I. Introduction

« Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible »
Gérard de Nerval

« Tout ce que nous voyons ou croyons n'est qu'un rêve dans un rêve »
Edgar Alan Poe

Les rêves constituent l’un des grands thèmes de la psychanalyse. Ils nous invitent à voyager et à explorer la vérité la plus profonde de l’être humain. Ils révèlent nos désirs cachés, nous interrogent, nous permettent d’obtenir des réponses, développent nos fantasmes et nous font découvrir le chemin des émotions, comme la peur, l’angoisse, et nous plongent dans la connaissance complexe de nous-mêmes.

Les phénomènes groupaux et la possibilité de faire du groupe un champ thérapeutique sont un autre sujet approfondi par les psychanalystes et en constante évolution.

Dès la naissance, nous sommes « constitués » à l’intérieur d’un groupe, sans lequel nous ne pourrions pas survivre. Puis la vie nous amène à traverser différents groupes qui nous soutiendront.Le psychisme est donc habité par ces différents groupes qui le façonneront.

Tout au long de notre vie, les groupes auxquels nous participerons vont mobiliser ces premiers apprentissages ainsi que l’imaginaire onirique présent dans chacun de nos liens. L’imaginaire groupal ainsi créé par cette double mobilisation sera mis en circulation dans chaque groupe à travers des transferts multiples qui s’y déploient et s’y complexifient.

Nous passons environ un tiers de notre vie à dormir et selon les recherches, les périodes de rêves comprennent 20% du temps du sommeil. Notre vie s’écoule donc entre les rêves et les groupes, en nous comme hors de nous.

Selon la pensée courante, les rêves sont par excellence le domaine de la vie intime des individus et les groupes sont considérés du domaine de l’espace public. Du point de vue psychanalytique, ce sont les rêves qui donnent accès au sujet de l’inconscient et qui témoignent de son existence tandis que les groupes permettent de cerner la dimension inconsciente du sujet du groupe.

Lorsque les rêves reçoivent l’écoute des groupes, ce rapprochement entre le rêve et le groupe, entre ce qui semble intime et ce qui semble public, cette rencontre, à mes yeux, nous donne l’occasion d’accéder de manière privilégiée au sujet du lien, intersection du sujet de l’inconscient et du sujet du groupe.

Nous constatons alors que le monde imaginaire onirique du sujet dans les liens est déployé selon une structure groupale qui s’incarne dans la présence réelle d’autres sujets. Lorsque l’espace du rêve et l’espace du groupe se juxtaposent et se conjuguent nous assistons à une possible articulation et corrélation entre ces trois dimensions du sujet : le sujet assujetti à l’inconscient, le sujet inscrit dans des groupes qui le façonnent et façonnés par lui et le sujet conçu dans et par des liens qui le rêvent avant sa naissance et au cours de sa vie. Même si l’assemblage de ces trois dimensions au niveau de l’inconscient est de fait permanent dans la vie psychique du sujet, un dispositif qui présente et active sous nos yeux ces dimensions « simultanément » me semble capital comme axe support de cette recherche.

Rappelons que, déjà dans la lettre 52 de S. Freud à W.Fliess, (6-12-1896) celui-ci explique la simultanéité :

‘« Percp. S. constitue le premier enregistrement des perceptions, tout à fait incapable de devenir conscient et aménagé suivant les associations simultanées » 1

L’association par simultanéité temporo-spatiale est la forme, la plus précoce, d’associations entre les traces mnésiques.

Cet effet de simultanéité nous le retrouvons aussi dans le travail d’élaboration onirique décrit par S. Freud. Dans ce travail, Freud vise à approfondir les différentes relations logiques des idées latentes entre elles. Lorsque ces idées latentes ont entre elles « une cohérence logique », elles seront représentées par la « simultanéité » des représentations correspondant au scénario du rêve :

‘« (…) lorsque le contenu manifeste du rêve nous montre deux éléments proches l’un de l’autre, il nous indique ainsi l'existence d'une connexion intime entre les éléments correspondants dans les idées latentes » 2

Ce lien, d’une manière plus élaborée, se représente aussi par ressemblance. Tous les éléments du contenu manifeste sont réunis dans une synthèse du contenu latent. Cette synthèse fonctionne de la même façon que :

‘“(…) le peintre alors qu’il représente dans un tableau l’Ecole d’Athènes ou le Parnasse, réunit dans son œuvre un groupe de philosophes ou de poètes qui réellement ne se sont jamais trouvés ensemble dans l’atrium ou sur une montagne, tel que l’artiste nous le présente, mais qui constituent au niveau de notre pensée, une communauté » 3

C’est cette communauté des groupes et des rêves que je me propose d’exposer. Communauté qui, ainsi établie, demande d’analyser cet assemblage.

Il est intéressant de tenir compte que cette simultanéité présente dans l’enregistrement psychique précoce et dans l’élaboration du rêve, nous la retrouvons dans le groupe. L’une des motivations pour réaliser cette combinaison sera celle de la rendre palpable dans des dispositifs groupaux qui la saisissent et selon ma pratique un dispositif possible pour y arriver est le groupe travaillant sur la base des rêves comme une incarnation de ce travail d’élaboration des et par les rêves présentant en simultanéité des multiples espaces psychiques. Ce dispositif du groupe me semble être par là une source prolifique d’une observation minutieuse et complexe des phénomènes transitionnels et dynamiques présents dans ces deux expériences groupale et onirique.

Connaître la signification de nos rêves nous éclaire donc sur la compréhension de nos liens dans les groupes et inversement.

De plus, ces deux thèmes nous aideraient à pénétrer au cœur des questions fondamentales dans diverses cultures, tel le mystère de la vie, de la sexualité, de la mort, tout ce qui constitue le sens primordial de notre existence.

Notes
1.
2.

Freud, S.., 1900, Vol. I -  La interpretación de los sueño», chap. « La elaboración onírica », c) « Los medios de representación de los sueños », Ouvrage Complete, Edit. Biblioteca Nueva , Madrid, P. 537 (la traduction est à moi)

3.

Op. Cit. p. 537 (La traduction est à moi)