Conclusion de la partie II

Certains pays ont réussi à créer des emplois, et des emplois lucratifs, pour un grand nombre de personnes. Cependant, si l’on se place dans une perspective cambodgienne, on ne peut que constater l’échec des politiques du passé qui n’ont pas suffisamment permis la création de meilleurs emplois ni assuré la prospérité pour un assez grand nombre de personnes. Au Cambodge, la décennie écoulée a été une décennie perdue pour la création de nouveaux emplois rémunérés. Les personnes dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté, fixé à un dollar des Etats-Unis par jour, sont au nombre de 5 millions, soit 36% de la population totale. Les autres personnes pauvres sont le plus souvent les membres de la famille de ces travailleurs à faibles revenus ou des personnes à leur charge. Le disfonctionnement du marché du travail et de l’emploi au Cambodge tient à l’insuffisance des politiques du marché du travail, à la croissance pauvre en emplois, à la faiblesse du secteur privé et de la productivité, ainsi qu’au bas niveau des revenus et à la pauvreté :

La croissance économique nationale n’a pas été constante et s’est révélée décevante en terme de création d’emplois ; à cela plusieurs raisons. L’importance fondamentale de l’emploi dès lors qu’il s’agit d’assurer la prospérité du plus grand nombre n’a pas toujours été bien comprise. De ce fait, le Cambodge semble négliger le rôle des ressources humaines dans la croissance économique. La politique sociale a été considérée comme un fardeau pour l’économie, ou encore comme une politique de distribution des ressources existantes dans un jeu sans gain. C’est pourquoi les politiques dans les domaines de l’éducation et de la formation, de la santé et de la sécurité, du dialogue social, ou encore de la protection sociale -qui peuvent et devraient jouer un rôle dynamique à l’appui d’une politique économique davantage orientée vers la croissance - n’ont pas été infléchies dans ce sens. Une autre raison tient à des relations insatisfaisantes entre travailleurs et employeurs sur le marché du travail qui nuisent aux performances de l’économie et à la création d’emplois. En outre, les différentes stratégies proposées par la communauté internationale (les bailleurs de fonds) n’ont pas toujours été compatibles dans leurs répercussions sur la production, la croissance de l’emploi et la réduction de la pauvreté. L’économie fonctionne comme un ensemble de relations interdépendantes qui sont diversement affectées par les politiques économiques et sociales. Souvent, cependant, ces politiques ne sont pas coordonnées au-delà de leurs buts spécifiques, et elles ne tiennent pas compte de leur impact sur les aspects de l’économie qu’elles ne visent pas directement. De fait, l’emploi n’a pas été considéré comme un objectif primordial, que ce soit dans les stratégies macroéconomiques ou dans les stratégies de développement. De plus, la structure de l’économie mondiale a changé rapidement, et le Cambodge n’est pas préparé à tirer avantage de ces changements.

Au-delà de la pénible réalité de la pauvreté, le Cambodge connaît des difficultés majeures qui compromettent la bonne gouvernance de l’économie nationale. C’est ainsi que le pays risque d’être pris au piège de la stabilisation. Il a réduit son taux d’inflation et son déficit budgétaire, mais il reste incapable à transformer ces bons résultats au niveau macroéconomique en de nouveaux emplois à la productivité plus forte et en hausse. Il ne peut donc pas assurer le taux de croissance nécessaire à une augmentation substantielle des gains des travailleurs. Cela tient pour une large part à ce que les autorités cambodgiennes ne parviennent ni à stimuler les investissements des entreprises, ni à améliorer le niveau de compétence de leur main-d’œuvre et échapper ainsi au piège de la stabilisation. En outre, les moyens budgétaires ne sont pas suffisants pour atteindre un niveau de dépenses publiques qui complèterait les investissements du secteur privé. Les recettes sont souvent insuffisantes pour financer les programmes sociaux nécessaires. Sans ressources extérieures supplémentaires, le Cambodge ne peut sortir de ce cercle vicieux.

Dans un pays comme le Cambodge, les changements (systémiques) internes, la stabilisation macroéconomique, la rupture des liens entre les entreprises et la faiblesse du secteur privé, la forte augmentation du prix de l’énergie et d’autres intrants matériels, le mauvais état des infrastructures, ainsi que les chocs externes ont entraîné une crise profonde qui marque la transition. Le Cambodge est encore loin du plein emploi. Beaucoup d’entreprises ne sont guère rentables. Le niveau élevé de la corruption et le dysfonctionnement du système administratif encouragent le passage au secteur informel et réduisent les liens formels avec l’emploi. Les politiques de l’emploi et les politiques économiques et sociales en général, manquent de cohérence. En outre, la main-d’œuvre est très peu mobile et les politiques du marché du travail sont trop orientées vers la réduction de l’offre de travail (politique démographique du pays) et pas suffisamment vers la formation de reconversion. A la base, les contraintes qui pèsent sur la croissance de l’emploi tiennent aux difficultés inhérentes à la promotion des investissements et des nouvelles entreprises créatrices d’emplois, et à l’élaboration et au financement de politiques du marché du travail et de programmes efficaces dans ce domaine.

La mauvaise gouvernance globale a aussi pesé sur la création d’emplois et la réduction de la pauvreté. L’écart des revenus entre les populations les plus riches et les populations les plus pauvres se creuse, ce qui aura des conséquences imprévisibles, et, globalement, la croissance a été lente et instable. L’instabilité financière a été un obstacle supplémentaire au développement.

Dans l’état actuel de l’économie nationale, caractérisé par l’instabilité et la faiblesse de la croissance en emploi, il faut un projet fort et constructif pour l’avenir si l’on veut rétablir la confiance. Un premier élément important sera l’identification du potentiel de croissance économique que recèle une meilleure intégration de la main-d’œuvre actuelle et future dans un emploi productif. Aujourd’hui même, des milliers de travailleurs peuvent être mobilisés pour effectuer un travail plus productif, et obtenir de plus hauts revenus. Au cours des dix années à venir, des milliers de personnes viendront s’ajouter à la population active nationale ; des jeunes ayant suivi des études plus poussées, mieux formés et prêts à travailler, vivant pour 60 % d’entre eux dans les zones rurales.

Créer des emplois, et des emplois plus productifs, pour des milliers d’hommes et de femmes au cours des dix années à venir, c’est là le grand défi que doit relever le gouvernement cambodgien, les partenaires sociaux, la société civile et le système multilatéral.

Une condition essentielle pour que le potentiel de croissance économique et de prospérité se réalise est que les politiques économiques et sociales soient centrées sur l’emploi productif. Une productivité accrue stimule l’emploi et renforce la qualité de l’emploi de deux manières : premièrement, les salaires réels s’en trouvent durablement améliorés et la demande globale augmente ; deuxièmement, le risque de pressions inflationnistes est réduit, ce qui laisse une plus grande marge de manœuvre pour adopter une politique de demande orientée vers la croissance. Puisque c’est par un bon fonctionnement du marché du travail (les information du marché, les services de l’emploi, les réglementations du marché du travail…), et par le secteur privé que des emplois productifs sont créés, les politiques gouvernementales doivent s’orienter davantage vers des mesures directes sur le fonctionnement du marché du travail, encourager les initiatives privées et renforcer toutes les activités sectorielles, particulièrement le tourisme. Les politiques gouvernementales doivent également forcer le changement et la croissance de la productivité, tout en assurant une gestion socialement responsable de cette évolution. Pour parvenir à un tel équilibre entre flexibilité et sécurité, les politiques doivent être réorientées vers des stratégies privilégiant l’investissement dans les ressources humaines, et le développement des infrastructures physiques.