4.3. Le Social Dreaming ou le rêve comme interface communicationnelle

Le Social Dreaming a commencé dans les années 80 en Angleterre. Gordon Lawrence son créateur, travaillait dans le Programme de Groupe du Tavistock Institute of Humaines Relations où il a développé un travail avec les groupes cadré sur le rêve.

C. Neri suit les pas de G. Lawrence (1998), en reprenant la consigne qu’il utilisait pour démarrer les séances de la façon suivante :

‘"La tâche principale est d'associer le plus librement possible sur ses propres rêves et sur ceux des autres – lorsqu’ils émergent dans la matrice – afin de créer des liens et de trouver des liaisons. Qui a le premier rêve? " 133

Ainsi, la consigne pousse-t-elle à penser que les rêves n’appartiennent pas entièrement au rêveur, mais peuvent en revanche, être partagés et contenir des aspects communs au groupe tout entier.

Cette technique est aussi pratiquée actuellement dans certains groupes de travail et d’études - institutions, entreprises, associations, etc. - mettant en relief plutôt les éléments du rêve liés aux dimensions sociale, environnementale et institutionnelle vécues, que la découverte du niveau intrapsychique du rêve. A ce propos, C. Neri remarque que :

‘« La vie des institutions, des organisations et des associations professionnelles peut être représentée comme étant divisée en trois niveaux. Le premier niveau comprend le travail pratique, administratif et bureaucratique ; le deuxième se rapporte aux idéaux et aux théories, le troisième est lié à la vie fantasmatique et onirique ». 134

Cette activité de la vie onirique, présente dans toutes les institutions, est le centre de son travail avec les groupes. Cette conception prolonge en cela la théorie de W. Bion, précurseur de théories psychanalytiques groupales, lorsqu’il distingue les phases d’un groupe traversé par les présupposés de base et conformé à la fois en groupe de travail.

C. Neri considère que dans les groupes d’émigrés et de traumatisés, le Social Dreaming peut apporter aussi de bons résultats car:

‘« Le rêve est en effet une sorte d'interface entre l'individu et la réalité sociale » (…) "représentation particulière " du point de vue d'un individu sur la communauté où il vit et les organisations dont il fait partie »  135

J’utilise moi-même un dispositif qui se rapproche de cette perspective pour ce type de population. Ce choix s’est constitué pour moi sur la base d’une intuition et de mes observations parce que l’idée d’interface entre le sujet et la réalité sociale se présentait dans le cadre de façon spontanée et presque évidente. Il me semble particulièrement important de souligner cette notion d’interface car c’est une image parlante de la fonction de communication multiple du rêve. C. Neri distingue à ce sujet différents types de rêves, ceux qui sont plus propres à l’individu et où le groupe en est le destinataire, d’autre part, ceux où apparaît en premier plan une image du groupe qui lui propose une représentation et ceux enfin où le rêve est un message adressé au groupe, comme quelque chose d’essentiel à son existence.

Ces trois catégories impliquent toujours l’interface entre le sujet et la réalité sociale et « la présence simultanée des dimensions individuelles et groupales dans chaque rêve » 136 .

Neri énonce que le rêve est l’un des « systèmes d’autoreprésentation » fondamentaux du groupe et qu’il en est de même pour les fantasmes et l’imagination spéculative. Cette représentation du groupe qu’apporte le rêve n’est pas statique, elle se transforme au fur et à mesure que le groupe progresse.

Le concept de sémiosphère de cet auteur, comprend l’autoreprésentation, la fonction gamma, la chaîne associative groupale et la mimésis qu’il définit comme suit :

‘« …. L’ensemble de systèmes d’autoreprésentation et des autres systèmes de détermination du sens qui agissent à l’intérieur d’un groupe, il indique également le continuum sémiotique à l’intérieur duquel opèrent ces systèmes » 137

Cet ensemble multidimensionnel présent dans les groupes, semble être l’architecture de base qui se soutient selon une interdépendance commune (sémiologique, émotionnelle, sensorielle…)

Pour la construction de cette conceptualisation, il reprend J. M. Lotman (1985) qui considère que chaque société a des comportements et des émotions liées à divers systèmes d’autoreprésentation. D’après J. M. Lotman, les groupes sociaux pourvoient, par les biais de la littérature, du cinéma, du théâtre, de la mode, etc., une représentation de leur réalité sociale. C’est cette dimension que le Social Dreaming explore avec sa technique du groupe.

Dans ce sens, le rêve et l’interprétation du rêve font partie de ce système de production et de création de sens qui englobe la sémiosphère de chaque groupe

C. Neri l’explique ainsi :

‘« Le concept de sémiosphère permet au thérapeute de calibrer d’une manière optimale certaines dimensions de sa fonction interprétative. Grâce à la notion de sémiosphère, l’interprétation peut en effet être considérée comme un système d’autoreprésentation et de production de sens, qui s’ajoute aux autres et dont la spécificité n’est pas de se superposer aux autres systèmes, mais de favoriser leur action. Le rêve comporte un travail d’élaboration et d’interprétation qui, en quelque sorte, appartient au rêve même. Grâce à l’interprétation, le thérapeute - - qui prend en compte l’idée de sémiosphère - se place à l’intérieur de la chaîne associative du groupe (dont le récit du rêve est un des maillons) –, et crée les conditions pour que le travail du rêve se poursuive » 138

Nous avions déjà évoqué la valeur interprétative en soi de certaines interventions des membres d’un groupe thérapeutique, phénomène qui mettait en valeur le fait que le thérapeute en tant « qu’expert » n’avait en aucun cas, l’exclusivité de la fonction interprétative, sujet que nous avons travaillé dans le premier chapitre de cette thèse. Mais il existe aussi une dimension du rêve qui auto-interprète et s’ajoute aux caractéristiques du groupe pour potentialiser et complexifier le travail d’élaboration. La fonction de l’analyste selon cette notion de sémiosphère, se rapproche de celle d’une huile de graissage dans l’engrenage de la chaîne associative groupale.

Ces notions de sémiosphère, de systèmes d’autoreprésentation, d’interface et de simultanéité du rêve, établissent que ce dernier est de fait un outil de communication de la vie psychique dans toutes ses dimensions subjectives, outil que l’on peut utiliser ou non, mais qui, au-delà de son utilisation, est depuis toujours un message sur les parties « invisibles » de la vie comme ce fut l’intuition et l’objet de travail de S. Freud, mais aussi l’interprétation de nombreuses cultures avant lui.

Notes
133.

Neri, C., Introduction á la méthode du Social Dreaming http://www.bibliopsiquis.com/asmr/0101/0101ial2.htm

134.

Neri, C., Introduction á la méthode du Social Dreaming ., Op. cit. P. 2

135.

Neri, C.. Introduction á la méthode du Social Dreaming ., Op. Cit. P. 3

136.

Neri, C., 1997, Le Groupe – Manuel de Psychanalyse de Groupe, Dunod , Paris, p. 62

137.

Op. Cit., Neri, C., 1997, Le Groupe – Manuel de Psychanalyse de Groupe, p. 64

138.

Op. Cit. Neri, C., 1997, Le Groupe – Manuel de Psychanalyse de Groupe, p. 65