2.3.1. La chaîne associative des rêves dans les groupes : le rêve comme production groupale

J’ai décrit plus haut les particularités des rêves qui ne suscitent pas d’associations. Or, il est d’autres types de rêves dans les groupes. Ces sont des rêves qui provoquent des associations libres entre tous les intégrants du groupe. Dans la pratique des groupes thérapeutiques, j’ai observé que le récit du rêve d’un patient peut déclencher l’association libre de tous les membres du groupe et je me suis demandée comment reformuler la chaîne associative en fonction de cette appropriation groupale.

Prenons les associations libres définies par B. Duez : « l’un des systèmes partiels spécifiques de figurabilité » 40 , nous pouvons les interpréter comme l’expression d’une figuration des désirs du groupe.L’un des aspects du travail des rêves est la transformation des pensées en images et il est remarquable d’observer la manière dont ces associations prennent aussi une forme théâtrale singulière. Ces rêves, à mon sens, sont une production groupale, source de créativité.

Cela provoque un changement dans la chaîne associative du porte-rêve et produit des effets tout à fait différents par rapport à ceux de la cure type.

C’est pourquoi que E. Pichon-Rivière (1960/78) considérait que les rêves étaient aussi fabriqués dans la matière groupale. Il a constaté que des résidus y étaient non élaborés sur la base de la dernière séance du groupe. Le porte-rêve exerce la fonction de porte-voix des  fantasmes universels groupaux  et le rêve résonnera ainsi sur tous les membres du groupe. Il reformule la notion kleinienne de « relation d’objet » pour le concept de lien définit comme :

‘« … une structure complexe qui inclut un sujet, un objet et sa mutuelle interrelation en processus de communication et apprentissages » 41

C’est ainsi que Pichon-Rivière était un des précurseurs d’une théorie de l’intersubjectivité et avait envisagé la conceptualisation développée postérieurement des fantasmes originaux, élaborés plus en profondeur par le courant français. Les fantasmes de castration, de séduction et la scène primitive sont le scénario de nombreux rêves des membres du groupe. Ces fantasmes sont universels, parce qu’ils organisent des configurations de liens communes à tous.

R. Kaës (1976) a illustré très clairement ces types de rêves dans le livre « L’appareil psychique groupal » démontrant comment ces fantasmes sont structurés comme un groupe et mettent en jeu les objets internes de chacun.

Par ailleurs, cette observation clinique est vérifiée aussi par S. Foulkes qui remarque que les rêves dans les groupes s'enlacent avec les fantasmes de naissance, de mort et les fantasmes sexuels, ce qui représentent « les problèmes et conflits universels » 42

Le rêve mobilise ces fantasmes lesquels en situation de groupe psychanalytique, se développent dans l’interdiscursivité groupale. Kaës écrit :

‘« J’ai appelé interdiscursivité l’agencement des associations produites par chaque sujet dans le réseau des échanges qui contribuent, pour une part, à en organiser l’économie, le processus et le sens. L’interdiscursivité peut décrire une condition nécessaire de l’avènement de la parole du sujet ; elle décrit aussi une condition de la formation d’une chaîne associative au niveau du groupe » 43

Cette interdiscursivité qui forme la chaîne associative groupale, déclenche le processus interpsychique entre les membres du groupe et l’entrecroisement de leurs espaces oniriques dont le résultat est la production groupale du rêve. Ce graphique illustre ce mouvement psychique :

Sur cette base je postule l’hypothèse que les rêves sont tant une production individuelle que groupale.

Notes
40.

Duez, B., 1997, « Le complexe du miroir, une construction de l’absence », Cahiers de Psychologie Clinique Nro. 8

41.

Pichon-Riviére E, 1985, El proceso Grupal, Del psicoanálisis a la psicología grupal, Edit. Nueva Vision, Buenos Aires, p. 10 (la traduction est à moi)

42.

Foulkes et collab., 1986, Manuel de Psicoterapia de Grupo, Edit. Fondo de Cultura Económica, México, p.146

43.

Kaës, R., 1994, La Parole et le lien, Edit. Dunod, Paris, France, Op. Cit. p. 99