b) Le rêve comme figuration des fantasmes du groupe

Les rêves mettent en scène et dessinent le non figurable, l’impensable, l’inexprimable. Les fantasmes d’autoengendrement, de dénégation de la différence de sexes et d’angoisse de castration y trouvent un espace d’expression.

L. Edelman (1996) 53 remarque que le fantasme d’autoengendrement se caractérise par la scission du transfert (thérapeutes exclus /groupe idéalisé), une idéologie égalitaire et le Moi Idéal partagé par tout le groupe. Ce fantasme s’installe comme une défense contre le fantasme de scène primitive. Il permet de nier les fantasmes originaires (protofanstames) et d’établir une sorte de conception du groupe par parthénogenèses où les membres partagent l’illusion de l’avoir créé eux-mêmes (négation du fantasme de castration, de toute différence et illusion d’omnipotence).

Dans ce groupe, le fantasme d’autoengendrement exclut toute présence de l’autre, tandis que le fantasme de vie intra-utérine intègre l’équipe thérapeutique. Le fantasme d’autoengendrement où le groupe provient du groupe même sans qu’il existe un autre qui le précède et qui le convoque, a provoqué le sentiment d’exclusion des analystes. Le fantasme d’autoengendrement se fonde sur la certitude que l’autre existe seulement comme partie d’un sentiment archaïque tandis que le fantasme de fusion n’admet aucune discrimination d’avec l’autre qui fait partie de soi-même et est vécu comme objet interne.

D. Kordon et L. Edelman (1996) expliquent à propos du fantasme dans le groupe que les différentes scènes significatives, plaisantes ou déplaisantes, qui peuplent la vie psychique, présentes dans les rêves, dans les rêveries, dans les délires et à la base des passages à l’acte pervers, de même que la dramatisation spontanée des scénarios qui semblent préfabriqués par les membres du groupe, mettent en évidence dans l’expérience individuelle et groupale la présence des fantasmes. Tous les auteurs et écoles qui se sont consacrés au travail psychanalytique avec des groupes considèrent le fantasme comme un des facteurs de base de l’imaginaire groupal.

Dans cette perspective, la vertu de ces rêves est celle de nous mettre sur la piste de fantasmes qui concernent tous les membres du groupe, ce qui nous a facilité dans la vignette clinique récemment exposée, l’entrée dans une scène où nous étions exclus par la conspiration groupale. Il nous a donné accès à l’imaginaire groupal, à la sortie de cette scène congelée par la circulation fantasmatique sous-jacente et a la désarticulation de ces fantasmes.

‘“Le contenu du rêve nous est donné, pour ainsi dire, dans une pictographie, dont les signes sont le langage des pensées du rêve » 54

A cette remarque de Freud, j’ajouterai que la pictographie du langage du rêve est similaire et se superpose parfois au langage utilisée et dramatisée spontanément par le groupe.

Le scénario des rêves sur la scène du groupe ouvre le chemin de la figurabilité des émotions en jeu.

La capacité de « rêverie » des psychanalystes est mise à l’épreuve par le groupe, plus encore à partir des rêves. Ce que nous avons vu dans le cas clinique où l’élaboration groupale de ces fantasmes s’est réalisée en métabolisant les mouvements émotionnels des analystes pour les transformer en pensée, de même que la mère calme les fantasmes de mort et le désir de destruction de son bébé. Ainsi, nous avons pu renvoyer les interprétations et réparer « les morceaux cassés » dans la psyché des intégrants du groupe.

Par ailleurs, la mort représente les idoles et la vénération des idoles dans le groupe. La mort du comédien Olmedo a eu lui juste à ce moment-là. Cette tragique disparition a beaucoup touché les argentins. Olmedo était un comédien profondément aimé et idolâtré. Personnalité sur laquelle se sont créées des représentations sociales typiquement argentines. Cet élément associatif est remarquable parce qu’il nous invite à tenir compte des effets sociaux de situations qui affectent intimement une culture et qui circulent dans l’imaginaire groupal.

R .Kaës considère que la  fonction phorique concerne tout ce que porte le sujet dans le groupe et correspond à différentes fonctions :

‘« …incarnées dans les emplacements de porte-paroles, de porte-idéaux, de porte-rêve, de porte-silence, de porte-mort, de porte-symptôme… » 55

Si le rêveur peut porter le rêve, le silence, la mort, le symptôme et les idéaux d’un autre ou d’autres ou d’un ensemble, il est important à mon sens, d’inclure une autre fonction phorique : celle du porte-parole social qui opère dans des groupes, dans des familles ainsi que dans des institutions.

Dans ce groupe, Pedro jouait ce rôle et il s’avère intéressant d’observer ce qu’il assumait pour exprimer les émotions traduisant les incidents traumatisants, comme l’effroi ou la détresse sans objet - par exemple, pourquoi se donne-t-on la mort si l’on est aimé ? - liée à l’impact de ce type de situations sociales.

Reste ouverte la question des ressemblances thématiques qui apparaissent entre les rêves des membres du groupe dans la chaîne associative. Je préfère l’approfondir plus bas, car il s’agit d’un sujet riche en expériences éprouvées par les psychanalystes qui travaillent dans des cadres pluripersonnels.

Je reviens à la question qui concerne ce chapitre sur de l’articulation entre l’espace onirique et la dimension transubjective que nous pouvons approfondir à partir des rêves spécifiques qui permettent de représenter et d’élaborer les situations traumatiques dues au contexte social, rêves qui touchent d’une manière semblable et singulière à la fois chaque intégrant du groupe. Comment cette articulation se produit-elle dans le processus groupal ?

Notes
53.

. Bernard, M. et collab 1996, Desarrollos sobre la Grupalidad, Una perspectiva psicoanalítica, Edelman, L., « Ilusion y Archigrupo », Lugar Editorial Buenos Aires

54.

Op. Cit. Freud, S. La interpretación de los sueños. Amorrortu.TT.IV y V, .Buenos Aires, p. 149 (la traduction est à moi)

55.

Käes, R, 1993, Le groupe et le sujet du groupe, Dunod, Paris, p. 233