2 – La segmentation du marché du travail

Les travaux de Doeringer et Piore 147 mettent en avant une autre spécificité du marché du travail. Pour ces auteurs, des modes de détermination très différents des salaires et de l’emploi distinguent des « segments » de marché, entre lesquels la mobilité des travailleurs est très réduite. Dans la forme minimale de segmentation, le dualisme, coexistent ainsi un segment primaire, au sein duquel les salaires sont élevés et la sécurité d’emplois très grande, et un segment secondaire, présentant les caractéristiques inverses. Ces secteurs sont relativement étanches, certains travailleurs se trouvant confinés au secteur secondaire, sans parvenir à obtenir un emploi dans le secteur primaire : ces emplois attractifs sont en effet rationnés 148 .

L’explication d’un tel phénomène ne provient pas de caractéristiques différentes des travailleurs, comme, par exemple, de niveaux différenciés de qualifications, d’aptitudes ou, plus généralement, d’investissement en capital humain, mais au contraire, des emplois eux-mêmes : des modes de gestion distincts de la main-d’œuvre s’appliquent dans chaque secteur et expliquent, pour les auteurs, une telle partition. En particulier, certaines firmes constituent des marchés internes du travail : elles pourvoient leurs emplois vacants en ayant principalement recours à leurs propres employés. La promotion interne explique alors la stabilité de l’emploi, ainsi que des niveaux de salaires qui diffèrent considérablement de ceux qui s’imposeraient sur le marché externe 149 .

Au sein d’autres secteurs productifs, la constitution de ces marchés internes n’est pas la norme : salaires et emplois sont déterminés selon un mode qui s’apparente alors au mécanisme concurrentiel. Les emplois pourvus par le biais du marché « externe » et ceux qui relèvent d’une gestion interne possèdent des caractéristiques différentes. L’explication de ce phénomène ne doit pas être recherchée dans les comportements individuels, mais, encore une fois, dans les logiques collectives qui président à la formation des échanges sur le marché du travail. La notion de marché interne du travail permettra par la suite à la théorie des organisations naissante de comprendre pourquoi certaines formes institutionnelles, comme l’entreprise, peuvent se substituer au marché comme mode d’organisation des échanges.

Notes
147.

Doeringer P., Piore M. (1971), Internal labour markets and manpower analysis, Lexington, cité par Gazier (1992).

148.

Cahuc P., Zylberberg A. (2003), Microéconomie du marché du travail, La Découverte, Paris.

149.

Idem.