3.3.1 Compréhension des vécus traumatiques à partir du lien rêve et groupe

Freud explique dans son livre « Au-delà du principe de plaisir » comment l’appareil psychique tente dans les névroses traumatiques de lier l’énergie libre à des représentations au travers des rêves. Cette trame représentationnelle pourrait être comparée au tissu délicat de cicatrisation progressive créée par notre corps à la suite d’une blessure (*). L’unification postérieure à la scission du moi, grâce au travail de la libido, « pansera » la blessure narcissique. Il est fondamental de soutenir dans l’analyse de ces situations, la préservation de ce processus de cicatrisation et d’attendre qu’il se déroule naturellement afin de ne pas le défaire. Par exemple, une interprétation prématurée pourrait laisser à nouveau à la dérive l’énergie du trauma.

Freud remarque que le facteur surprise, la panique et l'événement traumatique réitéré dans le rêve, accompagnés d’une terreur renouvelée à chaque fois, sont des effets de la rupture de la barrière excitatrice. D’où l’inaction de l’angoisse, en tant que signal d’alarme face à cet événement, comme je l’ai déjà rapporté plus haut.

Dans le rêve, la psyché essaye de reconduire le sujet vers l'événement traumatique dans le but d’émettre de l'angoisse « dont l'omission a causé la névrose traumatique” 107 Dans la névrose de guerre, l’élaboration de l’événement, ne fonctionne pas au niveau psychique pour la même raison d’absence d’alerte. C’est pourquoi les interprétations du trauma doivent se centrer sur l’actuel et non sur le passé. Au niveau corporel, dans un accident par exemple, les muscles se préparent autrement au choc de l’impact, s’ils ont l’occasion de s’anticiper et de voir venir le heurt ; ce qui correspondrait au niveau de la psyché à l’angoisse signal.

Une fois que l’angoisse se déploie et la trame représentationnelle se restitue, l’analyse peut suivre une autre dimension conflictuelle plus archaïque et les interprétations peuvent cibler le passé.

Les rêves dans la névroses traumatiques cherchent la domination de l'excitation en développant l’angoisse dont sa

‘«… négligence arrive à être la cause de la névrose traumatique" 108

écrit Freud pour expliquer que ces rêves essaient de lier l’empreinte traumatique obéissant à la compulsion de répétition. Ils sont une exception au point de vue du rêve comme réalisation de désirs.

En prenant appui sur les expériences avec des sujets émigrants du quart monde provenant de situations politiques et/ou économiques chaotiques, B. Duez nous apporte de nouvelles conceptualisations au sujet du trauma.

Il souligne que toutes les variations des théories du trauma chez Freud conservent un point commun :

‘«…. l’impossibilité du sujet à destiner ses pulsions » ce qui provoque l’indécidable du vécu traumatique » 109

Cet état d’indécidabilité du sujet caractérise toutes les situations traumatiques.

‘« Le sujet se trouve radicalement délocalisé de lui-même par une impossibilité à décider ce qui est de soi et ce qui est de l’autre, ce qui est intérieur et ce qui est extérieur, ce qui est la source et ce qui est le but de la pulsion » 110

L’état d’indécidabilité ambigu imprègne le lien patient-analyste dû à l’excès pulsionnel qui demeure dans la psyché du patient. Le patient dépose dans le psychisme de l’analyste la trace traumatique et le trauma s’actualise dans la scène transférentielle

L’attente du patient d’une interprétation pour transformer et lier l’énergie non liable s’impose dans le champ transférentiel. D’après B. Duez, c’est pour cette raison que l’interprétation de démarcation permet au sujet de réorienter le destin pulsionnel en distinguant l’interne de l’externe et le Moi du Non-Moi. Cette interprétation dans le transfert facilite le dépassement de la situation d’ambiguïté. La psyché de l’analyste se prête au patient tel un dépôt de son excès pulsionnel. L’élaboration va se jouer comme une scène transformationnelle en transfert.

Cela va dans le même sens que la métaphore de la cicatrice mentionnée ci-dessus. L’interprétation de démarcation permettrait de développer le processus nécessaire pour que la « peau » renaisse. Cette enveloppe protectrice (D. Anzieu, 1994), comme la croûte, va délimiter ce qui est hors de la « peau » (Non-Moi) et ce qui est dedans (Moi).

B. Duez pense que le dispositif pluripersonnel apporte le mode de figurabilité au destin traumatique absent dans la cure car la diffraction qui distribue les investissements libidinaux, maintiendra le niveau libidinal suffisamment faible et permettra l’élaboration du trauma.

L’actualisation du transfert par diffraction ou retournement dans le groupe articule de façon plus prégnante l’interdit de l’inceste et l’interdit du meurtre au travers la figure de l’objet séducteur (analyste) et celle de l’intrus. Dans le transfert groupal s’instaure un mode de figurabilité du destin pulsionnel.

‘« L’impossibilité à inventer l’intrus au cœur de l’intrusion, l’autre au cœur de l’aliénation et l’Autre au cœur de l’absence génère les trois impossibles traumatiques majeures qui construisent le Traumatique. Toute scène traumatique s’inscrit dans une oscillation entre ces trois figurations où l’on peut reconnaître la trace des trois fantasmes originaires » 111

Les fantasmes originaires, organisateurs de la figurabilité groupale, articulent ces trois axes de la conflictualité - séduction, scène primitive, castration - qui donne lieu à la sortie de l’ambiguïté (vécu intra-utérin).

Pour illustrer ce que je viens d’exposer, les familles expatriées dans l’étape de leur nouvelle installation, réagissent dans un second temps face à ce changement radical. Elle peuvent resignifier dans l’après coup le nouveau du monde externe (par exemple, la nouvelle culture, les habitudes) ; cependant, elles vont aussi resignifier ce qui est déjà connu de leur propre culture. La reformulation des certitudes et des convictions amène une déstructuration des étayages internes, et même si cette expérience est angoissante, la possibilité de renouveler le monde connu peut représenter un épanouissement personnel ou prendre la direction contraire.

E. Granjon et collaborateurs se posent une question d’importance à ce sujet et proposent une très belle métaphore comme représentation:

‘« Quelles sont les effets d’une restauration d’identités et de différences d’une reconstruction du temps ? Une des conditions essentielles, nous le savons, est le groupe et particulièrement la famille. En effet, quelles transformations, quels aménagements, quels renoncements devra opérer le voyageur, celui qui coupe l’arbre pour construire sa pirogue, et dans quelle conditions pourra-t-il le faire ? Chaque pirogue est unique, création dont le projet germe dans la pensée du voyageur et dans les racines de l’arbre » 112

Aussi la thérapie familiale fait-elle partie de la construction de cette pirogue et la contenance de l’analyste est-elle nécessaire du fait de la mobilisation des étayages (racines) qui mettent en relief le fond d’ambiguïté propre à cette expérience. Ce phénomène fait irruption dans le contre-transfert de la même manière que dans les rêves.

Les rêves des expatriés montrent des indices de réalité provoquant un réveil brusque. Cette sensation de réalité chez le rêveur est un indice d’un état traumatique.

L’ambiguïté au début du traitement constitue un des indicateurs du vécu traumatique provoqué par l’expatriation.

La plupart des familles expatriées que j’ai eu l’occasion d’analyser, n’ont pas eu assez de temps pour se préparer et pour affronter ce changement de vie. Il leur serait plus qu’utile d’effectuer cette élaboration postérieurement.

Le cadre familial favorise cette élaboration d’une façon plus appropriée que dans un travail individuel parce qu’il permet de travailler les étayages internes mobilisés dans chaque membre du groupe familial face à la situation nouvelle pour les co-étayer dans les liens familiaux.

Le dispositif familial implique pour les expatriés, l’échange des vécus traumatisants où l’émergence du fond d’ambiguïté familiale peut se mettre en scène facilitant un processus d’élaboration conjointe.

Notes
107.

Freud, S., 1920, Más allá del principio del placer, Obras Completas, Edit. Biblioteca Nueva, Madrid, p. 2522 (la traduction est à moi)

108.

Op. Cit. « Mas allá del principio del placer », p. 2522 à 2523 (la traduction est à moi)

109.

Duez, B., “L’indécidabilité: un modèle générique du trauma » - Le travail du traumatique dans le groupe, Revue Perspectives Psy Nro. 2, Volume 41, Avril/Mai 2002) p. 113

110.

Op. Cit. “L’indécidabilité: un modèle générique du trauma » - Le travail du traumatique dans le groupe, p. 115

111.

Op. Cit. Duez, B. “L’indécidabilité: un modèle générique du trauma » - Le travail du traumatique dans le groupe, p. 115

112.

Granjon, E. et collab., 1999,« Introduction au voyage », Le déracinement, in Le divan Familia 2, Revue de Thérapie familiale psychanalytique, In press edic, Paris, p. 8/9