3.3.2 Le groupe familial comme voie de transformation des situations traumatiques : Le cas de la famille F.

Je vais illustrer ce chapitre par le traitement d’une famille française expatriée en Argentine dont la problématique est extrêmement complexe et grave.

« Pierre » me demande une consultation parce que sa femme a fait une tentative de suicide avant de s’expatrier en Argentine. Cette troisième tentative s’inscrit systématiquement chez elle, avant chaque réinstallation à l’étranger (ils ont été mutés plusieurs fois au cours des dernières années pour des raisons de travail du mari). Pierre semblait préoccupé par la situation familiale mais aussi par le travail qu’il devait commencer en Argentine dans ces conditions. D’après mes observations, il manifestait une demande qui m’était adressée, bien que ne s’engageant pas lui-même dans la demande, en tant que demande personnelle, il a accepté de commencer un traitement familial.

« Anne », son épouse venait de quitter l’hôpital en France (3 jours après son acte suicidaire). Ils ont donc commencé un traitement psychothérapeutique et psychiatrique à Buenos Aires sous ma supervision. Tout un dispositif d’internement à domicile pris en charge par mon équipe (psychiatre, accompagnants thérapeutiques, infirmières) fût mis en place. L’équipe est restée à la disposition d’Anne pendant trois semaines et nous avons parallèlement commencé le traitement familial.

La famille est composée de trois enfants : « Alex » de 17 ans et des jumelles de 18 ans, « Céline »  et « Aline ».

Céline a développé des symptômes d’anorexie six mois avant de partir. Le jour où j’ai accueilli cette famille, Céline avait atteint un stade critique et dangereux dans l’évolution de sa maladie. Il fallait agir immédiatement pour rétablir son équilibre nutritionnel et pour éviter son hospitalisation.

Au début du traitement, le manque de discrimination et l’entrecroisement d’identifications projectives entre les dépositaires et les déposants engendraient en eux la sensation d’être dans une « prison » (selon le terme de Céline). De même, Anne subissait les effets de son hospitalisation domiciliaire comme une claustration et comme un châtiment infligé par son état tout en demandant une « liberté conditionnelle » (après avoir passé deux hospitalisation successives en France).

La première tentative de suicide de la mère survint six ans auparavant, anticipant la première expatriation, la deuxième (auto-menace avec un couteau) et la troisième lors de ses vacances en France (plus dangereuse, coupure de veines et de gorge) à deux semaines l’une de l’autre et avant de s’expatrier à Buenos Aires.