3.1. Les rêves traumatiques

J’ai eu l’occasion de détecter que dans les rêves traumatiques, le niveau transubjectif est mis en évidence de façon plus notable que dans d’autres types de rêves. Il est nécessaire pour comprendre, d’analyser le processus d’articulation entre la réalité psychique et la réalité sociale. Afin d’explorer ce sujet, je reprends la pensée de S. Freud lorsqu’il découvre dans l’hystérie, l’insistance de récits de scènes réelles de séduction et de traumas sexuels des patients attirant son attention à tel point, qu’il se demande si ce trauma est de l’ordre du fantasme ou de la réalité. « Je ne crois plus à ma neurotica… », écrit-il à Fliess pour introduire la question du sujet et de la réalité. 65

Le rêve a été l’instrument primordial utilisé par Freud pour faire ce lien et pour aborder les psychopathologies.

‘« Je commence à soupçonner que les rêves résultent de choses vues à la période préhistorique, les fantasmes de choses entendues, les psychonévroses émanent, elles, des scènes sexuelles vécues à la même époque ». 66

A partir des rêves il s’approche aussi des traumas qui peuvent avoir la valeur de scènes sexuelles et de la réalité de celles-ci, ce qui le conduit à construire les théories du trauma.

Dans la première approche du trauma, Freud (1895) constate l’existence d’un événement – violent ou sexuel – dont les caractéristiques dépassent la sensibilité par l’excès pulsionnel. Les barrières pare-excitatrices du sujet sont brisées et le Moi ressent l’effroi sans la protection de l’angoisse qui fonctionne comme signal d’alarme.

Cet événement qui excède la capacité de défense, laissera des traces indélébiles revenant comme des rêves traumatiques et sous forme hallucinatoire pour revivre le trauma : le sujet recherche en effet à le reproduire pour en jouir de nouveau  (Freud, 1915).

Freud signale deux temps du trauma sexuel : le temps de l’événement même et celui de l’après-coup où l’événement sera réactivé et résignifié comme trauma, englobant toute la force d’un événement présent. L’événement deviendra traumatisant dans ce second temps de résignification. En fait, la rupture de la barrière pare-excitatrice qui protége, se produit à la suite de l’événement traumatique et opère comme un « corps étranger ». Par conséquent, le Moi ne peut pas l’intégrer du fait du quantum d’excitation que véhicule l’événement traumatique ; le composant économique est ici mis en relief. Dans le second temps, l’événement restituera une signification attribuée par le sujet qui se fixera au trauma. Alors, le sujet restera figé et identifié au trauma qui se maintiendra cristallisé jusqu’à son éventuelle élaboration.

Ce second temps soulève deux questions intéressantes, d’une part, l’incidence de la subjectivité de l’individu qui l’a subi, point fondamental – l’événement en soi deviendra traumatisant selon le seuil de sensibilité de chaque personne et selon l’effroi découlant des faits –, et d’autre part, la temporalité est déphasée sous le primat d’une logique de l’inconscient – événement passé vécu comme actuel.

Ce n’est pas par hasard que Freud se penche en 1918-1919 sur l’étude des névroses de guerre et des névroses traumatiques et qu’il en ait découlé son travail sur l’opposition psychique entre la pulsion de vie et la pulsion de mort (Eros et Thanatos), borne qui produit la modification de la première et aboutit à la deuxième topique freudienne.

« Le rêve comme gardien du sommeil » est remis en cause à partir des études sur les cauchemars. Les rêveurs qui se réveillent avec l’effroi de revivre la situation traumatisante vécue, nous parlent de « l’au-delà du principe de plaisir » L’étude des névroses traumatiques et des névroses de guerre ainsi que la deuxième théorie des pulsions amènent Freud (1926) à travailler l’angoisse comme signal d’alarme, comme protection du Moi et à se concentrer sur le point de vue économique du trauma.

S. Viderman considère que l’analyste reconstruira avec son patient plus que l’événement historique,

‘« …une scène hypothétique, parfaitement cohérente où les éléments historiques constituent des points d’attache qui donnent une cohésion aux fantasmes secondaires, pour rejoindre la structure imaginaire du fantasme originaire » 67

La question de la réalité de l’événement et du fantasme se retrouve chez Freud lorsqu’il travaille sur le délire :

‘« L’effet de notre construction n’est dû qu’au fait qu’elle nous rend un morceau perdu de l’histoire vécue, de même que le délire doit sa force de conviction à la part de vérité historique qu’il met à la place de la vérité rejetée » 68

Appartenant à une époque positiviste Freud se soucia de la « réalité empirique» ce qui ne lui empêcha d’admettre que toute construction dans l’analyse est toujours une réélaboration et une reconstruction entre les partenaires.

L’analyste fait un travail d’historien qui s’appuie aussi bien sur des scènes fantasmées que sur des faits pour réécrire une histoire nouvelle à chaque fois qui requerra toujours de la mise en œuvre de la figurabilité de l’analyste et du patient.

Sur ce plan de la figurabilité, mon point de vue coïncide avec celui d’Alain Fine qui affirme que :

‘« …les travaux contemporains insistent sur le fait que l’expérience traumatique est ce qui ne se figure pas, même si elle laisse des traces mnésiques ineffaçables. La dimension clinique de ces traumas insiste à juste titre sur la voie nécessaire de la figurabilité, notamment chez l’analyste, pour pallier les trous dans le système représentatif » 69

Fine soutient que la figurabilité chez l’analyste est déterminante dans l’analyse de ces patients victimes de traumas. Les rêves traumatiques chercheraient une voix pour figurer l’événement, ils ressassent sans cesse toutes sortes de figures que l’on pourra attribuer à l’événement.

B. Duez constate dans son travail clinique avec des patients psychopathes ayant été victimes d’un trauma psychique, que leurs réactions typiques se fondent sur la certitude d’avoir le droit de faire subir à autrui ce qu’ils ont subi eux-mêmes, même s’ils risquent d’y perdre leur vie.

Le passage à l’acte représente pour le sujet l’expulsion vers l’extérieur de ce trauma initial. Lorsque le fond de ses habitudes est touché prématurément, le psychopathe cherche à reconquérir les habitudes de l’autre pour le posséder et l’utiliser comme objet. 70 (*) .

Nous allons nous consacrer plus précisément à présent à cette notion d’habitude au sein de la question des traumas.

Notes
65.

Freud, S., Lettre 69, 27 de Septembre de 1897

66.

Freud, S., 1887-1902, Imago, 1950, lettres à Fliess 1887/1902, La Naissance de la psychanalyse, Paris

67.

Viderman, S., 1970, La construction de l’espace analytique, Edit. Denoël, Paris, p. 381

68.

Viderman, S. – Op. Cit.- p. 382

69.

Fine, A., Mai 2002, « Fixation au trauma ; résurgence, élaboration », Conférence Vulpian

70.

(*) .Communication personnelle avec B. Duez