2.4. La fabrication des rêves

Au fur et à mesure de ce travail nous chercherons à répondre à des spécificités des rêves dans les groupes, il s’impose pour moi l’exploration de la place du groupe - l’autre, d’autres - dans leur processus de fabrication du rêve. Nous pourrions donc découvrir pas à pas quelques réponses à ces énigmes du psychisme entre l’un et le multiple comme source du rêve.

J. Lacan (1966) énonce que "le désir est le désir de l'Autre" ; même si ce désir ne sera jamais satisfait, le désir inconscient visera toujours à vouloir être l’objet du désir de l’autre. Nous déduisons dans ce sens, que les désirs du rêveur sont à lui tout en appartenant à l’Autre.

J. Lacan signale aussi que le rêve n’est pas l’inconscient

‘«… mais une voie royale jusqu’à lui…, c’est à partir de la métaphore qu’il procède. Cet effet c’est ce que le rêve découvre.” 49

Les métaphores sont l’un des éléments qu’utilise l’inconscient pour fabriquer ce rêve.

Les restes diurnes provenant des jours précédents de la veille font aussi partie de ce qui forme leur matière première. Laplanche et Pontalis énoncent que les restes diurnes se trouvent entre deux pôles : une préoccupation ou désir de la veille, ou bien un événement ou détail insignifiant mais qui s’associe au désir inconscient. Cette dernière modalité d’apparence du reste diurne sert à masquer ce désir refoulé. D’après l’allégorie de Freud, les restes diurnes représentent l’  « entrepreneur » du rêve et le désir inconscient, le « capital ». Le désir conscient renforce la poussée du désir inconscient, ce qui apporte le « point d’accrochage » pour que ce transfert se réalise.

Les restes diurnes se mêlent à l’univers intérieur du sujet et à ses désirs infantiles, désirs qui métaphorisent les fantasmes contenus dans le scénario du rêve ainsi que dans les rêveries.

Par ailleurs, Laplanche et Pontalis définissent les rêveries comme un récit imaginaire dans l’état de veille :

‘« Les rêves diurnes constituent, comme le rêve nocturne, des accomplissements de désirs ; leurs mécanismes de formation sont identiques, avec prédominance de l’élaboration secondaire.” 50

Le rêve diurne s’enlace aux restes diurnes et aux désirs d’origine infantile et même si les rêves diurnes et nocturnes sont composés de la même matière primaire (désirs inconscients), il existe une différence importante entre ceux-ci : la primauté du processus primaire prédomine dans le rêves tandis que dans les rêveries ou rêves diurnes, c’est la suprématie du processus secondaire.

Freud affirme ce point en disant que :

‘« Tous les rêves sont vraiment des rêves d’enfants, ils travaillent avec le matériel infantile, avec des motions amimiques et des mécanismes infantiles.” 51

Ceci cerne la dimension intrapsychique et nous conduit à l’articuler aux formations inconscientes liées à l’intersubjectivité et à la réalité sociale (dimension transubjective). Il est donc nécessaire de rendre compte de ce processus de fabrication des rêves pour trouver les réponses aux interrogations qui en découlent au fur et à mesure que nous explorerons cette thématique. Comment se jouera la dimension inter et transubjective dans ce processus groupal? Quel rôle joueront celles-ci ?

Dans le cadre du couple et du groupe familial, les rêves sont aussi l’une des voies d’expression de l’intersubjectivité entre les membres de la famille.

La notion d’espace onirique familial de R. Kaës (2001) démontre que la fabrication des rêves s’abreuve de diverses sources : les représentations buts individuels, les représentations inconscientes de l’organisation des liens et l’interdiscursivité. Ces conceptualisations nous permettent de mieux comprendre ce qu’éveillent les dispositifs pluripersonnels. Dans ce contexte, la production de rêves partagés par la suite est souvent stimulée facilitant le travail de la dimension transindividuelle.

Lors des récits des rêves, la réitération de ressemblances surprenantes entre les membres d’un couple, d’un groupe ou d’une famille, nous mène à poser une sorte de perméabilité psychique véhiculé par les contenus des rêves entre eux.

Pour C. Jung (1912), le rêve est un théâtre où le rêveur lui-même est la scène, l’acteur, le souffleur, l’auteur, le public et le critique. Il exprime par là la convergence interne du rêveur depuis ses différents rôles d’appartenance familiale et sociale.

De quelle façon ces liens intersubjectifs ainsi que le processus social, sont-ils assimilés par l’appareil psychique dans le mécanisme de fabrication des rêves ?

Comment le « dehors » est-il transformé par le rêve et selon quels processus et formations inconscientes ? Quels sont les mécanismes de fonctionnement en jeu?

Notes
49.

Lacan, J., 1975, Escritos 2, Siglo XXI, México, p. 605 (la traduction est à moi)

50.

Laplanche, J et Pontalis, J-B., 1967.Vocabulaire de la PsychanalysePress Universitaires de France - Op. Cit. p. 426

51.

Freud,S., 1916, Conferencias de introducción al psicoanálisis, Amorrortu.T.XV, Buenos Aires, p. 195 (la traduction est à moi)