4.1. La réalité psychique : Monde interne, groupalité psychique et monde extérieur

Je poursuivrai ce travail de recherche en me fixant dans ce chapitre l’objectif de proposer un modèle qui puisse rendre compte de la façon dont l’appareil psychique et par conséquent, notre vie onirique, sont tramés par les expériences du monde extérieur et imprégnées par une culture déterminée qui lui octroient un sens. En ce qui concerne ces expériences du monde extérieur, j’essayerai d’envisager de façon plus complexe, non seulement la dimension sociale et culturelle du monde mais aussi ce qui est de l’ordre du naturel et écologique.

Je vais travailler sur « le possible » par rapport à la psyché – signifier la réalité matérielle des événements du monde extérieur, ce que nous appelons la réalité psychique – et « l’impossible » par rapport à la psyché – ce que J. Lacan désigne comme le réel – sans attribution de sens.

Pour atteindre ce but, je vais considérer d’abord comment la psyché se développe selon de multiples dimensions.

A.Saint-Genis étudie dans sa tesina la dimension multiple du psychisme inter, intra et transpsychique. Le sujet advient dans et par le lien, elle met l’accent sur les configurations des liens qui sont constitutives du sujet affirmant que :

‘« Le monde est un rêve parce que l’être humain ne peut faire autrement que de l’interpréter, le fantasmer et le rêver…. » 122

Elle reprend une question de J.P.Vidal:

‘« Qu’est-ce qui pourrait distraire suffisamment la psyché d’elle-même au point de lui permettre de découvrir un dehors ? » 123

Saint-Genis remarque qu’à partir du fait que l’appareil psychique a une spatialité fondée par les configurations de liens qui s’y scellent en interaction avec le ou les autres, le mouvement vers le monde externe est une nécessité qui s’impose à la psyché pour son évolution. Cela m’amène à souligner que la satisfaction des pulsions d’autoconservation est certes nécessaire mais non suffisante pour une construction psychique possible fondée sur les liens avec les autres. L’entourage fait partie de cette construction et du développement de la psyché.

Vidal affirme que l’environnement est la projection externalisée d’un espace psychique, une « topique projetée » 124 , parce que la psyché est extensive en tant qu’elle est intrinsèquement groupale. Il affirme aussi que la communauté impose le cadre culturel et social dans la façon d’utiliser l’espace extérieur, ce qui s’accorde avec la notion d’habitat intérieur et de l’usage de cet espace.

Le raisonnement que nous venons de suivre établit la dimension fondatrice du lien et du social pour la création d’une dimension spatiale dans le psychisme humain. J’inclurai dans cette perspective l’interaction de ces espaces psychiques et la conflictualisation existant entre monde interne et interne, sans le réduire au modèle culturel imposé pour utiliser cet espace. En effet, ce qui distrait la psyché d’elle-même ce ne sont pas seulement les liens humains qui entourent chaque individu mais encore le lien multidimensionnel (plusieurs temps, espaces et conditions) à l’écologie du sujet, son milieu naturel, son corps, etc. dont les effets ne peuvent être lus seulement à la lumière d’un conditionnement culturel effectué sur eux.

Le monde extérieur est donc selon mon point de vue, un espace qui englobe des aspects humains et non humains qui interviendront dans l’alimentation de l’espace intra, inter et transpsychique. Pour illustrer mon propos, je dirai tout simplement qu’une catastrophe naturelle a d’autres effets tout à fait différents à ceux d’une catastrophe politique ou bien, qu’une expatriation en Asie n’offre pas les mêmes conditions géo écologiques qu’une expatriation en Afrique. Tous ces petits exemples seront traversés par des différences de traitement socio-culturel mais conservent aussi leurs différences intrinsèques de l’ordre de l’univers physico-sensoriel et gardent leurs mystères au-delà des interprétations que l’homme leur prête. Cette précision demandera à être prise en considération dans nos niveaux d’analyses d’une situation humaine même s’il ne s’agit pas de l’élucider. J’étudierai plus avant dans ce travail, comment cet aspect intervient dans la conception du monde dans diverses tribus et sociétés.

A présent, si nous reconsidérons le mouvement de la psyché vers l’espace externe, R. Kaës apporte une autre perspective lorsqu’il écrit que la réalité aussi bien que la groupalité psychique

‘« …n'est pas la simple projection anthropomorphique des groupes intersubjectifs, ni la pure introjection des objets et des relations intersubjectives » 125

Le concept de groupalité psychique de R. Kaës rend compte de l’espace qu’occupe le groupe dans la réalité psychique interne de chaque participant d’un groupe. Néanmoins, il est extensif pour expliquer la réalité psychique de façon multidimensionnelle, ce qui concerne à mon avis la pertinence et à l’intérêt de sa conception. Le groupe fait partie constituante du processus même de cette réalité psychique, l’espace interne inconscient étant aussi structuré comme un groupe.

La groupalité psychique est définie par R. Kaës comme:

‘«…le caractère général de la matière psychique d’associer, de délier, d’araser, de répéter, de former des ensemble dotés d’une loi de composition, de transformation » 126

La théorie de R. Kaës dépasse l’idée que les mécanismes d’introjection, projection et identification jouent le rôle principal pour la construction de la psyché, il met l’accent sur :

‘«… les fonctions de liaison entre les pulsions, les objets, les représentations et les instances de l'appareil psychique, dans la mesure et sous l'aspect où ils forment un système de relation qui lie leurs éléments constituants les uns aux autres ». 127

Il souligne que la structure du fantasme comme scénario de réalisation du désir inconscient est distributive, permutative et dramatique. Nous observons dans les groupes que ces fantasmes se déploient entre les membres qui alternent leurs places à l’intérieur de la dynamique groupale, sans modifier la structure du fantasme.

‘« La formation de la réalité psychique de groupe prend appui sur la psyché de ses membres, spécialement sur leurs groupes internes ; elle en reçoit les investissements, les dépôts, les projections ; elle les capte, les utilise, les gère et les transforme ». 128

La conformation de l’appareil psychique groupal ne peut alors se restreindre à la projection du psychisme individuel sur le groupe, du fait qu’il a ses propres lois, sa dynamique, sa topique et son économie. Pour cette raison R. Kaës propose la notion de « topiques appareillées » et non projetées.

Cette notion de topiques appareillées est rendue possible par la dimension « liante » fondamentale de l’appareil psychique groupal. Cette faculté permet à mon sens, non seulement l’appareillage des espaces du monde interne et de la groupalité psychique mais aussi du travail du non figurable et de l’impensable.

Il nous reste dans cet assemblage à considérer la dimension onirique de l’espace psychique, ce à quoi je vais me consacrer dans la partie suivante.

Notes
122.

Op. Cit. Saint-Genis, A. 2005, « Itinéraires-liens », Travail Inédit

123.

Vidal, J.P., 1999, in Le divan familial, Revue de thérapie familiale psychanalytique, “L’Habitat familial et ses rapports avec l’espace psychique”, in Press Editions. Paris. Automne, p. 24

124.

Op. Cit. Vidal, J.P., 1999, “L’Habitat familial et ses rapports avec l’espace psychique”, p. 19

125.

Kaës, R. juillet 2005, « Groupes internes et groupalitè psychique : genèse et enjeux d'un concept », Paru à l’Université Lumière de Lyon 2 , Travail inédit

126.

Op. cit Kaës, R. juillet 2005, « Groupes internes et groupalitè psychique : genèse et enjeux d'un concept », Travail inédit

127.

Op. cit Kaës, R. juillet 2005, « Groupes internes et groupalitè psychique : genèse et enjeux d'un concept », Travail inédit

128.

Op. Cit. Kaës, R. juillet 2005, « Groupes internes et groupalitè psychique : genèse et enjeux d'un concept »