils ne disent rien. Parce que tout le monde n’est pas capable de parler (…). Mais bon, chacun a son idée et, au moins, être là, présents, ensemble et puis, petit à petit, les choses peuvent avancer. »
  • Pierre : « Au début, y’a juste deux, trois personnes qui se mettent autour de la table pour discuter. Et, en pratique, en général, c’est des personnes qui passent, qui s’arrêtent et qui viennent dire ce qu’elles pensent. »
  • Prospère : « Oui. Mais déjà, là, y’a une séparation. Bon, c’est une bonne chose, parce que, pour passer le gué, faut vraiment… »
  • Pierre : « Et pour moi, c’est plus facile à taper, parce qu’il y a moins de bruit. »
  • Prospère : « Ouais. Possible. Mais bon, je crois que c’est important de le dire, que les gens n’aient pas à être acteurs, simplement… obligatoirement prendre la parole, mais… Etre là, déjà, c’est important. »
  • Martine : « Donc, n’hésitez pas à en parler. »
  • Prospère : « Mais nous ne faisons que ça, Martine. »
  • Martine (rires) : «  Moi, je retiens dans ma tête l’idée du foot. »
  • Ahmed : « Oui. »
  • Martine : « Sachant que…trouver un ballon ; on trouvera toujours. Trouver un terrain, on peut peut-être le faire aussi. Bon, pourquoi pas essayer un jour ? Est-ce qu’ici, il y a des gens qui veulent jouer au foot, ça je ne sais pas. »
  • Ahmed : « Si, si. »
  • Prospère : « Tout le monde veut jouer au foot (…). »
  • Martine : « Mais moi, je compte sur vous. C’est-à-dire que je n’ai personne, de stagiaire, spécialisé dans le foot. D’accord. Vous, vous êtes spécialisés (rires). Pour l’animation et tout. »
  • Ahmed : « Le sport, c’est l’amitié. »
  • Martine : « Le sport, c’est l’amitié. Oui » (brouhaha). On a aussi demandé à Pierre de garder l’anonymat dans les comptes rendus. »
  • Pierre : « C’est comme ça qu’on fait en Droit. »
  • Prospère : « Moi, ça ne me dérange pas. »
  • Martine : « Pour que chacun ait vraiment sa liberté de parole. »
  • Prospère : « Ca vous intéresse de reconduire le projet de musique pour l’an prochain, la chorale ? »
  • Martine : « Bien sûr. En l’étoffant. »
  • Prospère : « Oui. Je voudrais faire un petit cours de solfège, pour la chorale, pour ceux qui veulent. »
  • Martine : « Très bien. Oui, oui, oui. »
  • Prospère : « Je vais voir. »
  • Martine : « Alors là, demain, il faut faire l’affiche pour mercredi (la fête de la musique), avec la chorale de l’accueil de jour dans la rue »
  • Prospère : « Oh, c’est vite fait. Je veux dire… S’il y a assez de monde pour venir chanter à quinze heures (…). »
  • Martine : « Oui, mais je crois que les gens seront là. »
  • Prospère : « Oui, s’ils sont partants, on y va. »