2 – Une nouvelle application du postulat de rationalité : Les théories de la prospection d’emploi

Un autre approfondissement de la théorie néo-classique consiste à analyser le chômage comme provenant de formes spécifiques de la rationalité des agents économiques. Ainsi, la théorie de la recherche d’emploi ou « job search » a cherché une explication du chômage dans la volonté des demandeurs d’emploi de mettre à profit leur temps de chômage pour trouver le meilleur emploi possible. Et le coût du chômage (absence de salaire) étant moins lourd pour les femmes dont le mari travaille et pour les enfants entretenus par leur famille, ceux-ci seraient moins pressés d’obtenir un emploi. Le chômage toucherait ainsi particulièrement ces catégories en raison d’un calcul bien compris.

Comme le suggère l’analyse précédente, l’existence d’un taux de salaire en dessous duquel les travailleurs refusent un emploi est la seule origine possible du chômage, dans l’univers de concurrence parfaite que décrivent les modèles néoclassiques. Une explication possible de cette rigidité salariale est l’hypothèse d’indemnités versées aux travailleurs sans emploi : dans ce cas, le salaire de marché doit compenser la désutilité du travail. Une telle voie d’explication ne fait cependant aucune part à la rationalité individuelle, et reste donc largement ad hoc 88 .

La prise en compte du comportement de prospection d’emploi (ou job search) des chômeurs explique par des comportements cohérents des agents l’existence d’un salaire de réservation. Le sous-emploi (volontaire) qui en résulte a un caractère de chômage frictionnel : il est dû au fait qu’un chômeur possède des informations imparfaites sur les caractéristiques des emplois vacants. Bien entendu, une telle hypothèse nous éloigne des modèles de concurrence parfaite, mais permet d’expliquer la formation du salaire de réservation 89 .

On considère la situation à laquelle fait face un chômeur à la recherche d’un emploi : cette prospection se déroule au cours de périodes successives. A chacune d’entre elles, d’une part, l’agent subit des coûts de diverses natures liés à cette activité de recherche et, d’autre part, il reçoit des offres d’emploi.

Toutefois, il n’est pas capable d’évaluer avec certitude toutes les caractéristiques associées à chaque offre. Un emploi est caractérisé par le niveau de salaire qui lui est associé, et par sa « stabilité », c’est-à-dire par la probabilité, à chaque période, de ne pas être licencié : seules, la distribution des salaires et celle de la stabilité des emplois dans l’économie sont connues. La distribution sur les caractéristiques des emplois permet à chaque individu de calculer l’espérance d’utilité intertemporelle associée à un emploi offert à une période donnée : cette valeur représente le gain moyen que l’agent reçoit s’il accepte l’emploi. S’il le refuse, il subit une nouvelle période de chômage et de nouveaux coûts de prospection, mais il peut également espérer un emploi futur présentant de meilleures caractéristiques : cela lui permet à nouveau de calculer l’espérance de gain associée au refus de l’emploi. Ainsi, le prospecteur d’emploi fait face, à chaque période, à un arbitrage. Dès lors, le problème est de définir le critère selon lequel il va accepter ou refuser une proposition d’emploi 90 .

Le résultat essentiel de la théorie de la recherche d’emploi tient dans la réponse apportée à cette question. La règle de décision optimale de l’agent se réduit au calcul d’un niveau de salaire de réservation vérifiant la propriété suivante : à chaque période, tout emploi assorti d’un salaire inférieur au salaire de réservation est refusé, tout emploi assorti d’un salaire au moins égal au salaire de réservation est accepté. La valeur du salaire de réservation dépend à la fois de la distribution des salaires dans l’économie, de celle de la stabilité des emplois, et de « l’impatience » de chaque agent, mesurée par son taux d’actualisation 91 .

Le salaire de réservationa bien le statut d’un salaire de réservation au sens où nous l’avons défini, puisqu’il représente le niveau de rémunération en dessous duquel l’agent refuse l’emploi proposé. Le rejet d’un emploi, à un instant donné, a pour conséquence de prolonger d’une période le chômage subi par l’agent : celui-ci est donc de nature volontaire, mais il est lié au refus (rationnel) d’accepter un emploi associé à un salaire trop faible, au regard des opportunités qui peuvent se présenter ultérieurement. Les théories de la prospection d’emploi permettent ainsi de rendre endogène, c’est-à-dire déterminée au sein du modèle, la formation du salaire de réservation (ce qui est évidemment plus convaincant que d’en postuler l’existence) et de comprendre la genèse d’un chômage de prospection sur un marché « presque concurrentiel » 92 .

Toutefois, ce modèle, comme celui de concurrence parfaite exposé plus haut, souffre de son incapacité à rendre compte d’un chômage involontaire. En outre, malgré l’approfondissement apporté par ce modèle, les explications de la rigidité des salaires restent assez pauvres, attribuant exclusivement au comportement des chômeurs l’origine d’un défaut d’ajustement du salaire à la baisse. Dans ce modèle, en effet, les firmes se comportent de manière passive : elles se bornent à offrir des emplois, sans participer de manière active à la diffusion de l’information ou de manière stratégique à la formation des salaires 93 .

L’approche développée dans les travaux de la synthèse néoclassique, dérivés de la macroéconomie keynésienne, tente de dépasser cette limite en proposant une explication macroéconomique des déséquilibres fondée sur le défaut de coordination des actions individuelles.

Contrairement à la théorie standard du marché du travail exposée ci-dessus, Marx s’intéresse plutôt à la valeur de la force de travail, à la plus-value et à l’exploitation du travailleur par le capitaliste. Les trois composants de l’analyse de Marx ont fait expliciter ainsi le marché du travail selon lui.

Notes
88.

Rueff J., « L’assurance-chômage, cause du chômage permanent », Revue d’Economie Politique, mars-avril 1931, p. 211-250 dans Perrot Anne (1992).

89.

Idem.

90.

Perrot Anne (1992), Les nouvelles théories du marché du travail, La découverte.

91.

Idem.

92.

Idem.

93.

Idem.