B.1.3. Les groupes et les rêves ou « Comment permettre de transformer les crises en de nouvelles possibilités ? »

Le point de vue que j’ai adopté pour observer ces perturbations m’a conduit à concevoir l’utilisation du groupe et du rêve comme un instrument qui facilite la traversée et le dépassement d’une crise, en particulier, une crise où le désétayage social est tout à fait radical.

R. Kaës, A. Missenard et d’autres collaborateurs (1979) ont bien approfondi le processus des crises et la rupture qu’elles impliquent dans les étayages multiples de l’appareil psychique (corps propre, mère, self, groupe et certaines formations psychiques comme les groupes internes, etc.)

J’essayerai d’articuler ces multiples appuis et le mouvement de faillite de ces étayages déstabilisés dans les situations de crises sociales.

J’ai déjà souligné que les petits groupes sont des espaces de mise en scène, de production et d’élaboration de fantasmes. Les rêves dans le groupe sont à mon sens, des instruments de représentation ainsi que des voies d’accès aux organisateurs socioculturels inconscients.

Nous constatons chez les patients ayant des difficultés à symboliser, qui tendent par conséquent à passer à l’acte, à diffracter sur l’environnement l’excès pulsionnel ou à déposer dans l’espace corporel leurs angoisses, que le dispositif du groupe offre un appui pour recréer l’étayage perdu. Il est vrai que certains patients ayant ces caractéristiques, ne peuvent se coétayer dans le réseau groupal dû à la compulsion de répétition, mais j’ai constaté que leur tentative d’étayage insiste tout de même.

Un nouvel étayage trouvé dans un groupe thérapeutique psychodramatique

pourrait soutenir dans certains cas, le psychisme des sujets, et favoriserait la distribution de l’excès des quantum d’énergie qui est dispersé sur l’objet groupe. Cet étayage passerait par le jeu des transferts figurés dans le réseau groupal, et permettrait l’élaboration des situations d’excès ou de déficit dans les liens sociaux (intrusion du désir de l’autre, aliénant, ou absence de l’autre, source des carences psychiques). Pour mieux développer cette hypothèse, je décrirai ainsi le mécanisme de diffraction : c’est une décomposition d’un objet, d’une image, du Moi ou de parties du Moi du sujet distribuée dans une multiplicité d’objets, d’images ou du Moi ; chacun représentant un aspect de l’ensemble et entretenant avec les autres des relations d’équivalence, d’analogie, d’opposition ou de complémentarité.

Remarquons que la diffraction se déploie aussi bien sur le groupe que sur l’environnement. Si ce déploiement n’est pas contenu, il peut retourner tel un boomerang sur les patients dont nous nous occupons dans ce chapitre, de façon plus violente et déstructurante. Il s’agit donc de veiller à ce que la diffraction puisse rester déposée dans un cadre. C’est la raison pour laquelle les dispositifs groupaux doivent être clairs au départ, puisque toute mobilité du cadre peut provoquer la rupture de la symbiose qui mettra en péril le nouvel étayage 33 Ainsi, le groupe recrée le fantasme de vie intra-utérine pour maintenir la contenance de ses membres afin de reproduire la part psychologique de la symbiose et récupérer l’équilibre perdu.

Le rêve dans le groupe fait aussi partie du système figural nécessaire pour représenter ce qui est devenu absence et déprivation dans la structure psychique.

Ce système figural explique pourquoi la prise en charge de ces patients en psychodrame psychanalytique donne des résultats importants. Atteindre ce résultat est plus difficile à obtenir dans le traitement individuel. Cela confirme qu’un espace suffisamment adapté à la figuration de la conflictualité en jeu est nécessaire chez ces patients. Alors, quels sont les éléments et instruments apportés par le psychodrame dans cet espace de figuration ? Lorsque nous constatons l’évolution psychothérapeutique de ces patients, nous observons de nouvelles formes de symbolisation introduites pendant les scènes psychodramatiques et par conséquent, la mise en mots et en sens qui apparaît à la suite de ces scènes est un indice du démarrage d’un travail d’élaboration.

J’ai observé à plusieurs reprises, lors de scènes de psychodrame, que certaines interventions dramatisées par les personnages représentés par l’un des membres du groupe produisaient un « effet d’interprétation ». Ainsi lorsque un intégrant du groupe incarne un objet interne d’un autre membre ou représente la configuration inconsciente du lien à l’autre, les autres ou l’environnement, l’effet d’insight sur ces patients est parfois, plus consistant que l’interprétation de l’analyste.

Je considère que dans les cadres pluripersonnels l’analyste n’est pas le seul « interprétant », cependant il reste garant symbolique depuis son rôle de soutien du cadre.

Même si l’objectif et les règles du groupe thérapeutique diffèrent de celui de formation, plusieurs échanges que j’ai eus avec des enseignants m’ont confirmé que la « transmission » est parfois plus efficace lorsqu’elle provient d’un camarade-pair.

Il est important de souligner que le psychodrame psychanalytique favorise l’accès à la représentation de mots et le travail de liaison et de transcription dans l’appareil psychique. Ce qui est recommandable pour travailler avec des patients ayant de troubles de symbolisation. Ceux-ci nous faisant ressentir quelquefois, que nos paroles en séance risquent de se vider de sens, nos mots resteraient, au niveau psychique, en tant que représentation de chose.

Au regard de ce que nous venons de parcourir, la convergence dans un dispositif de groupe, de rêves et de psychodrame est à mon sens une « voie royale » pour dépasser ces crises et à prendre en considération l’articulation individu et société, l’aliénation primordiale et l’aliénation sociale dans une nouvelle dimension qu’inaugure notre dispositif :

Notes
33.

Bleger, J. 1978, “Psicoanálisis del encuadre psicoanalítico”,  Simbiosis y ambigüedad, Buenos Aires, Edit. Paidós, p. 237 à 250