Chapitre II. Entre désir et crainte

Comme on a pu s'en convaincre déjà par l'observation des composantes spatiales et temporelles, les trois récits analysés aménagent les conditions d'une perceptibilité de l'attente chez le lecteur ou le spectateur. Ce thème installe, en réalité, plus qu'un réseau de formes et de motifs dans l'œuvre de J. Gracq, ne cessant d'habiter tous ses livres. Tenter de saisir la portée du Roi pêcheur, du Rivage des Syrtes et d'Un balcon en forêt oblige donc à s'engager plus avant dans la voie ouverte par cette thématique. A l'endroit où nous sommes de notre étude, il va s'agir, à travers cette approche compréhensive, d'observer sous quelles formes et selon quelles modalités le thème se trouve orchestré dans les trois récits au point d’imprimer à ces œuvres leur structure et leur sens. Un "sens qui, on l'oublie trop, selon les propres mots de J. Gracq, est à la fois signification et direction" 164 . Tout en prenant comme repères les multiples objets qui sollicitent l'attente des protagonistes, l'attention se portera progressivement sur les principales figures dans lesquelles se dissémine et s'investit le thème. L'analyse d'une telle configuration thématique n'hésitera pas, au demeurant, à expliciter les visées, les positions ou les postures plus ou moins contradictoires qui sont celles des acteurs, sans entrer toutefois dans la composante proprement active des récits qui fera l'objet du chapitre suivant. Ces remarques faites, il conviendra alors d'observer comment la tension entre désir et crainte, qui constitue, selon notre hypothèse, la syntaxe fondamentale des trois récits, va jusqu'à modeler les horizons d'attente plus ou moins prévisibles qui sont ceux des acteurs eux-mêmes.

Notes
164.

Gracq (Julien), En lisant en écrivant, in Œuvres complètes, II, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1995, p. 665.