III – Le modèle «insiders-outsiders»

La théorie insiders-outsiders essaie d’expliquer les raisons de la rigidité des salaires alors qu’il y a du chômage involontaire. Le modèle a été développé au cours des années 80 par une série de contributions de Lindbeck et Snower (1985, 1986, 1988a, 1988b) 158 . Expliquons le modèle. Les insiders sont les titulaires d’un emploi dans une entreprise, tandis que les outsiders sont des travailleurs inemployés. Nous avons vu que dans le modèle du salaire d’efficience, c’est la firme qui prend la décision de rémunérer ses employés à un niveau supérieur à celui qui permet l’ajustement du marché. Dans ce modèle, le pouvoir appartient aux insiders qui influencent les décisions de salaires et d’emploi. Une question vient immédiatement à l’esprit : d’où vient ce pouvoir des insiders ? Selon Lindbeck et Snower, il vient des coûts de rotation de la main d’œuvre. Que faut-il entendre par coûts de rotation de la main d’œuvre ? Les auteurs nous indiquent que ces coûts comprennent les coûts de recrutement et de licenciement ou celui des litiges. D’autres coûts proviennent de la formation des nouveaux employés. Mais ces types de coûts étaient déjà connus auparavant. Lindbeck et Snower ont souligné une nouvelle forme de coûts : celle de la capacité et du désir des titulaires de coopérer ou de harceler les nouveaux embauchés qui étaient donc auparavant des outsiders. Ainsi, si les insiders ont le sentiment que les outsiders les menacent, ils refuseront de coopérer, de participer à la formation des nouveaux employés. Ils peuvent même rendre la vie de ces derniers insupportable. De la sorte, il est aisé de comprendre que la désutilité du travail augmente, c’est-à-dire que le salaire de réservation des outsiders augmente, ainsi les entreprises ne sont pas incitées à les embaucher. D’ailleurs, l’entreprise ne pratiquera pas d’embauches si elle pressent que son personnel n’y est pas favorable, car il est important de noter que puisque la coopération ou le harcèlement dépendent du comportement des insiders, ils exercent un pouvoir non négligeable sur les coûts de rotation 159 .

Il est donc onéreux pour l’entreprise d’embaucher des chômeurs plutôt que de promouvoir les insiders ; ces derniers ont à leur disposition un moyen de pression pour obtenir une partie de la rente générée par les coûts de rotation, en effet, l’entreprise est prête à payer pour éviter de subir ces coûts. Les auteurs de ce modèle supposent que les travailleurs ont assez de pouvoir de négociation pour obtenir une partie de cette rente. Si le pouvoir des travailleurs titulaires n’est pas lié à celui des syndicats, il est évident que l’existence de ces derniers renforce sensiblement la menace de grèves, ou d’autres mesures de non-coopération comme la grève du zèle 160 .

Initialement, cette théorie devait expliquer le chômage involontaire, mais elle a d’autres conséquences. D’abord, ce modèle implique que des chocs suffisamment importants pour déplacer la demande de travail peuvent exercer des effets durables sur les salaires, l’emploi et donc le chômage. Dans des pays où les coûts de rotation sont importants et où les syndicats sont puissants, cet « effet de rémanence » est significatif. Ensuite, ce modèle nous montre que lorsque les chocs sont modérés, les entreprises qui ont des coûts de rotation élevés gardent leurs employés ; cela réduit la variabilité de l’emploi. Enfin, ce modèle a des implications sur la composition du chômage. Lindbeck et Snower (1988b) indiquent que « les taux de chômage sont comparativement plus élevés pour les individus qui ont connu peu de stabilité dans leurs emplois précédents ». Nous trouvons donc une explication aux taux de chômage relativement élevés dans la population jeune, féminine ou encore parmi divers groupes minoritaires 161 .

La théorie des insiders-outsiders et celle du salaire d’efficience proposent des explications du chômage involontaire différentes ; cependant, elles sont plus complémentaires qu’incompatibles dans la mesure où le volume du chômage involontaire « dépend sans doute de ce que les entreprises sont prêtes à consentir et de ce que les travailleurs sont prêts à accepter » 162 .

Notes
158.

Lindbeck A. et Snower D.J. (1985), « Explanations of unemployment », Oxford Review of Economic Policy, spring. Idem (1986), « Wage setting, unemplyment and insider-outsider relations », American Economic Review, may. Idem (1988a), « Cooperation, Harassment and Involuntary Unemployment: An Insider-Outsider Approach », American Economic Review 78: 167-188. Idem (1988b), The Insider-Outsider Theory of Employment and Unemployment, Cambridge: MIT Press.

159.

Abraham-Frois G., (1995), Dynamique Economique, Dalloz, 8ème Edition, Paris.

160.

Idem.

161.

Lindberck A. et Snower D.J. (1985), « Explanations of unemployment », Oxford Review of Economic Policy, spring.

162.

Idem.