1 – La migration nationale

Beaucoup d’indices montrent que l’exode rural à l’intérieur du Cambodge prend de l’ampleur à cause de la pénurie de terres agricoles et de la pauvreté en milieu rural. Pourtant, on ne dispose pas de données globales concernant cet exode 221 . La comparaison entre les données du recensement de la population de 1998 et les données de l’enquête démographique de 1996 nous offre un moyen direct pour estimer les tendances récentes de la migration nationale de la population, particulièrement l’exode rural.

Tableau 36 : les immigrants provenant des zones rurales, 1996-1998
Enquête démographique de 1996 Recensement de la population de 1998 Changement en deux ans
Emigrants ruraux récents 634 786 881 439 38,9%
Emigrants très récents 172 305 273 534 58,7%

Source : CDRI, 2001, reprise par l’auteur.
Changement = ( 881439 – 634786)/ 634786 = 38,9%

L’exode rural vers les villes ou/et vers d’autres zones rurales, est en constante augmentation. Le recensement de 1998 montre qu’au total 881 400 personnes ont quitté une région rurale au cours des 5 années précédent la date du recensement. Comme le montre le tableau 36, parmi ces dernières, au moins un tiers (soit 31%) s’est déplacé au cours des douze derniers mois.

Tableau 37 : Pourcentages de la population totale : les « arrivants récents » et les « arrivants très récents », 1996 et 1999
  Enquête démographique en 1996 Recensement de la population en 1998
En zone rurale
Arrivants récents 1,88 2,44
Arrivants très récents 6,93 8,10
En zone urbaine
Arrivants récents 3,59 7,12
Arrivants très récents 13,84 22,44

Source : CDRI, 2001, reprise par auteur.

Dans l’enquête démographique de 1996, on a estimé que 634 700 personnes s’étaient déplacées des zones rurales vers d’autres endroits du pays au cours des cinq années précédentes. Parmi elles, 27% se sont déplacées au cours des douze derniers mois. Cette analyse montre une accélération de l’exode rural. Bien que la proportion de la population rurale dans la population totale décroisse graduellement, il existe toujours des mouvements de population. Ceci nous permet de conclure que la population rurale a tendance à se déplacer, si nécessaire, pour trouver une nouvelle source de revenus plus confortable.

Figure 22 : Pourcentages de la migration intra-nationale : rural-rural, rural-urbain, urbain-urbain, et urbain-rural, en 1998
Figure 22 : Pourcentages de la migration intra-nationale : rural-rural, rural-urbain, urbain-urbain, et urbain-rural, en 1998

Source : GPCC, 1998, recalculé par l’auteur.

Les données montrent également que les personnes qui ont quitté leur village, tendent à se déplacer vers des endroits très éloignés de leur village natal, dans les autres provinces du pays. Les immigrants interprovinciaux que l’on retrouve dans la population « immigrants récents », sont les habitants des zones rurales. Le nombre de ces immigrants interprovinciaux a augmenté considérablement de 37% en 1996 à 44% en 1998. Cette tendance est particulièrement frappante dans le cas des « immigrants très récents » qui passe de 41% en 1996 à 51% en 1998 (pour les immigrants interprovinciaux).

Dans les pays pauvres, il est généralement observé une mobilité de la main d’œuvre vers les villes ; pourtant, au Cambodge, la majorité des immigrants ruraux ne se déplacent pas vers les villes. Plus de la moitié des personnes qui ont quitté leur village un an avant la date de recensement, se sont déplacés vers d’autres zones rurales ; c’est un exode rural vers le rural (voir figure 22).

La conséquence de cette mobilité de la main d’œuvre est une surpopulation en milieu urbain, et dans certains milieux ruraux, en constante augmentation. Une comparaison entre 1996 et 1998 sur les arrivants récents et très récents dans la population totale montre également que dans les zones rurales, la proportion des nouveaux entrants augmente sans cesse (cf. tableau 37).

En 1996, on a estimé que les « les immigrants très récents » représentaient moins de 2% de la population rurale, et les « immigrants récents » 7%. En 1998, ces taux passait à 2% et 8%.

Les données du recensement sur la migration au niveau provincial montre aussi que la migration interne au Cambodge prend sa source principale dans quelques provinces. En 1998, plus de la moitié des immigrants récents proviennent de cinq provinces. Quatre d’entre elles sont les provinces ayant la plus forte densité de population. Il s’agit des provinces de Kompong Cham, Prey Veng, Kandal et Takeo, toutes situées autour de la capitale Phnom Penh.

Selon l’enquête socio-économique de 1997, ces provinces se caractérisent principalement par des exploitations agricoles dont la taille moyenne est relativement petite (moins d’un hectare pour trois provinces et environ un hectare pour les deux autres).

Les données du recensement sur les migrations « province-province » nous permettent d’identifier des provinces ciblées par les immigrants interprovinciaux. En 1998, cinq provinces recevaient plus de 60% des immigrants interprovinciaux. Phnom Penh reste la destination principale en recevant environ un tiers des immigrants interprovinciaux suivi par Kandal, Banteay Meanchey et Koh Kong. Il faut par ailleurs noter que les deux provinces rurales de Koh Kong et Banteay Meanchey ont un caractère spécifique lié à leur activité agricole. La taille moyenne des fermes dans ces deux provinces est plus grande qu’ailleurs. Ce sont également les deux provinces ayant la densité de population la plus faible du pays, et plus important encore, elles ont connu très peu de changement en terme d’immigration interprovinciale comparé à la période de 1969.

Les adultes et les jeunes adultes constituent une partie importante des immigrants mais de manière disproportionnelle. 30% des immigrants très récents sont des adultes et jeunes adultes. Les jeunes adultes (âgés de 25 à 29 ans) représentent moins de 8% de la population totale mais sont plus de 13% chez les nouveaux immigrants. De plus, les enfants très jeunes, moins de cinq ans, qui se sont déplacés avec leurs parents, comptent pour 9% dans cette population immigrante.

Il faut noter que les hommes représentent moins d’un tiers du nombre total des immigrants. Pourtant, ceux-ci sont plus nombreux que les femmes dans la tranche d’âge de 20-29 ans. La réalité montre que la composition des flux migratoires est très variée. Par exemple, vers Phnom Penh, les femmes représentent 56% des immigrants très récents. Cela s’explique par l’ouverture d’entreprises de confection textile et de chaussures dans la ville qui ont attiré beaucoup de femmes des zones rurales en 1997 et 1998. Au contraire, les hommes sont majoritaires (60%) au sein des immigrants très récents qui se déplacent vers les provinces de Preah Vihear, Oddor Meanchey et Mondulkiri. Pour les deux premières provinces, la proportion d’hommes dans les flux migratoires atteint plus de 80%. Cela suggère l’idée d’un grand déplacement d’hommes célibataires, capables d’être enrôlés dans les camps militaires situés aux frontières entre 1997 et 1998.

Parmi les immigrants qui ont quitté leur village moins d’un an avant la date du recensement, 29% affirmaient que la motivation principale de leur déplacement était la recherche d’un emploi mieux rémunéré. 25% d’autres reconnaissait la nécessité de nourrir leur famille. Chez les hommes comme chez les femmes, les motivations sont les mêmes, sauf que plus de femmes se déplacent pour des raisons familiales et beaucoup d’hommes se déplacent pour des besoins d’éducation ou pour se marier.

La migration vers la ville ne brise pas les liens familiaux. La plupart des familles à bas revenu ont un pied sur les deux marchés du travail, rural et urbain. En fait, de nombreux ouvriers occasionnels travaillent une partie de l’année dans les régions urbaines loin de chez eux, mais retournent à la terre pendant la haute saison ; si l’emploi urbain devient plus rémunérateur, ils peuvent revenir chez eux plus rarement, mais envoient l’argent pour faire vivre leur famille. A mesure que le revenu national progresse, la part du budget des ménages affectée à la nourriture diminue, et ce fait, associé à une productivité accrue, provoque un déclin structurel de longue durée dans l’emploi agricole.

Ce changement conduit à une croissance rapide des établissements humains dans les zones urbaines, ainsi qu’au développement de l’économie informelle, qui exercent des pressions économiques et sociales considérables sur les familles et les communautés de nombreux pays en développement 222 . La discrimination fondée sur le sexe, l’âge, l’origine ethnique ou le handicap signifie aussi que les groupes les plus marginalisés sont poussés vers l’économie informelle. Ils sont vulnérables au harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, et à d’autres formes d’exploitation et d’abus, comme la corruption. L’un des problèmes majeurs, pour la plupart des travailleurs et des petites entreprises de l’économie informelle, est leur incapacité à faire reconnaître leurs droits sur leurs biens, ce qui les prive de tout accès au capital et au crédit.

Notes
221.

Ni l’enquête démographique de 1996, ni le recensement de la population de 1998 n’ont directement pris en compte cet exode rural. Les données de ces enquêtes ne concernaient que les derniers mouvements de population. Les immigrants, dans ces enquêtes, étaient classés par durée de séjour dans un endroit spécifique avec une strate d’un an à cinq ans (ce sont les deux périodes de référence que l’on utilise couramment). Ici, nous reprenons ces périodes de référence. Pour faciliter l’analyse, les personnes qui habitent un endroit moins d’un an seront appelées “ immigrants les plus récents” et les personnes qui restent moins de cinq ans seront appelées “ immigrants récents”.

222.

BIT: « Cities at work : Promoting employment and social inclusion in urban settlements in developing countries », document d’information générale préparé pour la session extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies consacrée à « Istanbul+5 », 6-8 juin 2001.