II – Les nouvelles théories du marché du travail

1 – Le salaire d’efficience

Les théories du salaire d’efficience reposent sur l’idée selon laquelle un employeur peut avoir intérêt à payer de hauts salaires afin d’encourager ses employés à être efficace. Quatre explications ont été avancées pour justifier une relation croissante entre salaire et productivité 150  :

  • Une politique de « bas salaires » favorise la rotation de la main-d’œuvre et, par voie de conséquence, aura une influence négative sur la productivité du travail à moyen ou long terme.
  • Un chef d’entreprise n’observant qu’imparfaitement les caractéristiques des individus qu’il embauche peut pratiquer une politique de « hauts salaires », afin d’attirer dans son entreprise les meilleurs éléments de la population active.
  • Lorsque les actions des employés sont imparfaitement observées par l’employeur, il y a un problème d’aléa moral : les employés peuvent avoir intérêt à tirer au flanc. Payer de hauts salaires peut alors permettre d’inciter les employés à s’investir dans leur travail.
  • Payer des salaires relativement élevés peut aussi constituer un moyen de signifier aux employés qu’ils sont traités équitablement, avec respect. Ceci peut favoriser des comportements coopératifs qui améliorent la productivité du travail.

Cette approche met donc l’accent sur le rôle des stratégies d’incitation dans le déroulement du contrat de travail. Elle permet d’expliquer la rigidité des salaires et peut aussi servir de fondement théorique à l’analyse du dualisme du marché du travail. L’hypothèse centrale est que la productivité de chaque salarié dépend de son effort, lequel croît avec le salaire versé. L’entreprise engagera un salarié supplémentaire tant que la productivité marginale reste supérieure au salaire réel par unité efficiente de travail. Le salaire optimum, dit «d’efficience», est alors tel que l’élasticité de l’effort par rapport au salaire est unitaire. Il se peut que le salaire réel optimal soit supérieur au salaire de réservation des chômeurs. Dans ce cas, ces derniers souhaiteraient travailler pour un salaire inférieur, mais les entreprises préfèrent ne pas les embaucher à ce salaire qui diminuerait la productivité des salariés déjà embauchés. Dans cette analyse, tout choc qui modifie la productivité du travail tend à modifier l’emploi sans changer le salaire réel optimal 151 .

L’objectif des théoriciens du salaire d’efficience est en effet de combler une lacune de l’analyse en termes d’équilibre général. En effet, dans ce système, l’on ne peut expliquer que le chômage volontaire où des travailleurs refusent de travailler pour le taux de salaire établi sur le marché. Les nouveaux keynésiens considèrent néanmoins qu’il est possible de rendre compte du chômage involontaire tout en se situant dans le cadre d’analyse de l’équilibre général. Leurs travaux sur le salaire d’efficience sont donc censés démontrer cette affirmation. Leur but est aussi de réaliser une synthèse des analyses néoclassique et keynésienne, puisque le concept de chômage involontaire est un concept keynésien.

Or, pour parvenir à leur objectif, les nouveaux keynésiens sont obligés de modifier les hypothèses du système sur lequel sont fondés leurs modèles. Tout d’abord, ils introduisent la relation «d’efficience» selon laquelle l’amélioration de la productivité des travailleurs résulte de l’augmentation de leur taux de salaire. Mais cette proposition est incompatible avec le cadre de l’équilibre général où c’est la productivité des travailleurs qui détermine leur taux de salaire réel. La causalité est inversée dans la théorie néoclassique traditionnelle et il ne peut en être autrement. En effet, pour Walras, le «prix» du travail est déterminé dans les échanges, c’est-à-dire une fois la production réalisée. Il est donc nécessaire de connaître les quantités produites pour établir les prix relatifs des produits et les taux de salaire. Par ailleurs, pour les Marginalistes, les travailleurs sont rémunérés selon leur productivité marginale. Aussi, l’entreprise doit savoir ce que les salariés ont produit afin de déterminer leur taux de rémunération 152 .

Ensuite, les théoriciens du salaire d’efficience prétendent que les entreprises vont verser l’une après l’autre un taux de salaire supérieur au taux du marché afin de motiver leurs salariés. Mais là encore, cette hypothèse ne peut pas être acceptée à cause des exigences du système de l’équilibre général. Dans ce système, la concurrence impose la détermination d’un prix unique sur tous les marchés, y compris sur le marché du travail 153 .

Donc, les entrepreneurs doivent se conformer au prix établi par le marché s’ils souhaitent rester concurrentiels et ne pas disparaître. Par ailleurs, l’hypothèse de concurrence pure et parfaite ne peut pas être écartée car elle est l’une des conditions de la réalisation de l’équilibre général.

Ainsi, les modèles de salaire d’efficience sont dépourvus de cohérence interne, puisqu’ils se fondent sur un système sans en respecter les fondements théoriques. Les auteurs fondent leur raisonnement sur des hypothèses qui sont incompatibles avec le cadre d’analyse de l’équilibre général. Autrement dit, la théorie du salaire d’efficience repose sur un raisonnement incohérent, ce qui implique qu’elle n’apporte rien à l’analyse économique. Et cette incohérence conduit à des propositions absurdes en matière d’emploi.

En effet, pour ces théoriciens, le chômage serait la solution aux problèmes de comportement des travailleurs. Le chômage ne serait donc pas un problème ce qui implique que leurs propres travaux n’ont aucune utilité dans ce domaine.

Notes
150.

Tchibozo Guy, (1998), Economie du travail, Les Topos, Dunod, Paris. Pour plus de detail, voir : Summers L.H. (1988), « Realtive wages, efficiency wages and Keynesian unemployment », American Economic Review, May.

151.

Tchibozo Guy, (1998), Economie du travail, Les Topos, Dunod, Paris.

152.

Tchibozo Guy, (1998), Economie du travail, Les Topos, Dunod, Paris.

153.

Idem.