Conclusion

Le marché du travail est le lieu où se concrétise l’échange entre l’offre de travail des ménages et la demande de travail des entreprises. En concurrence parfaite, et lorsque les grandeurs nominales sont parfaitement flexibles, le prix du travail (le salaire réel) s’ajuste pour assurer le plein emploi. Si l’offre d’emploi est excédentaire, les travailleurs sans emploi proposent leurs services pour un salaire inférieur à celui des travailleurs en place. Si au contraire, la demande d’emploi est excédentaire, les entreprises peuvent augmenter l’offre en proposant de meilleures rémunérations. Ce schéma théorique où le chômage n’apparaît jamais ne permet pas d’expliquer la persistance dans le temps de demandes d’emploi non satisfaites.

Deux amendements ont été apportés au cadre walrasien d’équilibre concurrentiel pour mieux rendre compte de la réalité du fonctionnement du marché du travail. Tout d’abord, en raison de coûts d’ajustement (coût de catalogue,...) ou de réglementations (contrats valables sur une période fixe), les prix, les salaires et l’emploi ne peuvent s’ajuster instantanément aux modifications de l’environnement économique. Les interactions entre les différentes sources d’inertie structurelle de l’économie, en particulier celles du marché du travail mais aussi du marché des biens et des capitaux, peuvent expliquer la rigidité des salaires réels et la persistance du chômage à moyen terme.

Une seconde manière de rendre la représentation du marché du travail plus réaliste consiste à identifier les éléments du processus de fixation des salaires susceptibles d’éloigner l’économie de l’équilibre walrasien sous-jacent. L’élément central de cette approche est que le pouvoir de négociation des salariés ayant un emploi est supérieur à celui des demandeurs d’emploi. Ainsi, à l’équilibre, le salaire se fixe à un niveau supérieur de celui de l’équilibre concurrentiel. Le chômage est alors en partie le reflet de l’incapacité des demandeurs d’emploi à faire pression sur les salaires des travailleurs en place. Les salaires s’avèrent alors peu sensibles au taux de chômage.

Trois théories peuvent expliquer une telle situation : la théorie du salaire d’efficience, la théorie des insiders et ousiders et les modèles d’appariement entre offres et demandes de travail.

Selon la théorie du salaire d’efficience, les entreprises disposent d’une information imparfaite sur les caractéristiques et les intentions des travailleurs. Elles sont alors prêtes à payer un salaire élevé pour attirer et conserver les meilleurs salariés, et pour inciter ceux-ci à travailler efficacement. Le chômage qui résulte d’un niveau de salaire supérieur à celui compatible avec le plein emploi, renforce en retour l’incitation à l’effort pour les travailleurs ayant un emploi. Ceux-ci ne sont pas directement à l’origine du niveau et de la rigidité des salaires, puisque ce sont les entreprises qui fixent les rémunérations. Dans ce cadre théorique, les caractéristiques du marché du travail qui «  protègent » les salariés contre le risque de licenciement réduisent l’incitation individuelle à travailler efficacement et poussent les entreprises à proposer des salaires plus élevés. Les dispositions permettant aux entreprises d’avoir plus d’information et de mieux sélectionner les travailleurs embauchés (comme par exemple la durée des périodes d’essai) jouent dans l’autre sens.

La théorie des insiders-outsiders s’intéresse au pouvoir de négociation des travailleurs ayant un emploi (les insiders) relativement à ceux qui n’en ont pas (les outsiders). Ce pouvoir vient du fait que les entreprises n’ajustent pas l’emploi immédiatement, ceci pour plusieurs raisons. Il peut exister des contraintes administratives sur les licenciements. Par ailleurs, l’ajustement de l’emploi a un coût. Des indemnités sont versées en cas de licenciement et le recrutement nécessite un effort de recherche et de formation de la part des entreprises. Tous ces éléments limitent la substituabilité entre les insiders et les outsiders. Les premiers usent de leur situation pour obtenir des augmentations de salaires plutôt que des embauches nouvelles. De leur côté, les outsiders doivent proposer des salaires nettement plus faibles pour espérer intéresser les entreprises. L’existence de revenus de remplacements généreux peut conduire les outsiders à préférer rester sans emploi.

Lorsque la représentation des insiders est collective, le résultat de la négociation dépend de l’objectif des représentants du personnel. A moins que les syndicats ne visent exclusivement la résorption du chômage, et donc négocient une baisse du salaire ramenant à l’équilibre walrasien, les négociations collectives conduisent à un niveau de salaire supérieur au niveau d’équilibre. Le pouvoir de négociation des syndicats vient, comme précédemment, des coûts d’ajustements de l’emploi que supportent les entreprises, mais il est renforcé par le droit syndical, notamment la menace de faire grève. Le rôle et le pouvoir des syndicats sont donc susceptibles de rendre les salaires moins sensibles au déséquilibre sur le marché du travail.

Enfin, le comportement des outsiders, essentiellement l’intensité avec laquelle ils recherchent du travail, est au coeur des modèles d’appariement. La générosité des allocations chômage, la durée de chômage, mais aussi les contraintes à la mobilité sont autant de facteurs susceptibles de diminuer l’intensité de la recherche d’emploi des chômeurs. En conséquence, la position des insiders est moins disputée que ne l’indique le niveau du chômage.

Si les éléments caractérisant le fonctionnement non concurrentiel du marché du travail font partie des explications potentielles de la persistance du chômage à long terme, ils s’accompagnent aussi d’une moindre sensibilité des salaires au déséquilibre sur le marché du travail (chômage), et certains d’entre eux à un ajustement plus lent de l’emploi à l’activité. Ils sont donc susceptibles d’expliquer la rigidité des salaires et de l’emploi.

Cette brève présentation des différents courants de la pensée économique va nous permettre d’avoir une assise plus solide pour examiner les problèmes contemporains du marché du travail au Cambodge. Le chapitre suivant présente donc une analyse détaillée du marché du travail cambodgien. L’objectif du chapitre consiste principalement à caractériser le marché du travail au Cambodge tout en utilisant les enseignements théoriques présentés dans le chapitre II de la thèse. Nous présentons également un aperçu détaillé des changements qui se sont produits sur le marché du travail, en mettant l’accent sur la façon dont ces changements sont répartis au sein de la population et de l’économie. Enfin, nous résumons nos principales constatations dans la dernière section.