3 – Analyses du chômage

Le chômage représente l’ensemble des personnes sans emploi, disponibles pour travailler et qui sont effectivement à la recherche d’un emploi. Certains auteurs le définissent comme la situation de tout travailleur qui, ne pouvant et voulant occuper un emploi soumis à un contrat de travail, se trouve sans travail et dans l’impossibilité, par suite de l’état du marché du travail, d’être occupé dans un tel emploi 205 . Au Cambodge, les chômeurs (Unemployed Population) sont des personnes qui, pendant au moins 6 mois durant les 12 derniers mois précédant l’enquête, ne travaillent pas mais sont disponibles pour un travail et sont à la recherche d’un emploi 206 (voir les définitions générales au dessus).

En pratique, le taux de chômage d’une population se définit par rapport à la population active 207 .

La plupart des enquêtes ou recensements font référence explicitement ou implicitement à un chômage conventionnel, conceptuellement proche de celui qui est appréhendé par les définitions internationales de l’Organisation Internationale du Travail 208 . Cette catégorie intègre les individus qui n’ont pas d’emploi principal ou secondaire, qui accepteraient de travailler dans n’importe quelle situation et à n’importe quel taux de salaire (non nul) et qui recherchent effectivement un emploi. Il s’agit ici, dans notre analyse, des individus qui se sont déclarés « sans emploi principal, sans activité secondaire », et qui recherchent du travail, soit à cause d’une perte d’emploi, soit à cause d’une première insertion sur le marché du travail. On constate qu’il s’agit d’une main-d’oeuvre employable dont la non participation au marché du travail n’est pas un acte de libre choix.

Tableau 25 : Taux d’emploi et Taux de chômage selon sexe, 1998
Sexe Population active Population active occupée Taux d’emploi Chômeurs Taux de chômage Total
Homme 2483649 2260232 44,16% 223417 4,37% 48,53%
Femme 2634230 2584464 50,50% 49766 0,97% 51,47%
total 5117879 4844696 94,66% 273183 5,34% 100,00%

Source : Recensement Général de la Population, 1998, calculé par l’auteur.

En fait, certaines personnes exercent une activité secondaire et/ou principale tout en recherchant un autre travail pour les mêmes motifs que précédemment, et ne sont pas considérées comme chômeurs au sens du recensement de 1998. Des personnes qui généralement ont perdu leur emploi et se sont engagées dans des activités à leur propre compte ne sont pas non plus chômeurs. Des personnes qui, n’ayant jamais travaillé, estiment que l’emploi occupé n’est pas approprié compte tenu de leurs compétences, des personnes qui n’ont pas de travail pour d’autres motifs sont considérées comme chômeurs.

Par ailleurs, de nombreux individus n’ont aucune activité et ne recherchent pas d’emploi. Logiquement, ils n’appartiennent pas à la population active. En réalité certains d’entre eux veulent travailler, mais ne font aucune recherche pour des motifs particuliers : il n’existe pas d’emploi, difficulté de trouver un emploi sans qualification, intention de faire du commerce lorsque le capital sera disponible, en attente de réponse à une demande, etc. on constate que ce sont des demandeurs potentiels de travail qui intégreraient la population active si les conditions du marché de travail se modifiaient. Il s’agit de chômeurs marginaux.

Nous rappelons que les chiffres qui représentent le nombre de chômeurs dans notre analyse ci-dessous ne s’appuient que sur la définition donnée par le recensement général de la population de 1998 209 . Certaines critiques sont possibles sur ce point de vue.

Le taux d’emploi est très élevé et le phénomène du chômage reste significatif. Si on se réfère au recensement de 1998, le chômage de la population active était de l’ordre de 5,34 % (tableau 26). En milieu urbain ce taux de s’élève à 9 %. En fait, plusieurs explications peuvent être avancées pour ce faible taux de chômage. Premièrement, le recensement sous-estime en général les taux de chômage, même en milieu urbain. Deuxièmement, le niveau relativement élevé du taux de chômage actuel au Cambodge (si l’on prendre en compte le critère au sens de l’OIT) est le reflet du contexte macroéconomique du pays, marqué par une récession économique, et par une croissance pauvre en création d’emplois. Troisièmement, la baisse de la productivité du secteur agricole, liée à la sécheresse, favorise la migration des ruraux vers les centres urbains. Quatrièmement, l’inadaptation du système éducatif cambodgien au marché du travail est un autre élément important expliquant le déséquilibre entre les aspirations et les possibilités d’emploi. En effet, le contenu des programmes et les méthodes d’enseignement s’adaptent mal aux besoins du développement économique et social du pays. De ce fait, les demandeurs d’emploi sur le marché du travail ne présentent pas toujours les qualifications demandées.

Tableau 26 : Taux d’emploi et taux de chômage, par sexe, par localisation et par tranche d’âge, 1998
Tableau 26 : Taux d’emploi et taux de chômage, par sexe, par localisation et par tranche d’âge, 1998

Source : Recensement Général de la Population, 1998, calculé par l’auteur.* Données simplifiées
Remarque: Dans notre calcul, taux d’emploi et taux de chômage sont calculés par rapport à la population active totale, et non par rapport à la population totale.
Exemples de calculs :
Taux d’emploi = population active occupée / population active = 94,66%
Taux de chômage = population au chômage / population active = 5,34%
Taux d’emploi des femmes en milieu urbain = nombre de femmes occupées en milieu urbain / nombre de femmes actives en milieu urbain = 87,82%
Taux de chômage urbain = nombre de chômeurs en milieu urbain / population active masculine en milieu urbain
Taux d’emploi [15-19] = population active occupée [15-19] / population active [15-19] = 81,46%
Taux de chômage [15-19] = nombre de chômeurs [15-19] / population active [15-19] = 18,54%

Constatons par ailleurs que les femmes éprouvent davantage de difficultés pour trouver un emploi, et particulièrement en milieu urbain. Le taux de chômage féminin total atteint environ 6 % contre seulement 5 % pour les hommes. En milieu rural, les taux de chômage féminin et masculin présentent la même configuration, alors qu’en milieu urbain, le taux de chômage féminin (12,18%) est deux fois plus élevé que le taux de chômage masculin (6,69%). La raison tient au fait que les femmes ont des difficultés à s’intégrer au marché du travail urbain, faute de l’abondance des travailleurs masculins.

Tableau 27 : Taux d’emploi et taux de chômage de la population active âgée de 15 ans et plus, par sexe et par situation familiale, 1998
Sexe Célibataires Mariés Veufs Divorcés Séparés Total
Taux d’emploi
Hommes 53,39 95,93 59,32 78,63 80,91 81,21
Femmes 63,10 79,42 63,65 81,11 86,60 73,49
H + F 58,12 87,43 63,17 80,73 85,48 77,40
Taux de chômage
Hommes 14,75 1,77 3,52 6,28 6,50 4,64
Femmes 13,97 3,29 3,75 4,95 4,18 5,84
H + F 14,34 2,48 3,72 5,15 4,62 5,26

Source : Recensement Général de la Population, 1998, recalculé par l’auteur.
Taux d’emploi des célibataires = population active occupée (célibataires) / population active totale (célibataires), exclus les [7-14] ans.
Taux de chômage (célibataires) = nombre de chômeurs (célibataires) / nombre de la population active totale (célibataires).

Le tableau 27 montre un taux d’emploi élevé chez les personnes mariées. Les hommes et les femmes célibataires sont les plus vulnérables sur le marché du travail en termes de chômage. Ainsi, les taux de chômage des hommes et des femmes célibataires sont respectivement de 14,75% et 13,97%. Ce résultat ne doit pas surprendre étant donné l’importance relative des diplômés ayant ce statut matrimonial. Les développements ultérieurs permettront de mieux spécifier ce phénomène.

Selon l’enquête, le taux d’emploi des femmes « séparées » est légèrement plus élevé que celui des femmes récemment mariées. La situation est inversée pour les hommes dans la même situation familiale. Le taux d’emploi des hommes séparés est relativement plus faible par rapport au taux d’emploi des hommes récemment mariés. La raison tient peut-être au fait que les hommes se retrouvent séparés de leur conjointe du fait qu’ils sont sans travail. Le tableau 27 confirme cette idée, les femmes et les hommes séparés sont en effet relativement plus nombreux en situation de chômage que les femmes et les hommes mariés (voir le tableau 27).

Tableau 28 : Taux de chômage et alphabétisation, par tranches d’âges, 1998
Tranche d’âge Nombre de chômeurs Taux de chômage
Nombre de chômeurs et pourcentage de l’alphabétisation
Analphabètes (%) Alphabètes (%) Sans réponse (%)
07 – 14 8 289 10,43% 3 856 46,52% 4 356 52,55% 77 0,93%
15 – 19 100 454 18,54% 31 973 31,83% 68 197 67,89% 284 0,28%
20 – 24 54 028 7,42% 12 902 23,88% 40 938 75,77% 188 0,35%
25 – 29 35 938 3,78% 8 030 22,34% 27 738 77,18% 170 0,47%
30 – 34 21 361 3,98% 6 417 30,04% 14 855 69,54% 89 0,42%
35 – 39 15 258 2,41% 5 523 36,20% 9 656 63,28% 79 0,52%
40 – 44 9 447 2,12% 3 175 33,61% 6 255 66,21% 17 0,18%
45 – 49 7 817 1,88% 2 724 34,85% 5 069 64,85% 24 0,31%
50 – 54 5 624 2,38% 2 410 42,85% 3 170 56,37% 44 0,78%
55 – 59 5 238 2,58% 2 763 52,75% 2 440 46,58% 35 0,67%
60 – 64 4 459 2,73% 2 660 59,65% 1 731 38,82% 68 1,53%
65 et plus 5 270 2,94% 3 359 63,74% 1 849 35,09% 62 1,18%
Total 273 183 5,34% 85 792 31,40% 186254 68,13% 1137 0,42%

Source : Recensement Général de la Population, 1998, calculé par l’auteur.
Pourcentage de chômeurs analphabètes = nombre de chômeurs analphabètes / nombre de chômeurs
Pourcentage de chômeurs alphabètes [15-19] = 68197/100454 = 67,89%
Taux de chômage [15-19] = nombre de chômeurs [15-19] / population active de la même tranche d’âge.

Le tableau 28 confirme à nouveau les écarts de taux de chômage selon la tranche d’âge et selon le niveau d’instruction. En effet, on peut constater au Cambodge que le chômage est un phénomène qui concerne essentiellement les jeunes. En effet, nous observons un taux de chômage de 29,74% dans la tranche d’âge de 15 à 29 ans, contre 14,63% dans la tranche d’âge de 40 ans et plus (tableau 28). L’ampleur du phénomène est la même aussi bien pour les jeunes femmes que pour les jeunes hommes, même si nous constatons un chômage légèrement plus marqué pour les femmes, particulièrement dans la tranche d’âge de 30 à 39 ans.

Le taux de chômage selon le niveau d’instruction ne présente pas la même configuration. Au Cambodge, beaucoup de jeunes n’ont pas le choix et ne peuvent rester longtemps dans le système éducatif. La plupart d’entre eux décident d’entrer sur le marché du travail après leurs études primaires ou secondaires générales. La pauvreté des familles ne permet pas aux enfants de poursuivre des études supérieures. Selon le tableau 29, le risque de chômage est bien plus fort pour les personnes les moins instruites que pour les bien instruites.

Notons aussi que les différentes perspectives d’emploi en fonction du niveau d’instruction créent des attentes différentes concernant le rendement de l’investissement dans l’éducation. Ceci explique en partie la forte propension des titulaires d’une formation supérieure à entrer dans la vie active.

Tableau 29 : Taux de chômage selon le niveau d’instruction, 1998
Tableau 29 : Taux de chômage selon le niveau d’instruction, 1998

Source : Recensement Général de la Population, 1998, calculé par l’auteur.
Proportion de chômeurs sans instruction = nombre de chômeurs sans instruction / nombre de chômeurs
Taux de chômage des « primaires sans examen » = nombre de chômeurs niveau primaire sans examen / population active = 2,10%.

Le tableau 29 met également en évidence une évolution du chômage selon le niveau d’instruction. Ainsi, le taux de chômage s’élève avec le niveau d’instruction jusqu’au secondaire et chute très rapidement au niveau du supérieur. Il est vrai que les jeunes sans instruction s’insèrent plus facilement sur le marché du travail par le biais de l’apprentissage en micro-entreprise, le mode d’accès à cet apprentissage se faisant le plus souvent par le canal de la famille. Par ailleurs, les chiffres montrent également la vulnérabilité de ceux qui n’ont pas eu accès à l’enseignement supérieur. Pour les plus jeunes, il faut souligner que le taux de chômage des diplômés est relativement faible. Ce phénomène est lié au fait que le nombre de diplômés est relativement faible dans la population active.

La section suivante s’intéressera aux caractéristiques de l’inactivité. Nous analyserons l’ensemble de la population inactive selon l’âge, le sexe et selon la zone géographique. Nous aborderons également la question du travail des enfants qui est un problème très présent sur le marché du travail au Cambodge. Afin de connaître les caractéristiques du marché du travail cambodgien, une analyse du problème de migration de la main d’œuvre nous semble indispensable. Dans le point qui suit, nous offrirons donc des analyses détaillées sur ce phénomène tout en montrant les caractères nationaux et internationaux de la mobilité de la main d’œuvre au Cambodge. Nos analyses ci-dessous resteront pourtant très limitées, faute de disponibilité des données de terrain.

Notes
205.

Comte M., Besson J. L., (1989) « Les trois âges du chômage », in L'Observé Statistique, J.L. Besson, L. Abdelmalki (ed), op. cit. page 3.

206.

Selon le recensement général de la population en 1998. Cette définition n’est pas fiable dans le sens où elle ne correspond pas à la définition internationale, ce qui pose ensuite le problème de l’importance de la politique de lutte contre le chômage. Car si le taux de chômage est relativement faible, les politiques en faveur de l’emploi seront négligeables. En France, le chômage est mesuré à travers deux sources statistiques, adoptant des critères de définition différents : les statistiques mensuelles du ministère du travail et les résultats annuels de l’enquête Emploi de l’INSEE, qui adopte les critères de l’OIT.

207.

Mesurer le chômage n’est pas simple. Si on pousse plus loin la réflexion, c’est sur des analyses bien plus larges que l’on débouche : statut du travail comme fondement du lien social, pauvreté et travail, nature du concept d’exclusion, sens du terme « activité sociale », etc. Cette idée n’a pas vocation à aller aussi loin : mais ceux qui s’occupent sérieusement de ces sujets ne peuvent pas s’arrêter au seul chiffre du chômage. Le marché de l’emploi est divers et varié, le marché du non emploi l’est encore davantage…

208.

BIT(1989): Un chômeur est un individu qui remplit simultanément les trois conditions suivantes:

Cet individu n’a pas d’emploi, c’est-à-dire n’a pas effectué de travail rémunéré, pas même une heure, au cours de la semaine précédant l’enquête, dénommée semaine de référence.

Cet individu est disponible immédiatement pour travailler

Enfin, cette personne doit rechercher activement un emploi, c’est-à-dire avoir effectué un ou plusieurs actes de recherche au cours de la période de référence.

209.

Si le recensement général de la population de 1998 prenait en compte le critère du chômage au sens de l’OIT, le taux de chômage au Cambodge remonterait d’une trentaine de pourcent environ. Le critère de chômage retenu par le recensement ne correspond pas à celui de l’OIT. L’emploi détenu par un individu n’est pas forcément un emploi rémunéré. Des travailleurs familiaux non rémunérés (pour aider les activités marchandes de la famille), des travailleurs marginaux (vendeurs de rue, pousse-pousse, mototaxi, fouilleurs de poubelles…) sont considérés comme des actifs occupant un emploi et ne sont donc pas chômeurs. C’est pour cette raison que nous constatons qu’au Cambodge presque tout le monde possède un emploi, et le taux de chômage est finalement négligeable.