a) L’ambiguïté familiale

Il est important de reprendre la définition d’ambiguïté et la distinguer de l’ambivalence. C’est J. Bleger qui nous aide à cerner cette différence, lorsqu’il précise que :

‘« … dans l’ambivalence s’est produit une confluence de deux termes antinomiques, contradictoires, sur un seul objet en même temps, tandis que dans la divalence (division schizoïde) les termes contradictoires sont séparés et maintenus séparés par le techniques névrotiques (hystérique, phobique, obsessionnelle et paranoïde). Dans l’ambiguïté, la démarcation, discrimination de termes différents antinomiques ou contradictoires n’a pas été atteinte ; les termes, attitude ou comportement qui sont différents (non nécessairement antinomiques), coexistent dans le sujet et la situation persiste sans contradiction ni conflit pour la personne (…), ils coexistent et dans certains cas, alternent dans leur présentation » 113

Il remarque que l’ambiguïté se caractérise comme un « type particulier d’identité ou organisation du Moi », où coexistent une multiplicité de noyaux non intégrés par le Moi qui peuvent alterner dans le sujet sans qu’il en ressente la moindre confusion. Chaque noyau est une organisation syncrétique (sans discrimination Moi/ Non-Moi) :

‘« La personnalité ambigüe a pour caractéristique de ne pas assumer, d’éluder, de ne pas se compromettre ou de ne pas se rendre responsable d’une situation, de son sens, de ses motivations et de ses conséquences. Mais tout cela n’est pas la conséquence d’une négation, mais d’un manque de discrimination dans lequel rien n’est affirmé ni tout à fait nié » 114

Il souligne que le patient agit comme si rien ne s’était passé dans un état a-conflituel.

L’ambiguïté qui caractérisait cette famille me semblait au départ, l’un des effets traumatiques du dernier acte suicidaire de la mère, de son hospitalisation et enfin de l’expatriation. Malgré le caractère dramatique de cette situation, ils ne comprenaient pas pourquoi il leur était nécessaire de réaliser un traitement familial.

Pour eux la problématique était exclusivement celle d’Anne et de Céline, sans assumer le conflit que tout cela déclenchait chez chaque membre de la famille. Ce qui me troublait était que la situation traumatique semblait ne pas exister pour eux. Mes signalements et verbalisations des conflits ne trouvaient aucun écho et résonnaient comme étant vides de sens, même pour moi.

Céline de son coté (un des patientes désignées) ne réalisait pas non plus qu’elle puisse être source de conflit pour elle-même comme pour sa famille. Personne ne se rendait compte de sa flagrante immersion dans un état d’ambiguïté dénoncé par le symptôme d’anorexie et dont l’explication était déplacée sur une cause organique.

Les membres de la famille voulaient que la mère soit protégée par les accompagnants mais souhaitaient à la fois, qu’elle se débarrasse d’eux, le passage à l’acte n’étant pas pris au sérieux dans sa juste mesure.

Ils acceptèrent le traitement familial sans y croire puisqu’ils se sentaient « unis » et sans problèmes.

La résistance d’Anne émergea dans le groupe familial comme le reflet de celle de Pierre, un père qui n’apparaissait pas sur scène. Enfin, les enfants qui ne trouvaient pas l’appui nécessaire dans leurs parents résistaient aussi au changement. Ils semblaient que pour conserver l’équilibre, la famille devait éviter de se confronter aux conflits sous-jacents. Ces conflits restaient pour eux inconscients et n’étaient observés que par moi, tiers extérieur. Chacun jouait un rôle fixe dans le groupe interne de l’autre, immobilisant toute élaboration possible.

Au fur et à mesure que les identifications projectives furent analysées, ils commencèrent à prendre conscience du conflit familial, dans un premier mouvement de discrimination intérieure et d’avec les autres, essentiellement dans le fait de pouvoir comprendre ce qui appartenait à l’un ou à l’autre. Les interprétations de démarcation ont donné une issue à l’indécidabilité inhérente à l’état d’ambiguïté. Je me suis demandée durant cette période du traitement, quand on pourrait « enlever le pansement » et s’assurer que la blessure avait cicatrisé.

Notes
113.

Bleger, J (1978), Simbiosis y Ambigüedad, Edit. Paidos, Buenos Aires, p. 169 (la traduction est à moi)

114.

Op. Cit. Bleger, J (1978), Simbiosis y Ambigüedad , p.. 171(la traduction est à moi)