2.6. Le rêve dans le groupe: un chemin pour représenter l’impensable

La résonance des rêves dans le groupe apparaît au niveau de l’inconscient, dans la représentation d’un ou de plusieurs fantasmes du groupe, fantasmes qui permet l’exploration de la dimension transubjective.

J’ai eu l’occasion d’analyser des rêves empreints d’effets traumatiques dus à la dictature en Argentine (rêves de persécution, de disparition, d’attaque, etc.).

Je vais brièvement situer cette époque de l’histoire du pays et par la suite, travailler sur un rêve qui nous aidera à comprendre la façon dans laquelle l’impensable apparaît dans le rêve et peut se métaboliser dans le groupe.

En 1974, suite à la mort du Président Perón, le régime s’affaiblit lorsque son épouse lui succède au pouvoir. En 1976, un coup d’état présidé par une junte militaire impose un régime d’exception qui fut marqué par une répression sanglante et aveugle justifiée au départ par la chasse aux opposants au pouvoir (groupe de Montoneros). Mais qui s’est généralisée de façon aléatoire parmi l’ensemble de la population instaurant un régime de terreur. La dictature a mis en place des camps de torture où ont « disparu » d’innombrables personnes. Toute famille argentine à l’époque a pu compter au moins un proche « disparu » et donc jamais revenu. Cette vague de rafles impulsa le mouvement de protestation des Mères et Grand-mères des « disparus », (Organisations : « Abuelas et Madres de Plaza de Mayo ») sur la Place de Mai (place du gouvernement). Mouvement qui est toujours actif et réclame justice pour retrouver les fils et leurs enfants nés dans le camp.

En 1982 la défaite de la Guerre des Malouines (Islas Malvinas) contre les anglais ramènent les civils au pouvoir et la démocratie avec l’élection de Raúl Alfonsin en 1983.

J’illustrerai par un exemple clinique mon travail avec des personnes affectées par cette période de l’histoire du pays.

Une patiente raconte ce récit de rêve dans un groupe en 1982, a la fin de la dictature :

« J’étais avec vous tous. Tous étaient silencieux et chaque fois que quelqu’un commençait à parler, il disparaissait. Tous paraissaient imperturbables, j’étais la seule à me sentir angoissée, personne ne s’étonnait sauf moi. Au bout d’un moment, il restait seulement l’analyste et moi et je priais en moi pour qu’il ne parle pas. Finalement il dit « il faut …» et il disparut aussi. J’ai voulu me retenir, mais je ne supportais plus ma terreur et j’ai poussé un cri sachant que j’allais moi aussi disparaître inévitablement. Ce cri m’a réveillé dans un état de panique dont je n’ai pu me débarrasser jusqu’à aujourd’hui! »

En apportant ce rêve dans le groupe, la patiente a légitimé la prise de parole des autres membres sur leurs propres angoisses concernant la dictature. C’était jusqu’alors ces angoisses qui étaient portées disparues dans le groupe. Ce cri du rêve destiné au groupe a permis à tous les participants la sortie de l’angoisse du monde interne à la réalité extérieure du réveil.

Ces répercussions dans le travail groupal avaient des résonances chez tous les membres du groupe et réussissaient une élaboration conjointe plus favorable à celle que la patiente avait faite au cours d’un traitement individuel.

Lorsqu’elle dit « Tous paraissaient imperturbables, j’étais la seule à me sentir angoissée, personne ne s’étonnait sauf moi », elle instaure un double mouvement : inclure un fragment d’une réalité pendant la dictature et dénoncer l’indifférence de la société face aux événements. Elle essaie en même temps, d’éviter la reproduction de cette même indifférence au sein du groupe. Il est connu actuellement que l’indifférence sociale face à ces événements est extrêmement traumatique.

La multiplicité des associations du reste du groupe renvoie le rêveur à la mise en représentations de ce qui était dépourvu de mots jusqu’à ce moment.

Ces types de rêves nous permettent d’approfondir et d’aborder les dimensions intra, inter et transpsychique où le porteur du rêve condense et consolide dans son rêve ce point charnière entre ces trois dimensions.

Pendant la dictature les disparitions ont exercé un impact sur les appareils psychiques des sujets qui ressentaient fortement la prohibition de parler à tel point que cela s’est internalisé aussi comme une interdiction généralisée de “penser”. Ce rêve reflète le trauma récupéré au moment où la dictature prenait fin après la déroute de la guerre des Malouines.

La tentative d’élaboration des conséquences traumatiques de l’état de terreur imposé, correspond à un moment qui condense deux événements associables par leur caractère négatif (dictature, échec de la guerre), mais aussi un moment où la ressignification du premier trauma devient possible par l’ouverture vers une autre époque à partir de la fin de cette guerre (début du retour à la démocratie).

La production du rêve par cette patiente depuis son histoire personnelle « parle » au niveau intrapsychique de sa défense face au trauma.