A.3.1. Le positionnement de l’analyste dans ce dispositif

Etant donné que le dispositif est une réponse de l’analyste à une demande de l’analysant, il faut assumer que notre « désir de groupe » nous convoque d’emblée et nous situe comme fondateur du cadre groupal (que se soit des groupes hétérogènement constitués ou des groupes familiaux).

Notre rôle s’installe donc dès le départ du côté du symbolique ; notre propre désir institue le groupe d’emblée. Paraphrasant P. Aulagnier, nous pouvons penser que « l’ombre parlée » par l’analyste précède et préside le groupe. Ce désir est le premier moteur du groupe, bien qu’il doive laisser la place aux désirs des analysants. Cet enjeu pour l’analyste groupal positionne plus particulièrement son rôle de garant symbolique du cadre proposé depuis son désir, cadre qui assure que le processus thérapeutique soit possible.

Dans les cas des psychopathologies actuelles sans aucune demande, quelle est l’offre proposons-nous à ces patients en tant que psychanalystes?

Pour y répondre, il nous faut insister sur la question du désir, celui de l’analyste et celui du patient qui activent en communion, la demande à partir de laquelle se déploiera le processus analytique. Cependant, lorsque le désir du patient n’apparaît pas, c’est l’analyste qui soutiendra le dispositif depuis son désir en offrant aux patients un lieu de parole. C’est le cas des patients qui s’adressent à nous « envoyés » par un médecin, une institution ou la famille, qui sont les dépositaire de l’angoisse.

Le désir de l’analyste qui doit s'offrir au désir du patient pour que son désir s'actualise (J. Lacan 1960/61) ne pourra donc pas être celui de pouvoir interpréter en premier lieu, mais celui de construire un lien « subjectivant » qui permettra au patient « non désirant » de se situer tout d’abord dans une relation entre deux sujets : analyste / analysant, La demande pourra donc être une création conjointe (cf. également S. Freud, 1937 Construction dans l'analyse). Il faudra pour ce faire, mettre en travail ce qui précèdera le surgissement du sens, ce qui donnera corps à: la figurabilité de l’analyste mise à disposition du patient. Ce travail « préliminaire » est une partie indispensable du processus thérapeutique et c’est le point de départ pour que la demande se génère. Dès que ce dispositif est offert, la demande s’y produit : participer à ces groupes pour pouvoir y travailler les propres rêves.

Deux axes de travail s’ouvrent alors pour l’analyste : d’une part, celui du choix de l’approche du groupe pour inclure la figurabilité qui se dessine à travers les rêves ; d’autre part, celui de l’analyse des rêves en soi dans leur signification singulière visant tant à résoudre les crises individuelles que les crises groupales.

Le rêveur accède à ses significations personnelles d’une façon différente que dans la cure type parce que cette dimension est mise en tension par les différents niveaux de l’ensemble groupal.

Par ailleurs, le psychodrame favorise pour le rêveur la mise en jeu de son corps en même temps qu’il permet de travailler la place particulière du porte-rêve. R. Kaës définit porte-rêve comme une fonction phorique dans le sens de représentation théâtrale du terme. Il précise que les portes-rêves sont des rêveurs du groupe. Leurs rêves sont fabriqués avec une matière première fondamentale :

‘« Les identifications et le transfert qui les mobilisent dans un scénario fantasmatique où l’autre est représenté d’avance, et surtout l’utilisation du récit du rêve dans ses effets intersubjectifs, en déterminant le contenu et la destination… (Ils) rêvent pour quelqu’un ; ils rêvent aussi « à la place » de quelqu’un, dans l’identification projective » 11

Il remarque autre chose d’important : les porte-rêves fonctionnent selon «la  logique culturelle et sociale, spécifiquement mythique, du discours » de la famille ou des institutions dont ils font partie.

Leur récit du rêve convoque le groupe, ce récit porte les fantasmes qui circulent entre les membres et véhicule les images et les scénarios où chacun pourra déployer son fantasme. C’est en cela que

‘« Le porte-rêve est à la croisée de la réalité intrapsychique des sujets et de la réalité psychique du niveau du groupe » 12

Comment pourrions-nous mettre en travail cette tension entre le niveau du groupe et le niveau intrapsychique ? Quelles sont les conditions de figurabilité groupale qui permettent au porte-rêve le développement de cette double dimension? Comment l’analyste peut-il travailler ses interprétations afin qu’elles puissent restituer au groupe et aux individus du groupe ce point d’intersection entre l’inter et l’intrapsychique ?

Y a-t-il diverses manières de comprendre le rêve dans les groupes ?

Pour avancer sur ces questions, je vais mettre en travail ces deux instruments, le groupe et le rêve, et expliciter ce qui m’ont apporté dans ma clinique des psychopathologies actuelles.

Notes
11.

Kaës, R., 1994, La Parole et le lien, Edit. Dunod , Paris, p. 239 à 240

12.

Kaës, R., 1994, La Parole et le lien, Op. Cit. P. 240